Выбрать главу

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 4

1705

de production capitaliste. La sociologie de la bourgeoisie se situe à la rencontre de deux traditions : la première s’inspire de l’analyse marxiste du fonctionnement du régime capitaliste, met l’accent sur le conflit inexpiable qui oppose la bourgeoisie au prolétariat et annonce la victoire ultime de celui-ci sur celle-là ; la seconde tradition, à la suite de Max Weber, se veut moins proche de la philosophie de l’histoire et prétend s’attacher tout à la fois aux éléments aisément objectivables qui définissent une classe sociale et aux attitudes ou aux sentiments, plus difficiles à cerner, qui en constituent le lien.

Sociologie de la bourgeoisie

industrielle

Le processus d’industrialisation est lié à l’accession au pouvoir économico-politique d’une classe qui a pris conscience de son originalité et de son dynamisme : la bourgeoisie.

Au XVIIIe s., celle-ci s’organise économiquement, politiquement et idéologiquement. Utilisant les découvertes scientifiques et techniques rendues possibles par les progrès de la physique au cours des deux derniers siècles, n’hésitant point à « donner leurs chances » à des hommes nouveaux s’appuyant sur une organisation bancaire riche et puissante dont le caractère international est de plus en plus marqué, jouant du goût raffiné pour la spéculation qui dévore les couches nouvelles, parvenant bien souvent à passer des alliances — dans des relations de familles ou d’affaires — avec les représentants des anciens groupes dirigeants, elle se lance dans une politique audacieuse d’investissements, finance les constructions de manufactures de plus en plus importantes, accorde une place toujours accrue aux « mécaniques », développe les moyens de communication, bref, sur une large échelle, amorce ce mouvement qui conduira à ce monde technique au sein duquel nous vivons aujourd’hui.

Pour pouvoir mener à bien son entreprise de domination économique, la bourgeoisie industrielle et commerciale a bientôt besoin de contrôler le pouvoir politique et, puisque les monarchies tra-

ditionnelles de l’Europe refusent en géné-

ral de lui laisser la place qu’elle mérite, elle utilisera à son profit les mouvements d’agitation populaire. Significative est ainsi l’attitude des industriels français en juillet 1830 : ce sont les maîtres imprimeurs qui jettent les ouvriers sur le pavé et les poussent à l’action. Tel patron d’une entreprise de roulage sacrifie ses voitures pour l’édification des barricades.

Après 1830, en Angleterre et en France, la bourgeoisie contrôle largement l’État.

Elle a forgé son idéologie : le libéralisme, inspiré par les théoriciens du droit naturel du siècle précédent et, en particulier, par les travaux de J. Locke et de ses disciples. Construisant ses perspectives économiques autour des idées de A. Smith, de Ricardo et de leur vulgarisateur français J.-B. Say, la bourgeoisie libérale se veut doctrinaire de la liberté dans tous les domaines. C’est au nom de la liberté qu’elle achève le démantèlement des derniers bastions féodaux conservés par les monarchies absolues.

En affirmant que la liberté économique est le gage du progrès, que l’initiative individuelle combinée avec les principes du libre profit et de la libre concurrence doivent amener une amélioration constante des moyens de production et un accroissement continu tant en qualité qu’en quantité des richesses, donc une élévation du niveau de vie de l’humanité, en prétendant ne considérer l’État que comme un arbitre — destiné seulement à garantir l’application des contrats entre volontés individuelles libres — et comme un gestionnaire des affaires communes, la bourgeoisie se donne la sociologie de la bourgeoisie liberté effective de contrôler la société tout entière, à tous ses niveaux, de l’activité économique jusqu’à la vie privée en passant par le pouvoir politique.

La bourgeoisie comme classe sociale chez Karl Marx

La bourgeoisie institue ainsi un ordre qui protège ses intérêts de classe en confondant homme et bourgeois, faisant comme si tout le monde était bourgeois. C’est ce qu’affirme Karl Marx, qui, analysant le caractère « révolutionnaire » de la bourgeoisie, écrit dans sa Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel : « Cette classe émancipe la société tout entière

mais uniquement dans l’hypothèse que la société tout entière se trouve dans la situation de cette classe, qu’elle possède donc ou puisse procurer à sa convenance par exemple l’argent ou la culture. »

À l’essor de la bourgeoisie aux XVIIIe et XIXe s. font pendant la constitution et le développement d’une autre classe : le prolétariat.

Marx, qui définit la bourgeoisie comme la classe détentrice des moyens de production dans la société industrielle capitaliste, décrit ce qu’on pourrait appeler la « personnalité de base » du bourgeois en tant qu’en lui se reflète la duplicité d’un système où « dans les mêmes rapports dans lesquels se produit la richesse, la misère se produit aussi [...]. Ces rapports sociaux (bourgeois) ne produisent la richesse bourgeoise, c’est-à-dire la richesse de la classe bourgeoise, qu’en anéantissant continuellement la richesse des membres intégrants de cette classe et en produisant un prolétariat croissant » (Misère de la philosophie). On retrouve les traits d’une telle description du « bourgeois » dans toute une littérature indépendante du marxisme et peut-être même dans toute la littérature du XIXe s. Ainsi en est-il, entre autres, de Balzac, de Flaubert, de Barrés et, plus près de nous, de P. Claudel (l’Otage).

En premier lieu, le bourgeois est hypocrite. C’est là la manifestation psychique de son inauthenticité sociale. Il essaie de tourner l’ordre qu’en tant que classe et pour défendre ses intérêts la bourgeoisie a institué. Et Marx précise, dans l’Idéologie allemande : « C’est ainsi que le bourgeois débauché tourne le mariage et commet l’adultère en cachette ; le commerçant tourne l’institution de la propriété en faisant perdre à autrui sa propriété ; le jeune bourgeois se rend indépendant de sa propre famille quand il le peut et dissout pratiquement la famille à son profit ; mais le mariage, la propriété, la famille restent intacts en théorie, parce qu’ils sont en pratique les fondements sur lesquels la bourgeoisie a édifié sa domination. »

Les mêmes contradictions du système capitaliste, qui, selon Marx, obligent le bourgeois à affirmer l’universalité des principes pour chercher à les accommoder dans sa vie privée, l’obligent aussi à être à la fois avaricieux et prodigue. L’avarice est

à l’origine même de la bourgeoisie comme classe, puisque, « à l’origine de la production capitaliste — et cette phase historique se renouvelle dans la vie privée de tout industriel parvenu —, l’avarice et l’envie de s’enrichir l’emportent exclusivement » (le Capital, livre I). Mais, inversement, la prodigalité est une nécessité du statut bourgeois, qui doit faire étalage de richesses pour obtenir du crédit. Dès lors, « le luxe devient une nécessité de métier et entre dans les frais de représentation du capital »

(le Capital, livre I).

Agent fanatique de l’accumulation, le bourgeois ne sait pas vivre et ne voit jamais dans une chose la jouissance qu’elle contient, mais sa valeur d’échange. La réalité grise de la bourgeoisie suscite un imaginaire qui la compense et la conteste ; des romantiques exaltés regrettent la « vraie vie absente ». Cette réalité grise, Marx la décrit avec une violence elle aussi romantique : « Accumulez, accumulez ! c’est la loi et les prophètes ! Épargnez, épargnez toujours, c’est-à-dire retransformez sans cesse en capital la plus grande partie de la plus-value et du produit net ! Accumuler pour accumuler, produire pour produire, tel est le mot d’ordre de l’économie politique proclamant la mission historique de la classe bourgeoise. Elle ne s’est pas fait un instant illusion sur les douleurs d’enfantement de la richesse : mais à quoi bon les jérémiades qui ne changent rien aux fatalités historiques ? À ce point de vue, si le prolétaire n’est qu’une machine à produire de la plus-value, le capitaliste n’est qu’une machine à capitaliser cette plus-value » (le Capital).