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Problème de la souffrance

Le point de départ de la pensée bouddhique fut l’idée de la souffrance. On

raconte qu’à l’âge de vingt-neuf ans le Bouddha fut profondément touché par les misères humaines, misères qui sont liées entre elles : naissance, vieillesse, maladie, mort. Cette idée constitua déjà une des originalités du bouddhisme par rapport aux philosophies de l’Antiquité chinoise. D’une façon générale, ces philosophies acceptaient la condition humaine. On y étudiait les lois de la nature humaine, de la société et de l’univers. On essayait de mieux comprendre ces lois afin de mieux vivre cette condition. On faisait la distinction entre le bien et le mal, l’ordre et le désordre, etc. On s’efforçait d’éviter le mal et le désordre, mais on ne cherchait pas à fuir sa condition d’être. Or, dans le bouddhisme, ce qui provoqua la réflexion du Bouddha, ce furent les misères non pas en tant que condition extérieure, mais en tant que réalité irréductible. Prenons, par exemple, le cas des maladies : elles ne sont pas un état contraire à la bonne santé, mais les manifestations de la maladie, un élément absolu, imposé à nous et lié à la forme de notre être. La bonne santé ne nous délivre pas de la maladie, pas plus que la mort ne nous délivre de la souffrance ; car, d’après la croyance indienne au samsāra, à la mort succé-

dera une autre naissance, puis une autre mort ad infinitum.

Cette re-naissance n’est pas une

transmigration de l’âme individuelle.

La vie présente est à l’image d’une vague, provoquée par une autre vague et qui, à son tour, en provoquera une autre. Nos actes et nos pensées (karma) ont des causes antérieures et produiront des effets dans l’avenir. L’être d’un individu est constitué d’une chaîne de causes et d’effets. Cette chaîne n’est pas isolée, mais insérée dans un ensemble fait d’innombrables causes et effets ; c’est ce qu’on appelle le samsāra, la « roue de la naissance et de la mort ». Cet engrenage implacable est la cause de notre souffrance.

Tous les êtres vivants dans l’univers sont impliqués dans cet engrenage. Il ne s’agit pas ici, à proprement parler, d’un monde mécanique où la liberté n’existe pas. Nos actes peuvent être libres ; mais, s’ils ne sont pas dirigés vers notre délivrance, ils ne sauraient créer que de nouveaux effets et n’ajou-

teraient à l’engrenage que de nouvelles complications et conséquences.

C’est dans la forme même de notre être que réside la souffrance ; il y a, pour ainsi dire, une identification entre l’existence et la souffrance. Pour nous libérer de cette souffrance, il faut connaître ce qu’est l’existence.

Analyse de l’existence

Toutes les écoles bouddhiques s’accordent pour penser que le monde et le

« moi » qui constituent l’existence sont illusoires ; il n’existe pas de substance immuable, permanente. C’est l’école

« Rien que la conscience » qui s’attacha plus particulièrement à élaborer un système philosophique pour démontrer cette thèse. Par une minutieuse étude du monde psychique, elle explique que les choses et les êtres du monde exté-

rieur ne sont que des produits illusoires de notre esprit. Les images de l’imagination se mêlent aux images reçues et en deviennent inséparables. On aboutit, après de longues analyses, à tout assimiler aux images de l’imagination.

Certains philosophes chinois modernes rapprochent cette conception de la théorie idéaliste subjective de Hume.

D’après le système « Rien que la

conscience », la vie mentale peut être divisée en huit facultés : de I à V, cinq perceptions sensorielles (la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le sens tactile du corps) ; VI, conscience qui accompagne downloadModeText.vue.download 580 sur 583

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 3

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les cinq perceptions et les perceptions intérieures (sentiments, imagination, mémoire, pensées) ; VII, conscience réflexive, le « moi » conscient ; VIII, conscience impersonnelle, universelle, appelée « conscience du tréfonds ».

Du fond de cette conscience surgit, d’une part, le « moi » conscient avec nos facultés de perceptions et, d’autre part, les germes (bīja = zhongzi ou tchong-tseu) qui font naître dans nos sens le soi-disant « monde objectif ».

C’est aussi dans cette conscience que sont déposées les images reçues et les

notions intellectuelles qui exercent une influence sur nos perceptions et pensées futures.

L’homme ignore que le monde et le

« moi » ne sont que les produits de cette conscience de tréfonds et s’attache avec passion à ces illusions : d’où la souffrance. Cette ignorance fondamentale est appelée « non-illumination »

(avidyā = wuming ou wouming). Le

salut s’obtient par la suppression des illusions et par l’illumination (bodhi =

puti ou p’ou-t’i).

On peut dire qu’avant le bouddhisme les Chinois ne se posèrent pas le problème du salut. Toutes les philosophies avant les Han forment un ensemble qu’on pourrait appeler « philosophie de l’harmonie », harmonie entre l’individu et la société, entre l’homme et la nature... Dans le bouddhisme, l’homme n’essaie pas d’imposer un ordre au monde ; son salut est dans le refus de sa condition fondamentale d’être.

Problème du salut

D’après la conception bouddhique, les choses de l’univers sont des manifestations de la conscience universelle ; les consciences individuelles, elles aussi, sont des manifestations de cette conscience. Le « moi » est un ensemble de phénomènes qui n’a pas de substance propre. Une fois niée l’existence du monde et du « moi », que reste-t-il ?

Il reste vide, disent certains, principalement ceux des écoles du Petit Véhicule (hīnayāna = xiaocheng ou hiao-tch’eng). Cette conception paraît trop simpliste, sans possibilité de développement. D’autre part, elle est en contradiction avec la tradition philosophique chinoise, d’esprit plus réaliste. Les écoles du Grand Véhicule (mahāyāna

= dacheng ou ta-tch’eng) soutiennent que ce vide n’est pas un vrai vide ; s’il l’était, rien ne pourrait se produire. À

leurs yeux, le monde illusoire vient de notre ignorance, qui voile la conscience universelle, et le salut est dans la ré-

vélation de cette conscience sous sa forme pure, appelée bhūtatathāta ou

« Nature du Bouddha ». D’autres l’appellent aussi l’« Esprit ». Ainsi, après avoir affirmé que tout est illusoire, le bouddhiste mahāyāniste affirme que

tout est Esprit. Et, du même coup, le ton extrêmement pessimiste devient optimiste. « Tout est vain pour moi »

devient « tout me concerne », car tout est dans une subjectivité, y compris ma propre conscience. Le monde matériel, auparavant méprisé, reçoit tout d’un coup une lumière transcendante.

Zhizang (Tche-tsang [549-623]), un des grands maîtres de l’école du Chemin moyen, expose la théorie de la double vérité :

1o Les gens du commun considèrent toutes choses comme ayant une existence réelle (you ou yeou) et ignorent qu’en vérité elles ne sont pas et qu’il y a seulement le non-existant (wu ou wou). Mais dire qu’elles ne sont pas est aussi faux, puisqu’elles sont d’une certaine façon. Il faut admettre que les choses ne sont ni you ni wu ;

2o Dire que les choses ne sont ni you ni wu reste encore une affirmation grossière. La vérité supérieure est que les choses ne sont ni you ni wu, ni non-you ni non-wu. En fin de compte, il ne faut rien affirmer ni nier. La vérité est dans la dialectique des deux, au-delà de tout jugement conceptuel.

L’école « Rien que la conscience »

élabore une approche intellectuelle du salut. Selon elle, en saisissant peu à peu la structure véritable du monde, nous atteindrons la « Nature du Bouddha ».