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La fin de l’Ancien Régime

« Un long règne de vile bourgeoisie », disait Saint-Simon à la fin du règne de Louis XIV ; et de nous décrire le dépit, la fureur des parlementaires —

la noblesse de robe, tous grands bourgeois — lorsque, sous leurs yeux, par un lit de justice, est cassé le testament du Roi-Soleil. C’est qu’en effet, par ce coup de force, le Régent amorçait une réaction nobiliaire ; la noblesse, qui n’avait joué au XVIIe s. qu’un rôle de décor et n’avait eu d’autre occasion de se distinguer que dans les exploits militaires, cherchait à présent à reconquérir le pouvoir perdu. Elle y parviendra : au contraire de ce qui s’était passé sous Louis XIV, tous les ministres, tous ceux qui composent le Conseil du roi, sous Louis XVI, sont des nobles, comme tous les évêques.

Une seule exception : Necker. Elle est significative : la bourgeoisie des financiers détient désormais la place prépondérante. Le système de Law (1716) a éveillé et étendu le goût de la spéculation dans les diverses couches

d’une bourgeoisie qui, si elle est attirée par le profit, a toujours manifesté en France un besoin profond de sécurité. Ce goût se manifeste d’ailleurs aussi dans la noblesse et même chez de très simples gens du peuple. Mais, dans l’ensemble, l’activité financière qui marque le XVIIIe s. est le fait de bourgeois comme Antoine Crozat,

Samuel Bernard et Necker lui-même.

On compte cinquante et un banquiers à Paris dès 1721, et c’est aussi le temps où apparaissent les agents de change : cent seize charges avaient été créées dès 1695. En 1726 est réorganisée la Ferme générale : une association de financiers, ou traitants, qui garantissent au Trésor un revenu annuel de 80 millions moyennant quoi ils lèvent les im-pôts comme ils l’entendent et réalisent à leur profit d’énormes fortunes. Il n’est pas sans intérêt de constater l’alliance souvent étroite entre ces financiers et les grands philosophes, eux aussi issus de la bourgeoisie, tels Voltaire, Fonte-nelle, Condillac, Montesquieu. Antoinette Poisson, marquise de Pompadour, femme et fille de financiers, sera aussi la protectrice des philosophes de son temps, lesquels ne dédaignent aucunement de spéculer pour leur compte personnel.

Un retournement complet de l’opinion est alors opéré, entre les temps médiévaux et le siècle des philosophes, dans la façon de considérer non seulement l’activité financière en général, mais aussi l’acquisition de fortunes scandaleuses : un Jacques Coeur avait été exilé, un Semblançay pendu ; Nicolas Fouquet, lui, est le dernier des financiers condamnés pour concussion.

On assiste à un duel d’écrits et d’influence entre l’Église, qui maintient les anciennes interdictions du prêt à intérêt (avec, toutefois, la distinction, établie dès le XVe s., entre prêt pur et simple et capital productif), et le monde de la philosophie et de la finance. Les écrits de Turgot, notamment, dans la ligne de ceux de Benjamin Franklin, dont l’ouvrage intitulé le Moyen de s’enrichir ne compte pas moins de cinquante-six éditions en français, établissent que les « préjugés » sur l’usure ont été instaurés dans les « siècles d’ignorance ». À quoi de nombreux libelles, souvent l’oeuvre de très simples curés, répondent en démontant le mécanisme

du prêt à intérêt : « Les emprunteurs s’indemnisent des intérêts à payer ; les marchands en gros se déchargent de cette indemnité sur les marchands en détail, et ceux-ci sur le peuple, qui supporte ainsi l’intérêt des prêts à jour du commerce, des dépôts de billets à terme ou à ordre, des lettres de change, etc. » (Groethuysen).

Dès 1745, la lettre Vix pervenit adressée aux évêques d’Italie par le pape Benoît XIV renouvelait expressé-

ment les prohibitions traditionnelles du prêt à intérêt, c’est-à-dire la perception mécanique d’un intérêt fixe sur toutes espèces de prêts, étant entendu qu’un loyer pouvait être perçu pour l’argent prêté à titre de capital, partageant les risques de l’entreprise. Cette lettre Vix pervenit devait être étendue à l’Église universelle par le pape Grégoire XVI en 1836 ; elle précède d’une dizaine d’années l’apparition du Manifeste de Karl Marx, proclamant la non-productivité essentielle de l’argent.

La bourgeoisie

triomphante

C’est sur une crise financière que tombe l’Ancien Régime, et on relève qu’après divers avatars succédant à la Révolution française c’est un banquier, Jacques Laffitte, qui, pour la première fois dans l’histoire, préside aux destinées de la France : il est le premier président du Conseil nommé par Louis-Philippe. Entre-temps, la Banque* de France avait été créée en 1800, trois mois après ce coup d’État de Brumaire qui avait eu pour objet de confier le pouvoir à un militaire ayant l’armée bien en main : Bonaparte. La Banque sera administrée par des ré-

gents, nommés par les deux cents plus importants actionnaires. C’était, on l’a fait remarquer, « une République de capitalistes », une oligarchie financière constituée à ses débuts par des banquiers d’Ancien Régime qui avaient traversé sans encombre la période révolutionnaire. Jacques Laffitte lui-même est le successeur de Perrégaux ; Mallet, Lecouteulx de Canteleu, les Suisses Delessert et Hottinguer, etc., sont des noms déjà connus dans les milieux financiers soit avant, soit pendant la période révolutionnaire. La bour-

geoisie, au moment où elle s’empare du pouvoir politique — le seul qui lui ait échappé jusque-là —, possède aussi l’instrument de sa puissance financière, puisque le monopole des billets de banque et des opérations d’escompte est octroyé à la Banque.

La monarchie de Juillet* verra

d’autre part un grand développement industriel. Une première période d’expansion se place sous la Restauration, entre 1822 et 1826 : c’est alors que la downloadModeText.vue.download 25 sur 573

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 4

1704

machine à vapeur est introduite, notamment dans l’industrie des textiles, l’industrie métallurgique, les mines et les sucreries. Mais le progrès décisif est celui qui introduit cette même machine à vapeur dans les transports avec la loi de 1842, qui organise les chemins de fer par l’intermédiaire de compagnies concessionnaires. Cette même période est marquée par l’apparition de la presse commerciale, avec, en 1836, la Presse d’Émile de Girardin, et aussi par la première agence de publicité, organisée en 1845 par Duveyrier à Paris.

Sur un tout autre plan, la Révolution* française a réalisé et mis au point des tendances qui avaient été celles de la bourgeoisie dès ses origines ou à peu près. On l’a définie : l’avènement de la loi ; c’est peut-être en effet l’un de ses aspects les plus importants, exerçant son influence non seulement sur la vie publique, mais aussi sur la vie privée, les moeurs et, somme toute, la vie quotidienne du pays tout entier. En substituant aux coutumes une loi unique, émanant d’un pouvoir centralisé, la Révolution et l’Empire instituèrent réellement un ordre nouveau ; cet ordre avait un effet positif en ce qu’il effa-

çait toute trace d’arbitraire et substi-tuait aux diversités locales un régime commun à tous. On retrouve dans cette préoccupation d’imposer la loi l’intérêt pour le droit romain, qui, déjà, inspirait les légistes de la fin du XIIIe s. Aux États généraux, le tiers état est composé de six cents députés, qui, à une dizaine d’exceptions près, appartiennent tous

à la moyenne ou à la petite robe, ou alors à la bourgeoisie des négociants, propriétaires terriens ou membres des professions libérales.

Des scissions ne devaient d’ailleurs pas tarder à se produire entre ceux qui représentent la bourgeoisie d’affaires, plus conservatrice — ce sont les Girondins — et ceux qui représentent les avocats, les procureurs, etc., plus doctrinaires et dont le type achevé est Robespierre, avocat d’Arras. Par-delà les soubresauts engendrés par ces scissions et les deux circonstances dans lesquelles se montre le peuple proprement dit (la Grande Peur dans les provinces en août 1789 et, à Paris, la Commune en 1793), le résultat de l’activité révolutionnaire, du point de vue juridique, se trouve condensé dans ce Code civil que promulgue Napoléon le 21 mars 1804. La propriété y est définie comme le droit d’user et d’abuser — donc calquée sur l’ancienne loi romaine. Le Code institue par ailleurs l’autorité absolue du père et du propriétaire ; il ne considère l’homme qu’en tant qu’individu, mettant d’avance obstacle à tout ce qui pouvait faire revivre un esprit d’association demeuré vivant même sous l’Ancien Régime.