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Durant tout le XIIIe s., les ordres mendiants avaient travaillé à discréditer la chrétienté féodale. Cependant, ils n’avaient nullement réussi à dégager l’Église de ses attaches temporelles, fondées sur la fameuse « donation de Constantin ». À l’intérieur de l’ordre franciscain, les luttes entre « conventuels » et « spirituels » — ceux-ci pré-

conisant un retour à une Église plus évangélique — symbolisaient celles qui opposaient dans l’Église les « institutionnalistes » et les « évangéliques ».

Les institutionnalistes, comme les conventuels franciscains, soutenaient le régime féodal, que l’Église avait sacralisé et qu’elle considérait comme un ensemble intangible, voulu de Dieu.

Les spirituels franciscains, leurs adversaires, crurent triompher lorsqu’en 1294, après deux ans de vacance du Saint-Siège, les cardinaux élurent un saint ermite, Pietro del Morrone, qui, contre son gré, devint le pape Célestin V. Arraché à sa solitude, saint Pierre Célestin se montra peu apte à gouverner l’Église et démissionna quelques mois plus tard, non sans avoir toutefois approuvé les « spirituels » franciscains.

En décembre 1294, les cardinaux

choisirent un autre pontife, Benedetto Caetani, qui prit le nom de Boniface VIII. Ses origines sont obscures ; il semble avoir fait des études de droit à l’université de Bologne. Cardinal en 1281, il s’attacha à la fortune de Charles d’Anjou, qui rêvait de dominer toute la Méditerranée. Choisi comme

légat en France en 1290, il y fit montre d’un caractère dominateur et emporté, que son état de santé contribuait à accentuer.

Boniface VIII se révéla imbu des

idées théocratiques des grands pontifes du début du siècle. C’est pourquoi, dès le lendemain de son élection au pontificat, il s’empresse de condamner la tendance franciscaine des « spirituels », que Célestin V avait soutenue.

Des franciscains évangéliques comme Jacopone da Todi et Ubertin de Casale attaquèrent violemment le pontife ; leurs pamphlets rejoignent les pamphlets français, plus politiques, contre le même pape.

Le conflit avec le roi de France

débuta en 1296 par une escarmouche, le pape menaçant d’excommunier les princes qui exigeraient des clercs certains subsides. Le roi Philippe IV le Bel, très habilement, fit porter le conflit sur le terrain du droit féodal, approuvé par l’Église : les évêques, en tant que titulaires de fiefs, doivent au roi leur

« aide » pécuniaire. Boniface VIII ré-

pondit par la bulle Ineffabilis amoris (20 sept. 1296), qui est de ton modéré.

Il est vrai que le pape rencontrait alors de sérieuses difficultés en Italie, où les « politiques », le clan Colonna, s’alliaient avec les « spirituels » pour attaquer Boniface VIII, accusé par eux d’avoir fait emprisonner Célestin V.

Le pape décida de donner à son

pouvoir un éclat nouveau et inusité ; dans cette vue, il inaugura en 1300 un grand jubilé, où affluèrent les pèlerins du monde entier. Des imprudences

verbales du cardinal d’Aquasparta émurent les souverains temporels. Ne proclamait-il pas : « Voici les deux glaives... Par moi règnent les rois... »

Le pape lui-même écrivait aux Florentins : « Le pontife romain, vicaire du Tout-Puissant, commande aux rois et aux royaumes, il exerce le principat sur tous les hommes. »

Le procès intenté par le roi de France à l’évêque de Pamiers, Bernard Saisset, relança la polémique avec Philippe le Bel. Par la bulle Ausculta fili (5 déc.

1301), Boniface menaça le roi et posa la question de principe : la supréma-

tie du pontife sur les rois au spirituel comme au temporel. À l’instigation de ses légistes, Pierre Flote et Guillaume de Nogaret, Philippe le Bel convoqua les états généraux en 1302, qui donnèrent tort au pape. Celui-ci s’emporta et menaça le roi, s’il ne se soumettait pas, de le déposer comme un petit gar-

çon (sicut unum garcionem).

Par la bulle Unam sanctam du

18 novembre 1302, Boniface proclama solennellement que le glaive temporel était subordonné au spirituel. Alors le roi, assez bassement, porta la lutte sur le plan personnel, attaquant le pape à propos de ses moeurs et de la validité de son élection. Il préconisa même la réunion d’un concile général pour juger Boniface. L’ « attentat d’Anagni » du 7 septembre 1303, où le pape fut insulté par Sciarra Colonna et Guillaume de Nogaret, termina en fait le conflit, car le pontife mourut un mois après, des suites, dit-on, de ses émotions. Si l’événement d’Anagni, qui répond, après deux siècles, à Canossa, a tant frappé les imaginations, c’est qu’il ré-

vèle une coupure entre deux époques et deux mentalités, entre le monde médié-

val et le monde moderne. L’unité de la chrétienté va tendre à se dissoudre et à éclater en nations indépendantes.

P. R.

F Philippe le Bel.

C. Baumhauer, Philip der Schöne und Bonifaz VIII (Leipzig, 1920). / J. Rivière, le Problème de l’Église et de l’État au temps de Philipe le Bel (Champion, 1926). / T. S. Boase, Boniface VIII (Londres, 1933). / H. X. Arquillière, l’Augustinisme politique : essai sur la formation des théories politiques ou Moyen Âge (Vrin, 1934).

/ G. Digard, Philippe le Bel et le Saint-Siège de 1285 à 1304 (Sirey, 1937 ; 2 vol.). / A. de Lévis-Mirepoix, l’Attentat d’Anagni, 7 septembre 1303 (Gallimard, 1969).

Bonington

(Richard Parkes)

Peintre anglais (Arnold, Nottingham-shire, 1802 - Londres 1828).

À l’âge de quinze ans, il part avec sa famille pour Calais, où le peintre Louis Francia (1772-1839), de formation

anglaise, lui enseigne l’aquarelle. Ce procédé, rénové en Angleterre par Thomas Girtin (1775-1802) et John Sell Cotman (1782-1842), est à la base de sa formation, puis de toute son oeuvre.

Le jeune homme affirme dès 1818 son tempérament de coloriste dans l’aquarelle du Port de Calais (Paris, B. N.), d’une extrême simplicité d’exécution et justesse de teinte.

La même année, Bonington arrive

à Paris, où il va faire carrière. Il fré-

quente quelque temps l’atelier de Gros*. Il prend contact avec de jeunes artistes, Paul Huet, Eugène Isabey, Delacroix*, qui admire la précocité de ses dons et lui porte dès lors une fidèle amitié. Étudiant les collections du Louvre, il préfère les écoles du Nord. Il copie à l’aquarelle des oeuvres de Jordaens, Rubens, Ruysdael, Philippe de Champaigne...

En 1821, Bonington parcourt la

Normandie et le nord de la France, qui étaient alors le pôle d’attraction du romantisme* franco-anglais ; en 1823, il se rend en Belgique. De ses voyages, il rapporte de nombreuses études à l’aquarelle, qui lui servent de modèles pour des lithographies. En downloadModeText.vue.download 538 sur 583

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 3

1635

effet, il collabore au grand recueil des Voyages pittoresques et romantiques dans l’Ancienne France, dirigé depuis 1820 par Charles Nodier, le baron Taylor et Alphonse de Cailleux ; en 1824, il publie une suite lithographique des Restes et fragments d’architecture du Moyen Âge.

Bonington assume tout l’idéal de

l’époque romantique : ses aquarelles des Bords de Seine à Rouen (Manchester, Whitworth Art Gallery), ses Vues de l’Église Saint-Vulfran d’Abbeville (Paris, B. N.), du Mont Saint-Michel (musée de Calais), du Pont Notre-Dame à Paris sont l’expression d’un sentiment naturaliste nouveau. Les conquêtes de la peinture en plein air, la vitesse d’exécution, le triomphe de la couleur pure sur la forme dessinée,

alliés à une justesse des détails digne des Flamands, s’imposent également dans ses peintures à l’huile : ses Marines (Louvre, musée de Besançon), la vue du Parterre d’eau de Versailles (Louvre) ou le Transept de l’église Saint-Bertin à Saint-Omer (Nottingham Castle Museum).

En 1825, Bonington se rend à

Londres avec Delacroix. Quelques