La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 4
1709
basses terres, et les couloirs de vallée, qui semblent faciliter encore le passage, n’ont pris d’importance qu’avec la construction des canaux, puis celle des chemins de fer. Les vallées sont orientées d’ailleurs du nord-est au sud-ouest, alors que les échanges les plus actifs se nouent, depuis toujours, du sud-est au nord-ouest.
La province de Bourgogne, esquis-sée après les invasions, a tiré sa force de son rôle d’étape, de relais entre les pays mosans, mosellans et les plaines du Rhône, entre le Bassin parisien et les passages alpins et l’Italie. La multiplicité des itinéraires incitait à la dispersion de la vie urbaine. Cluny, à l’écart des grandes routes, semble-t-il, a été un des foyers majeurs de la
chrétienté. Autun, Charolles, dans les parties hautes, eurent longtemps autant d’importance que les villes de plaine ou de vallée : Chalon, Beaune, Dijon à l’est ; Auxerre, Tonnerre, Avallon, Paray-le-Monial à l’ouest.
Il fut un moment, entre le XIe et le XIIIe s., où la Bourgogne se trouva au coeur de tous les courants de relation de l’Occident : la splendeur des églises romanes (Vézelay, Paray-le-Monial, Tournus, Cluny, pour ce qui en subsiste) et l’importance des foyers de vie monastique, avec Cluny, mais aussi Cî-
teaux et, tout proche, quoique en terre champenoise, Clairvaux, témoignent de cette période faste.
La fixation à Dijon du centre politique de la province ne transforma réellement l’équilibre régional qu’à partir de l’époque des Grands Ducs d’Occident. Dijon bénéficiait de terroirs proches riches, de liaisons faciles avec les pays de la Seine, mais, dans cette direction, l’accroissement territorial était déjà limité par la cohésion de la Champagne et par la puissance gran-dissante des Capétiens. Vers l’ouest, l’expansion devenait difficile aussi à travers les hautes terres du Morvan, et le Nivernais ne gravita que peu de temps dans l’orbite bourguignonne.
Vers le sud-est, en revanche, la Bourgogne put s’étendre facilement à travers la plaine bressane. Mais Lyon, faible sur le plan politique, attirait déjà ces terres marginales. Le dessin de la Bourgogne des États tenait compte d’ailleurs de ces faiblesses, puisque les terres de la région de Bourg lui échappaient. Les départements de Saône-et-Loire et de la Côte-d’Or sont tout entiers taillés dans cette circonscription de la fin de l’Ancien Régime. L’Yonne a été bâtie en adjoignant au nord-ouest des terres bourguignonnes l’arrondissement de Sens. La Nièvre, enfin, a été adjointe aux autres départements faute d’avoir pu être liée à une autre construction régionale.
Les terres ainsi réunies ont un passé prestigieux tant par l’éclat de leur civilisation que par leur prospérité économique. Elles convenaient bien aux échanges et au commerce d’alors. La
Bourgogne est formée d’une mosaïque de petits pays très divers : montagne ancienne et froide du haut Charolais et du Morvan, plateaux calcaires éta-gés, collines de marnes riches, larges plaines aux sols variés, étroites corniches offertes au soleil levant. Sur un petit espace, on trouvait donc des vocations agricoles diverses, des complémentarités.
Le Nord et le Midi se disputent sans arrêt le ciel bourguignon, si bien que les moindres nuances de la topographie suffisent à créer des conditions favorables ici aux cultures délicates, là à l’élevage, ailleurs aux grandes emblavures. Des voies fluviales faciles permettaient de vendre au loin le vin, convoité par les peuples du Nord : il ouvrit la contrée au grand commerce.
La Côte d’Or, le Chalonnais, le Mâ-
connais se couvrirent de vignobles précieux, comme sur l’autre versant les plateaux de basse Bourgogne, autour de Chablis, bien placés qu’ils étaient pour étancher la soif de Paris.
L’Église est sans doute à l’origine de ce Vignoble. Mais la Bourgogne doit beaucoup à la cour des Grands Ducs, qui fit connaître les vins de Beaune et de Nuits, puis à la bourgeoisie des petites villes du Vignoble, soucieuse de bien produire pour bien vendre.
À la fin du XVIIIe s., la province avait d’autres atouts sur le plan économique.
Le sol des plateaux du nord portait un blé précieux. Les bois y étaient nombreux aussi, et l’on y trouvait des mi-nières dispersées : une métallurgie de qualité s’était épanouie. Plus au sud, la région du Creusot était la seule en France, avant 1789, à se lancer dans la fabrication de fonte au coke à l’anglaise.
Certaines parties de la Région
connaissent une prospérité continue depuis deux siècles : ainsi en est-il du Vignoble de la Côte. D’autres secteurs ont su évoluer avec leur temps, comme ces terres grasses du Charolais, depuis longtemps consacrées à l’embouche, comme aussi ces terroirs des pays bas-bourguignons, autour de l’Ouche et de la Tille, qui évoquent les meilleures parties du Bassin parisien et parfois, déjà, l’Alsace et la plaine rhénane. Cer-
taines villes aussi ont prospéré : villes minières comme Montceau-les-Mines ; villes industrielles comme Le Creusot et Chalon-sur-Saône ; centres régionaux surtout, comme Nevers et surtout Dijon.
La situation actuelle
Mais le bilan d’ensemble de l’évolution est finalement médiocre. Les bonnes terres du Charolais et du Nivernais, malgré leur prospérité apparente, sont souvent sous-exploitées, car l’élevage y est extensif. Le Morvan reste un pays pauvre, malgré son charme, qui lui vaut maintenant d’attirer les touristes. Les plateaux du nord sont d’immenses solitudes, où des boisements maigres recouvrent une partie de ce qui fut autrefois labouré. Le pays de Montceau-les-Mines souffre du recul de l’extraction houillère.
Tout se passe comme si l’avance
dont jouissait le pays à la fin du XVIIIe s.
(que l’on songe à ses routes, à ses canaux) et comme si l’introduction précoce du chemin de fer avaient, en fin de compte, desservi cette province.
Trop proche de Paris, trop tôt et trop profondément ouverte, la Bourgogne a été profondément touchée par les crises agraires du siècle passé, par la chute des prix du blé, par les ravages du phylloxéra. Elle s’est vidée sans réussir partout à se reconvertir.
Dijon avait pourtant une chance
exceptionnelle : le P. L. M. en fit la plaque tournante ferroviaire d’un quart de la France. Cette ville ne sut pas saisir l’occasion ainsi offerte : elle resta une cité à la bourgeoisie cultivée, un grand marché agricole, mais elle ne sut pas se tourner vers l’industrie ou vers la banque, comme le faisaient à la même époque la Comté ou le Lyonnais voisins.
L’évolution de la province se lit clairement dans la vétusté de certains de ses équipements : les canaux ne sont plus au gabarit des trafics modernes, la voie ferrée a perdu toute activité, sauf sur les grands axes qui se croisent à Dijon. Des aménagements ont lieu, mais ils répondent à des besoins nationaux plus que régionaux : cela se lit
nettement lorsqu’on considère aussi le tracé des autoroutes : Dijon, la métropole régionale, reste à l’écart, cependant que Beaune devient l’étoile essentielle de l’est de la France.
La Région offre un des meilleurs exemples de ce qui peut advenir à un espace qui se vide de sa substance humaine : dans le monde moderne, où les ressources ne pèsent plus guère sur la localisation des activités de production, les grands espaces peu peuplés sont incapables de supporter les équipements nécessaires à l’essor d’une vie de relation active. Les moyens se concentrent alors dans les régions urbaines les mieux placées : il en est quelques-unes en Bourgogne. Nevers est un centre vivant, qui domine une zone où les industries mécaniques, héritées de la métallurgie du siècle dernier, se développent rapidement.