confréries pieuses qui ont existé dans le monde du travail dès la période féodale et en retiennent quelques rites et signes de reconnaissance. Le compagnonnage devient au XVIIe s. un moyen de défense, par la grève et par l’interdit jeté sur les villes dans lesquelles le régime du travail est jugé trop dur. Ce moyen se révèle efficace : en 1649, on prescrit le livret ouvrier ; en 1660, les compagnons doivent être inscrits sur les registres de police à Paris, puis dans d’autres villes ; on interdit les grèves.
Un type de manufacture se trou-
vera privilégié, celle qui travaille pour l’État, et notamment pour la gloire et le décor du Roi-Soleil. La manufacture de tapisserie des Gobelins et celle de Beauvais naîtront à cette époque. Colbert réorganise les ateliers du Louvre, créés par Henri IV ; en 1671, l’industrie de luxe échappe aux réglementations et jouit ainsi de la souplesse qui manque désormais aux autres industries. Toutefois, même dans le traitement privilégié accordé à tout ce qui touche aux beaux-arts, l’influence de l’État est évidente : c’est pour Versailles et pour la Cour que travaillent les ouvriers d’ameublement de Boulle comme les tapissiers de la Savonnerie ; on récompense, en les anoblissant, un Le Brun, un Le Nôtre, un Mansart, tous issus de la bourgeoisie.
Colbert, fils de drapiers rémois, mariant ses trois filles aux ducs de Chevreuse, de Beauvilliers et de Mor-temart, et possédant des résidences non seulement à Paris, rue Vivienne, mais aussi à Sceaux, à Fontainebleau et à Versailles, est le portrait type de la bourgeoisie de l’époque, qui occupe toutes les hautes charges de l’Administration (sous Louis XIV, les ministres appartiennent tous à la bourgeoisie) et réunit à la fois la fortune et le prestige, puisqu’elle accède à la noblesse. Son action et sa mentalité sont représentatives de toute la classe à laquelle il appartient ; il se fait une vertu du travail et, en cela, il est en avance sur son temps, puisqu’on recherchait encore l’acquisition des richesses à travers les conquêtes, la fabrication de l’or, etc. ; pour lui comme pour l’ensemble de la bourgeoisie, c’est le travail qui est
source de richesse.
Ce travail est donc estimé, mais, par un singulier contraste, le travail manuel, lui, paraît méprisable. C’est qu’entre-temps toute une éthique s’est élaborée, liée à l’épanouissement d’un humanisme renouvelé du monde antique et adoptée par les universitaires aussi bien que par l’ensemble de la bourgeoisie dès le XVIe s. Ce n’est pas un hasard si, à la même époque, on voit l’esclavage reparaître dans les colonies d’Amérique, et cela en pleine civilisation chrétienne, alors qu’il avait disparu en Occident depuis le haut Moyen Âge. Cette éthique s’exprime sans ambages dans les traités de droit. Dans son Traité des ordres et simples dignités, le juriste Antoine Loyseau établissait ainsi une nette distinction entre ceux qui peuvent être appelés « bourgeois »
et font partie du tiers état (gens de lettres des quatre facultés, financiers, juges, avocats et tous ceux qui font métier de droit et marchands) et ceux qui sont réputés « viles personnes »
(laboureurs, sergents, artisans, gens de bras) et forment le « sot peuple ».
C’est assez dire que l’élimination de la noblesse féodale n’a aucunement diminué l’esprit de caste, qui reparaît downloadModeText.vue.download 24 sur 573
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 4
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dans la bourgeoisie elle-même. Mais l’idéal de celle-ci ne doit plus rien à l’ancienne chevalerie : c’est l’honnête homme, nettement séparé du peuple et nourri dans les collèges d’humanisme gréco-romain.
L’épanouissement d’une classe et d’une éthique est parfaitement marqué par les noms qui l’illustrent : Corneille, Racine, Molière, Boileau, La Bruyère, Pascal et, généralement, tous les repré-
sentants de notre littérature et de notre pensée classiques, qui, tous, appartiennent à la bourgeoisie, à l’exception de La Rochefoucauld et de Fénelon.
Une philosophie nouvelle est formulée par l’un de ses membres, Descartes* ; elle puise ses sources, il est vrai, à l’ancienne scolastique et chez Aristote, mais avec un apport original qui en fait
une création nouvelle. Descartes pose le principe de la table rase : c’est le rejet du passé. Il n’admet que la raison raisonnante dans la recherche de la vé-
rité ; il subordonne cette recherche aux
« dénombrements exacts » et assimile la vérité et l’évidence (ce qui se voit du dehors), toutes opérations de l’esprit qui ne pouvaient que plaire à une classe d’hommes peu soucieuse de rappeler un passé dans lequel son activité était souvent brimée par les coutumes existantes et habituée à raisonner sur des valeurs de quantité.
L’épanouissement intellectuel, littéraire et artistique de la bourgeoisie se fera dans un cadre étatiste ; c’est au XVIIe s. que naissent les diverses académies*. L’ensemble représente un effort pour introduire règles et ordonnances dans le monde de la pensée, des arts, des lettres, etc. Or, cet ordre sera maintenu pendant toute la grande période de la bourgeoisie, c’est-à-dire jusqu’en notre XXe s. ; il est à remarquer que toute la formation scolaire et universitaire jusqu’à notre temps inclusivement sera fondée uniquement sur l’humanisme gréco-romain à travers la littérature classique et sur la pensée cartésienne ; toute autre forme de culture sera bannie comme n’étant pas la « culture ». Le dernier vestige du théâtre populaire — et, donc, d’une culture populaire — est interdit en 1676 au profit de la troupe de Molière et du Théâtre-Français, qui jouissent du monopole des spectacles.
L’influence de l’Antiquité classique sur les lettres et sur la pensée correspondait à celle du droit romain sur les institutions. Or, ce droit romain tendait à renforcer l’autorité du père, calquée sur celle du paterfamilias antique, à la fois chef militaire, propriétaire et grand prêtre. Aussi bien assiste-t-on au XVIIe s. à un renforcement de l’autorité du père et du mari, parallèle à celle du monarque dans les institutions publiques ; c’est alors, selon une tendance affirmée par les théoriciens du droit privé comme Tiraqueau et Dumoulin, qu’est établie juridiquement l’incapacité de la femme mariée ; notons d’ailleurs que c’est à cette époque, au début du XVIIe s., que la femme prend le nom de son époux ; un arrêt du parlement
de 1593 l’avait écartée de toutes les fonctions de l’État. D’autre part, on retarde l’âge de la majorité, que les coutumes féodales, dans la plupart de nos régions, fixaient généralement pour la fille à douze ans et pour le garçon à quatorze ans ; elle est reculée jusqu’à vingt-cinq ans. Pour la première fois, la législation royale exige le consentement des parents au mariage des enfants jusqu’à l’âge de la majorité ; dans le cas où les enfants passent outre, si la fille est mineure, donc âgée de moins de vingt-cinq ans, on considère qu’il y a rapt, c’est-à-dire un délit que la loi punit de mort.
La disproportion devient très forte entre la situation du mari et celle de la femme en cas d’adultère : le mari coupable ne s’expose à aucune peine, alors que la femme adultère doit être recluse dans un monastère. Il suffit du reste de lire les comédies de Molière pour constater cet affaiblissement de la situation de la femme, comme pour y voir (Monsieur de Pourceaugnac) le déclin généralisé du provincial à la Cour.