La propriété foncière aura désormais ce caractère de propriété capitaliste préconisé par les physiocrates dès le XVIIIe s. et caractérisant toujours l’exploitation agricole de notre temps : la terre doit rapporter, ce qui en exclut ceux qui se contentent d’en vivre et entraîne aussi la disparition d’anciens droits d’usage, celui de la vaine pâture, etc., lointains souvenirs de la coutume féodale. La vente des biens* nationaux avait d’ailleurs eu pour effet de faire passer une partie importante de la terre entre les mains de ceux qui détenaient l’argent. On a pu évaluer à deux tiers environ des acheteurs les bourgeois, commerçants, hommes de loi ou propriétaires venant de la ville et à un tiers les cultivateurs et artisans — la surface réelle de terre achetée par ces derniers étant beaucoup moins importante que celle qui passait entre les mains de la bourgeoisie.
Le Code civil demeurait muet sur tout ce qui concerne le travail et les salaires.
Après la suppression des maîtrises et des jurandes par la loi d’Allarde ainsi que des compagnonnages par la loi Le Chapelier en 1791, il laissait face à face le manufacturier et le manouvrier en une époque où, précisément, allait naître la grande industrie. On verra ainsi au XIXe s. le travail de la femme et de l’enfant exploité sans la moindre limitation ; la loi de 1841 avait pour objet d’interdire le travail des enfants de cinq à huit ans dans les fabriques
« dangereuses ou insalubres » ; elle ne devait être acceptée qu’avec difficulté et grâce à l’influence de quelques personnalités, comme celle de Montalembert ; le corps d’inspecteurs du travail chargé d’en assurer le contrôle ne sera mis en place qu’en 1874. À cette date seulement, l’âge limite pour le travail de l’enfant fut fixé à douze ans, et ce n’est qu’en 1892 que fut interdit le travail de nuit pour les femmes dans les usines. À cette époque, la journée de travail était de dix heures au moins ; le repos hebdomadaire ne fut imposé par la loi qu’en 1906, et les congés payés qu’en 1936.
Parallèlement à la centralisation apportée par la loi s’opérait la centralisation administrative. La France de la période révolutionnaire était partagée en départements ayant chacun en un point central son chef-lieu, où tous les citoyens pouvaient prendre connaissance de la loi. Le corps des préfets, agents du pouvoir, fut mis en place par Napoléon ; cette organisation consacrant la suprématie administrative et politique de Paris, où se trouvaient concentrés les capitaux et, plus tard, les sièges sociaux des sociétés anonymes, allait subsister à travers tous les changements de régimes, aux XIXe et XXe s.
Sur les préfectures et sous-préfectures était calquée l’organisation judiciaire, avec dans chaque canton un juge de paix, dans chaque arrondissement un tribunal de première instance ; c’était à Paris que se trouvait le Tribunal de cassation.
Une seconde période d’expansion
économique et financière aura lieu au XIXe s., pendant le second Empire*, sous l’influence du mouvement saint-simonien, qui détermine une sorte de mystique du progrès, notamment dans
le domaine financier et dans l’exploitation des techniques. La loi de 1867
sur les sociétés anonymes favorise le capitalisme* en lui donnant un caractère d’anonymat et d’irresponsabilité.
L’année précédente avait été accordée la liberté du courtage, qui facilitait les opérations en Bourse : la spéculation des valeurs sera licite en 1885 et, en 1886, on accordera toute liberté dans les taux de l’intérêt. C’est assez dire que, désormais, aucun contrôle ne s’exercera plus sur l’activité financière, stimulée à l’époque par l’afflux d’or qui provient du Nouveau Monde, puis d’Australie et d’Afrique du Sud.
On voit se multiplier alors les maisons de crédit (Crédit foncier et Crédit mobilier, fondés par les Pereire), les compagnies d’assurances et les grands magasins (en 1852, Aristide Boucicaut fonde le « Bon Marché », qui sera imité par beaucoup d’autres) ; en 1870, l’industrie française compte vingt-huit mille machines à vapeur pour six mille qui étaient en usage en 1848.
L’action d’un Adolphe Thiers* au XIXe s. pourrait être comparée à celle d’un Colbert, comme étant représentatif de sa classe. Sa carrière politique, commencée sous la monarchie de
Juillet et continuée dans l’opposition après 1863, l’amène à instaurer une
« République conservatrice » qui sera l’avènement d’une bourgeoisie d’intellectuels : professeurs, avocats, fonctionnaires, tous émanés de l’université d’État qu’avait fondée Napoléon en 1806.
L’influence déterminante de la
bourgeoisie est bien marquée durant cette seconde moitié du XIXe s. et la première moitié du XXe, notamment dans les deux domaines de l’activité économique et de l’activité financière, ainsi que dans l’enseignement. En effet, quelles qu’aient été les querelles de partis et les changements de gouvernements, les buts précédemment ébauchés d’élargissement des marchés pour assurer l’expansion industrielle et commerciale restent inchangés, comme en témoignent les guerres coloniales. L’esclavage avait été supprimé dans les colonies en 1848, mais il était remplacé par le travail forcé, qui ne fut aboli qu’en 1946 par le général de
Gaulle.
Par ailleurs, l’institution de l’enseignement primaire en 1880-1882 tra-hissait le souci de préserver le privilège intellectuel de la bourgeoisie en établissant deux ordres parallèles : le primaire, terminé par le brevet, et le secondaire, par le baccalauréat, ce dernier donnant seul accès à l’enseignement supérieur. La situation ne se modifiera que très lentement au milieu du XXe s. ; le recrutement des hauts fonctionnaires sera assuré par l’Université et les grandes écoles, comme l’École des sciences politiques.
Le premier coup sérieux porté à la fortune bourgeoise sera l’établissement de l’impôt sur le revenu en 1914. Au préalable, le droit de grève avait été reconnu aux ouvriers (1864), et un organisme de défense leur avait été donné avec la reconnaissance des syndicats (1884) ; la seconde moitié du XIXe s.
est d’ailleurs marquée par une extraordinaire prolifération de la petite et de la moyenne bourgeoisie, notamment celle des fonctionnaires et des petits commerçants.
C’est au milieu du XXe s. que devait commencer à se modifier sensiblement le visage de la bourgeoisie, composée aujourd’hui de cadres et de techniciens, d’universitaires, de membres de professions libérales et de membres de sociétés gérantes de grandes entreprises industrielles ou commerciales.
À ces modifications ont concouru à des degrés divers les bouleversements apportés par la Seconde Guerre mondiale dans l’équilibre européen, l’afflux de techniques nouvelles, l’exploitation de nouvelles sources d’énergie (pé-
trole, électricité) et, plus récemment, l’avènement des peuples coloniaux à l’indépendance.
Sociologie de la
bourgeoisie
Le terme de bourgeois désigne aujourd’hui autant le statut du propriétaire, un genre de vie particulier que l’appartenance à l’ensemble des bénéficiaires d’un mode downloadModeText.vue.download 26 sur 573