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De son côté, Piéron, dès 1908, faisait du comportement l’objet d’étude de la psychologie, qu’il considérait comme une science biologique, distincte de la physiologie, mais, à la limite, réductible à elle. En dépit de cette prise de position précoce et de l’activité scientifique importante de Piéron, c’est seulement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que l’étude du comportement a pris véritablement son essor en France. La raison de ce retard doit être cherchée principalement dans les résistances opposées à toute étude objective du psychisme humain par la tradition philosophique française dominante, essentiellement fondée sur le spiritualisme et le mentalisme.

C’est certes aux États-Unis que la notion de comportement a connu son succès le plus immédiat et le plus large.

Il avait été préparé par les premières études de psychologie objective, notamment de psychologie animale, comme celles qui furent entreprises d’abord par E. L. Thorndike. C’est l’article de J. B. Watson, en 1913, Psychology as the Behaviorist Views It, qui marqua l’acte de naissance du béhaviorisme. Pour la première fois se trouvaient énoncés clairement et rigoureusement les principes d’une psychologie rejetant tout recours à l’introspection et ainsi entièrement fondée sur la mise en relation des réactions d’un organisme et des stimuli objectifs qui agissent sur lui.

Par rapport à cette conception, il est particulièrement important de bien délimiter la place que la négation de la conscience ou de la subjectivité est appelée à tenir dans une psychologie de comportement. Cette place peut être définie de trois manières bien distinctes.

La plus extrême consiste à dénier explicitement sinon toute réalité, du moins toute existence efficace à la conscience, conçue comme un « épi-phénomène ». Cette façon de voir est en fait une curiosité philosophique ; on ne la rencontre jamais dans les écrits des chercheurs, et elle n’est guère prise en considération que par les philosophes spiritualistes, qui s’en servent comme d’un repoussoir.

Une seconde prise de position, que l’on peut qualifier de positivisme absolu, consiste à refuser le recours non seulement à la notion de conscience ou de subjectivité, mais encore à tout concept, fût-il hypothétique, renvoyant à une variable ou à une réalité interne.

Pour les tenants de cette conception, dont le plus illustre est B. F. Skinner (né en 1904), il n’y a pas lieu, du moins à l’étape actuelle, d’élaborer de théorie tentant de décrire et d’expliquer ce qui se passe entre les stimuli et les réactions ; il suffit d’essayer de dégager les relations existant entre ces deux classes d’événements observables.

Enfin, une troisième orientation consiste à s’appuyer sur ces relations pour inférer soit des variables définies de façon mathématique, soit des entités — mécanismes ou processus, caractéristiques individuelles, etc.

— auxquelles on prête une existence réelle et qui se situent entre les stimuli et les comportements, à l’intérieur de l’individu.

Ce qu’il importe de souligner, c’est, d’une part, qu’il existe un accord absolument unanime entre tous ceux qui pratiquent la psychologie scientifique et, au-delà d’eux, les éthologistes, sociologues, linguistes, ethnologues et autres chercheurs en sciences humaines objectives, pour considérer que l’observation des comportements est le seul point de départ possible d’une recherche scientifique fondée.

Mais, d’autre part, ce avec quoi ces comportements sont mis en relation relève de choix épistémologiques et philosophiques divers. Autrement dit, le béhaviorisme inclut une option commune à tous les psychologues scientifiques, celle qui fait du comportement la base de toute étude objective en psychologie, et, à côté de cela, des choix qui lui sont propres et qui sont souvent restrictifs, sur ce qu’il est possible de construire sur cette base.

C’est pour échapper à la confusion entre la reconnaissance du concept de comportement et le béhaviorisme que certains auteurs ont pris l’habitude d’utiliser, à la place de comportement, le terme de conduite, largement illustré dans l’oeuvre de Pierre Janet*. En fait, dans la plupart des cas, ce terme ne signifie, dans sa dénotation, rien de plus ni de moins que « comportement » ; mais ses connotations sont différentes en ce qu’il ne renvoie pas directement à behavior et à béhaviorisme et sous-entend le droit que s’attribue l’auteur qui l’emploie de faire appel à des entités internes pour l’expliquer.

Les unités de

comportement et leurs

paramètres

Le comportement d’un individu se présente à l’observateur comme une totalité étalée dans le temps et structurée. Tenter de l’analyser, c’est d’abord la découper en unités élémentaires de comportement, qu’il soit possible d’identifier, de compter et, éventuellement, de mesurer ou d’ordonner.

Le problème ainsi posé n’est plus de savoir ce qu’est le comportement, mais ce qu’est un comportement ou une classe homogène de comportements.

Une réponse possible à cette question consiste à rechercher le découpage le plus analytique possible : on est alors très proche du point de vue du physiologiste et l’on peut étudier isolément les mouvements d’une partie du corps, voire la contraction d’un seul muscle, la sécrétion d’une glande. Une telle étude analytique d’une classe limitée de comportements se justifie dans la mesure où ceux-ci sont représentatifs

d’une classe plus étendue, ou même de l’ensemble des comportements. Celui qui est choisi est alors traité méthodologiquement comme un indicateur d’une réalité qui le dépasse.

Cependant, on préfère fréquemment utiliser des unités de comportement plus larges : ce sera, par exemple, chez l’animal la construction d’un nid ou le parcours d’un labyrinthe, chez l’homme le fait de prononcer un certain mot ou d’écrire au cours d’un test une réponse déterminée à l’avance et définie par le psychologue comme la

« bonne » réponse. Dans aucun de ces cas on ne se préoccupe, le plus souvent, de savoir dans le détail quels muscles ont été contractés ou quels organes ont été mis en jeu à tel ou tel moment ; on se contente de définir le comportement par son résultat objectif : ce que l’on prend alors comme fait de base, c’est le nid, construit ou non, le parcours effectué par l’animal, l’émission du mot, la trace laissée par la réponse écrite du sujet. Les diverses activités — avec leurs variations plus ou moins étendues — qui ont permis d’atteindre ce résultat constituent une classe d’équivalence : l’unité de comportement correspond alors assez bien à ce que le langage ordinaire appelle un acte ou une conduite. On parle aussi parfois, à ce propos, de comportements molaires, pour les opposer aux précé-

dents, plus analytiques, qui sont qualifiés de moléculaires.

D’une manière générale, la dimension du comportement adoptée pour l’observation dépend essentiellement de considérations d’opportunité et du cadre dans lequel on désire en situer l’étude.

Il reste alors à mesurer selon divers paramètres le comportement ainsi identifié. D’abord, il est possible d’observer si, dans des conditions données, il est présent ou absent. C’est à ce cas que correspondent les mises en rapport d’un stimulus et d’une réaction répondant à cette question : qu’est-ce qui déclenche tel comportement ? La présence ou l’absence est la première caractéristique d’un comportement.

Lorsque les conditions de son ap-

parition sont répétables — ce qu’on s’efforce de réaliser dans les situations expérimentales —, on peut aussi déterminer sa fréquence soit pour une unité de temps fixe, soit par rapport à la présentation d’une situation ou d’un stimulus constants ; on pourra constater, par exemple, qu’un conducteur de véhicule freine dans 60 p. 100 des cas quand il perçoit un feu tricolore passant à l’orange. Il arrive que l’on additionne ensemble des comportements quelque peu différents, mais qui appartiennent à une catégorie définie à l’avance : ainsi, on pourra faire le compte total des « bonnes réponses »