Mais une si brusque mutation
des structures sociales et politiques entraîne en 1817-18 l’explosion de l’équivalent cinghalais de la « révolte des Cipayes ». Comme la mutinerie de 1857, cette date marque pour Ceylan la fin du vieil ordre établi : celui du
royaume de Kandy. Les Britanniques tirent certaines leçons de la révolte : ils réforment l’Administration et favorisent l’essor des travaux publics, qui permettent une meilleure infrastructure routière et, par là même, un contrôle militaire plus aisé.
Des raisons fiscales (crainte — justifiée ou non — d’une augmentation d’impôts) et des expropriations abusives, en liaison avec le développement d’une économie de plantation, provoquent une nouvelle insurrection en 1848. Maté en quatre jours, le mouve-downloadModeText.vue.download 6 sur 577
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 5
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ment est surtout grave par la répression disproportionnée qu’il entraîne.
Néanmoins, les Anglais ont réussi à s’implanter solidement, et la Pax britannica peut s’établir dans toute sa plénitude.
y Pax britannica. L’oeuvre économique majeure des Britanniques est d’intégrer Ceylan dans le cadre d’une économie de plantation. Cette mutation est de toute évidence une des pièces maîtresses de l’empreinte britannique à Ceylan. Elle se fait surtout par le biais de deux productions : le café et le thé.
Le café, dès 1830-1835, sonne le glas de la traditionnelle agriculture vivrière. Pour Ceylan, le développement sur une grande échelle de la caféiculture est une révolution comparable, toutes proportions gardées, à la révolution industrielle britannique. Il marque une coupure décisive aussi bien dans le domaine économique que dans celui des structures sociales ou du contrôle politique.
C’est dans la région de Kandy que, de 1830 à 1880, ce développement est le plus spectaculaire. Le café devient même l’objet d’une spéculation foncière effrénée aux conséquences sociales et humaines souvent déplorables : l’introduction d’une culture spéculative entraîne une « privatisa-
tion » assez large du domaine public ou royal (nindagama), causant à de multiples petits paysans la perte de récoltes secondaires, qui constituaient souvent leur seul surplus commercialisable, et les privant d’une sorte de droit de vaine pâture. Cette appropriation du domaine royal se fait dans l’immense majorité des cas au profit des classes dirigeantes britanniques (militaires ou fonctionnaires). Par ailleurs, la culture du café accélère, quand elle ne crée pas, une immigration des Indiens du Sud, immigration de la misère dont les participants sont souvent en butte aux mauvais traitements des planteurs.
Le thé achève cette intégration économique de Ceylan dans le circuit mondial. Introduite de 1820 à 1840
soit de Chine, soit de l’Assam, ce n’est qu’en 1867 que la culture du thé prend son véritable essor, remplaçant à partir de 1880-1895 celle du café. Pourtant, ce développement est assez lent, car les cours internationaux du café montrent une remarquable tenue. Plusieurs facteurs lui permettent de s’imposer. La rouille qui, dès 1868, a fait son apparition, tend à se généraliser dans les années 1880, entraînant une décadence irrémédiable du caféier. Le thé, en outre, possède de nombreux avantages propres : il a en Grande-Bretagne un marché assuré ; il peut pousser à n’importe quelle altitude et, toujours vert, se cueille n’importe quand, évitant les à-coups du café.
Peu à peu, le thé devient l’élément essentiel de l’économie cinghalaise, permettant même, par l’accumulation de capitaux qu’il provoque, le développement d’autres cultures de plantation : notamment l’hévéa, qui, introduit à Ceylan dès 1876, végète jusque vers 1910, date à laquelle l’énorme demande de la toute jeune industrie automobile américaine lui donne un essor décisif.
Économique, la pénétration britannique s’exerce aussi dans un cadre politique et institutionnel. Soustraite en 1802 au contrôle de la Compagnie des Indes, Ceylan devient colonie de la Couronne britannique et, comme telle, dépend du Colonial Office. L’île est sous le contrôle du gouverneur, assisté
d’un Conseil consultatif de six fonctionnaires. Mais les transformations sociales dues au passage à une économie de marché rendent nécessaires certaines réformes politiques, ne serait-ce que pour se concilier une élite cinghalaise de plus en plus anglicisée. Tel est le but du Conseil législatif de 1833, qui doit obligatoirement donner son aval à toutes les décisions financières ou législatives : il est composé de vingt et un membres, dont onze fonctionnaires et dix non-fonctionnaires, censés re-présenter les diverses collectivités cinghalaises.
Ainsi tracé, le cadre institutionnel britannique changera peu. Tout au plus dans la seconde moitié du XIXe s.
s’efforcera-t-on d’exiger des fonctionnaires britanniques à Ceylan une compétence et une intégrité égales à celles des agents de l’Indian Civil Service.
(V. Inde.)
En 1915 éclatent des troubles dus essentiellement au fanatisme religieux.
Tout débute à cause du sectarisme des Moors, ou Maures de la côte (commerçants musulmans de l’Inde du Sud récemment immigrés), qui voient d’un mauvais oeil passer des processions bouddhistes devant leurs mosquées.
Or, si les Moors anciennement établis se sont bien intégrés dans la population, il n’en va pas de même pour les nouveaux arrivants, que leur intransigeance rend bientôt suspects aux yeux d’une population déjà exacerbée par les difficultés économiques consécutives à la guerre (hausse des prix notamment).
Le 28 mai, jour de la célébration de la naissance du Bouddha (Vesak Day), des troubles éclatent notamment à Kandy : violences et pillages entraînent, le 2 juin, la proclamation de la loi martiale. Mais, ainsi qu’en 1848, la répression gouvernementale, disproportionnée par rapport aux évé-
nements, manque complètement ses effets.
Malgré ces incidents de 1848 et de 1915, le XIXe siècle cinghalais est dans l’ensemble paisible et bien représentatif de l’âge d’or victorien.
La Première Guerre mondiale,
comme en Inde, va plus ou moins trou-
bler ce bel ordre établi en développant chez la bourgeoisie libérale de Ceylan un désir sinon d’autonomie, du moins de plus grande participation aux affaires publiques.
Dès le début du XIXe s., l’Association nationale cinghalaise devient le lieu de regroupement de tous ceux qui désirent une réforme constitutionnelle. En 1917
se crée la Ceylon Reform League, et 1919 voit la constitution, sur le mo-dèle indien, mais en plus modéré, du Congrès national cinghalais, dont les principales revendications sont : la
« cinghalisation » des hauts emplois administratifs ; l’élargissement du Conseil législatif, dont la majorité devrait être composée de membres élus et non plus nommés par le gouvernement, et dont la présidence irait de droit à un membre élu et non plus au gouverneur.
L’agitation croissante contraint la Grande-Bretagne à accorder une nouvelle Constitution en 1924. Cette Constitution donne la majorité aux conseillers élus et élargit les compé-
tences du Conseil.
Mais, par un processus inéluc-
table, les revendications se radicalisent vite. Le développement de la classe moyenne (favorisé par le boom sur le caoutchouc) aboutit à de nouvelles revendications politiques, car la Constitution de 1924 maintenait aux gouverneurs un pouvoir de décision en matière législative et financière ; la nouvelle Constitution de 1931 instaure un véritable suffrage universel (bien qu’avec quelques exceptions). Dans ce contexte, il devient possible de confier à des Cinghalais certaines responsabilités ministérielles : éducation, santé, agriculture (cf. l’action du ministre de l’Agriculture D. S. Senanayake).
Les années 30 marquent une cou-
pure décisive dans les revendications politiques cinghalaises : c’est l’époque où les options virent franchement à gauche. 1934 voit l’intelligentsia cinghalaise lancer le slogan « Independence for Ceylon » (cf. le Pūrna Svarāj de Nehru), franchissant ainsi un degré décisif dans l’escalade politique et se réclamant de plus en plus de Marx, de Lénine ou de Trotski. En 1935, cette