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Grecs, Yougoslaves et Espagnols ainsi que des prisonniers de guerre sovié-

tiques (ils sont les seuls à ne pas être protégés par la Convention de Genève, que l’U. R. S. S. n’a pas signée). Ainsi s’établissent de nouveaux rapports entre les communautés nationales ou idéologiques, tandis que subsiste la différence fondamentale entre les détenus politiques et les détenus de droit commun. Elle se traduit souvent par une lutte opiniâtre des premiers pour arracher aux seconds, qui les monopolisent, quelques postes clés dans la hiérarchie concentrationnaire.

À la fin de 1941, les conséquences de l’entrée en guerre contre l’U. R. S. S.

vont alourdir le régime des camps.

Pour refaire ses effectifs, Wilhelm Keitel obtient en effet la mobilisation dans la Wehrmacht de 1,5 million de travailleurs allemands, qu’il faudra bien remplacer. Pour la première fois, le problème de la main-d’oeuvre apparaît à l’horizon ; dans le cadre des mesures prises pour obtenir une victoire totale sur le front russe, Himmler crée le 29 septembre 1941 dans les Kom-mandanturen de tous les camps une section d’Arbeitseinsatz (engagement au travail) directement aux ordres de l’inspection d’Oranienburg et chargée d’organiser le travail des détenus.

Cette décision, qui, pour Himmler, n’est pas exempte d’une certaine publicité vis-à-vis du Führer, officialise plus qu’elle ne crée un état de fait. En réalité, les nombreuses entreprises SS

permettaient déjà de fructueuses opé-

rations financières. En février 1941, Göring s’était en outre intéressé à la main-d’oeuvre des KL et avait réclamé 10 000 à 12 000 détenus pour créer une usine de caoutchouc synthétique (Buna), qui fut pour cette raison installée par l’IG Farben près d’Auschwitz (Auschwitz III - Monowitz).

L’année 1941 fut sinistrement

marquée par la première expérience d’extermination collective par le gaz

« cyclon B », pratiquée par les Allemands à Auschwitz le 3 septembre

1941 sur 600 prisonniers soviétiques et 298 détenus malades. Son « succès » permettra au printemps suivant

le début de la liquidation systématique des convois d’israélites (v. juifs). Mais 1941 connaîtra aussi une singulière recrudescence de la résistance dans les territoires occupés. Le 28 septembre, le commandement militaire allemand en France (Otto von Stülpnagel) publie le Code des otages, où pour la première fois apparaît ouvertement la menace d’« envoi dans les camps de concentration en Allemagne ». Le 7 décembre, enfin, Keitel signe, sous le timbre militaire de l’OKW (Oberkom-mando der Wehrmacht), la fameuse

ordonnance secrète Nacht und Nebel (Nuit et Brouillard) : voulant réprimer le « terrorisme » par la terreur, il enjoint au commandement de remettre non plus aux tribunaux militaires mais à la Gestapo pour exécution ou envoi dans les camps tous ceux qui, dans les territoires occupés, « intentent à la sécurité de l’armée allemande ». Ainsi apparaît une nouvelle catégorie de dé-

tenus, les NN, qui doivent être mis au secret total vis-à-vis du monde exté-

rieur (ils ne doivent pas participer au commando de travail hors des camps) et sont voués à la disparition. Pour Himmler, l’opération est doublement rentable, puisqu’elle compromet directement dans son système le haut commandement, y compris l’organe militaire concurrent de l’Abwehr, dont les représentants doivent à partir de février 1942 remettre les NN qu’ils arrêtent à la Gestapo.

1942-1945

L’extermination par le

travail

« La guerre a manifestement changé la structure des KL et notre tâche en ce qui concerne l’organisation de la détention. La garde des détenus, pour de seules raisons de sûreté, de redressement ou de prévention, n’est plus au premier plan. Le centre de gravité s’est maintenant déplacé vers le côté économique... » Ainsi s’exprime le SS Obergruppenführer Oswald Pohl, chef de la direction administrative et économique des SS (WVHA) en pré-

sentant l’ordonnance du 30 avril 1942, qui sera la charte des camps durant les trois dernières années de la guerre. Ce changement d’optique annoncé dès

la fin de 1941 n’est certes pas inat-

tendu. Il s’inscrit dans l’ensemble des mesures destinées à résoudre par tous les moyens le problème de la main-d’oeuvre, désormais vital pour l’économie de guerre et dont la solution est confiée depuis le 21 mars au gauleiter Sauckel.

Promus au rang de réservoir inépuisable de travailleurs, les camps verront leurs effectifs monter sans cesse, tandis que la condition des détenus deviendra de plus en plus précaire. Les articles 4 et 6 de l’ordonnance du 30 avril précisent que l’utilisation des détenus au travail doit être « épuisante (erschöpfend) au sens propre du terme, afin d’obtenir la plus haute production », que « la durée du travail fixée par le commandant du camp est sans limite », que « tout ce qui peut l’abréger doit être réduit au strict minimum », que « les déplacements et les pauses de midi ayant pour seul but le repas sont interdits ». Ainsi que l’affirme le ministre de la Justice Otto Thierack en septembre 1942, le régime des camps est devenu celui de l’extermination par le travail (Verni-chtung durch Arbeit).

L’ordonnance précise que l’inspection des camps cesse de relever du RSHA (direction de la sûreté) pour passer au WVHA (direction économique de la SS), réorganisé dans ce dessein en mars et qui emploie alors environ 1 700 personnes. Tandis que continue de s’aggraver l’aspect répressif de la vie des détenus et que se multiplient dans les camps les abominables expé-

riences biologiques, médicales, scientifiques, perpétrées par des médecins SS

sur des détenus, de très nombreux commandos de travail sont créés autour des grandes centrales concentrationnaires.

Certains d’entre eux, comme ceux du tunnel de Dora-Mittelbau, des mines de sel de Salzgitter et d’Helmstedt, des usines souterraines de Melk et d’Ebensee, de l’usine Siemens de Ra-vensbruck, comme la Baubrigade de Duisburg chargée du déblaiement des ruines causées par les bombardements alliés dans la Ruhr et tant d’autres encore, ont laissé de tragiques souvenirs.

À cette époque, le marché aux esclaves est l’occasion d’âpres débats aux plus hauts échelons de la hiérarchie du Reich entre Göring, grand maître du

plan, Albert Speer, ministre de l’Armement, et F. Sauckel, délégué à la main-d’oeuvre. Ceux-ci s’intéressent à la productivité et aux résultats mais se heurtent à l’implacable détermination de Himmler, pour lequel le caractère exterminatoire du travail l’emportera, quoi qu’il arrive, sur son rendement.

C’est pourquoi les SS se refuseront toujours à tenir compte des qualifications professionnelles des détenus, qu’ils louent en bloc aux entreprises d’État, à de nombreuses firmes privées, suivant les principes expérimentés dans les sociétés qui leur appartiennent et qui relèvent maintenant, au WVHA, d’un bureau spécial (W) réparti en huit sections (carrières et terres, alimentation, bois, forêts et pêcheries, textiles et cuirs, livres et images).

On s’explique ainsi qu’en encaissant le prix de location des journées de leurs détenus (3 à 5 mark par jour), les SS

aient pu amasser des sommes considé-

rables. Les comptes retrouvés du camp d’Auschwitz pour le mois d’avril 1943

sont éloquents à ce sujet : ils accusent 321 694 journées de travail payé, soit environ 10 000 hommes par jour dont 2 000 pour la firme IG Farben. En juillet 1943, cette dernière versera au WVHA une somme de 412 087,50 mark, correspondant à l’emploi des détenus minutieusement comptabilisés.

Ces multiples profits s’ajoutent aux biens de toutes sortes récupérés sur la personne des détenus vivants ou morts (opération Reinhardt). Soigneusement rassemblés dans des centres de tri, les bijoux (alliances), l’or (y compris les couronnes dentaires) et les devises sont versés à la Reichsbank de Berlin (d’avril 1942 à décembre 1943, elle encaisse ainsi 178 millions de mark récupérés au centre de tri de Lublin-Majdanek). Il fallait beaucoup d’argent à Himmler pour exécuter le plan grandiose de la germanisation du monde par les SS... et pour réaliser, par des placements à l’étranger, de fructueuses opérations personnelles. Mais, proclame-t-il en 1943, « on le gagnera en forçant ce rebut d’humanité, ces prisonniers et criminels professionnels à fournir un travail positif... ».