veloppement de l’idée « européenne »
lui aliénèrent plusieurs dirigeants du M. R. P. ; sa politique algérienne en éloigna d’autres, et, finalement, la situation dans le pays du Mouvement, déchiré entre des tendances contraires, ramena celui-ci à un niveau à peine plus élevé que le modeste Parti démocrate populaire (P. D. P.) entre les deux guerres mondiales.
Tout autre fut le succès de la démocratie chrétienne d’Italie sous le nom de parti populaire, parce qu’elle avait, en la personne de don Luigi Sturzo, trouvé dès l’origine un promoteur aussi hardi et clairvoyant que désintéressé, qui, dans le silence, en avait longuement pesé les chances de succès adap-
tées à son pays et à son temps. Succès obtenu d’emblée en 1919 grâce à la compréhension des circonstances par le pape Benoît XV, avec l’élection de cent députés « populaires » dans un Parlement qui n’en comptait pas un seul auparavant.
Don Sturzo, secrétaire général du nouveau parti, en a écarté jusqu’à l’appellation « chrétienne » pour souligner cette autonomie à l’égard de l’autorité religieuse (à la vérité plus apparente que réelle dans le milieu rural) que le Vatican avait refusée en 1903 à son ami Murri. Mais il aura le temps, durant le peu d’années qui séparent la fixation programmatique du parti populaire italien en 1919 de sa dislocation sous les coups du fascisme vainqueur en 1926, d’imposer une discipline telle à ses jeunes ou moins jeunes militants que l’un de ses meilleurs lieutenants, Alcide De Gasperi*, quand l’Italie renaît en 1945 à la liberté, conduira le parti démocrate-chrétien, dès les premières élections de l’après-guerre, à la parité avec les deux partis de gauche (l’ancien parti libéral s’étant effondré en même temps que la monarchie) et, le 18 avril 1948, à la majorité absolue au Parlement, où entreront quelque 300 élus d’appartenance démochrétienne.
Grâce à ce triomphe, qu’il ne voudra pas pour ses seuls affiliés, mais qu’il tiendra à étendre à d’autres partis d’ordre et de progrès sincèrement ré-
publicains et simplement respectueux de la foi religieuse, De Gasperi et, après lui, ses continuateurs assureront à l’Italie un relèvement économique rapide. Mais, avec le temps, la vie politique italienne se sclérose. Les crises sociales, sans cesse aggravées, l’ordre public, de plus en plus mis en cause par des groupuscules, enfin l’évolution de la société italienne dans ses profondeurs conduisent à un déclin très sensible de la démocratie chrétienne : aux élections régionales de juin 1975, cette dernière est talonnée par le parti communiste.
L’Allemagne fédérale, sous l’appellation « démochrétienne », a connu un destin analogue, après avoir admis dans la CDU les protestants et donné une couleur « chrétienne » à des orga-
nisations syndicales ou politiques qui s’étaient maintenues longtemps exclusivement « catholiques ».
Aux Pays-Bas également, protes-
tants et catholiques d’esprit démocratique avaient commencé à collaborer sur le plan parlementaire dès avant la Seconde Guerre mondiale, tandis qu’en Autriche, où, au XIXe s., le catholicisme social avait connu une efflo-rescence plus constructive que dans le monde latin, s’établissait après la Seconde Guerre mondiale, sous l’égide de Mgr Ignaz Seipel (1876-1932) et malgré la longue rancoeur des milieux socialistes contre les violences dont ils avaient été victimes sous le chancelier Dollfuss, une collaboration loyale entre des partis également démantelés par le Reich hitlérien.
En Amérique latine, le professeur Alceu Amoroso Lima et don Hélder
Câmara au Brésil, Eduardo Frei au Chili, Rafael Caldera au Venezuela incarnent ou incarnèrent la politique et l’idéal démocrates-chrétiens.
Le Sillon
Ce mouvement social d’inspiration chré-
tienne a son origine dans les conférences organisées par Marc Sangnier, dans la crypte du collège Stanislas, à Paris, en 1894, à l’intention de ses condisciples pré-
parant le concours d’entrée à l’École polytechnique. En 1899, le Bulletin de la crypte se fond avec le Sillon, petite revue litté-
raire fondée en 1894 par Paul Renaudin.
Marc Sangnier forme alors, sous le nom de
« Sillon », un comité qui définit son moyen d’éducation : le cercle d’études dans le patronage catholique.
La doctrine du Sillon est essentiellement personnaliste. Mettre en valeur la personne humaine pour la vouer au service de la cité, tel est son objectif, qui sera atteint par l’éducation des milieux populaires et s’élargira par la démocratisation de l’ordre social, la démocratie étant « la forme sociale et de gouvernement qui tend au maximum la conscience et la responsabilité de chacun ».
À la fin de 1900, on compte 21 cercles à Paris. Sangnier, devant ce succès, songe à reprendre à son compte la formule des universités populaires : en janvier 1901, il
crée les Instituts populaires, où enseignent les représentants de l’élite catholique, d’E. Branly à P. Thureau-Dangin, d’E. Fa-guet à G. Goyau, et où la libre discussion s’instaure. Entre-temps, le Sillon s’est ré-
pandu en province.
À partir de 1905, le mouvement sort du cadre social pour s’engager dans la politique. Il y prend une position ambiguë.
Républicain et catholique, le Sillon s’attire à la fois la haine des royalistes catholiques et celle des républicains anticléricaux. Le ralliement des démocrates-chrétiens se révèle difficile à une époque où l’Église de downloadModeText.vue.download 548 sur 587
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 6
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France est officiellement persécutée. Mais c’est évidemment à droite, dans l’Action française, que Sangnier compte ses ennemis les plus acharnés, Maurras en tête.
Cela n’empêche pas le chef du Sillon de fonder l’hebdomadaire l’Éveil démocratique (50 000 exemplaires) et de lancer en 1907 « le Plus Grand Sillon », mouvement laïque « qui se propose de travailler à réaliser la république démocratique ».
Une partie de l’épiscopat français s’inquiète. Dès 1906, l’évêque de Quimper interdit à ses prêtres d’assister à une réunion contradictoire animée par Sangnier ; en 1908, dix archevêques et vingt évêques interdisent à leur clergé de faire partie du Sillon.
Le 25 août 1910, Pie X adresse à l’épiscopat français une lettre où, après avoir loué les « beaux temps » du Sillon, il constate que ses membres ne sont pas suffisamment armés de sciences historiques, de saine philosophie et de forte théologie. Il leur reproche leur indépendance à l’égard de la hiérarchie, leur idéal de nivellement des classes, leur « démocratisme » mal élaboré. Le Sillon, selon Pie X, a pratiqué, jusqu’à l’erreur, le souci de partager les aspirations du siècle, la pratique de la charité aux dépens de la vérité chrétienne.
Ainsi désavoué, le Sillon disparaît. Sangnier se soumet. Beaucoup de ses disciples tomberont sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale ; mais les survi-
vants seront au premier rang du catholicisme militant au lendemain de la victoire (1919). De ce point de vue, l’influence du Sillon a été très importante.
P. P.
M. V.
Quelques représentants
de la démocratie
chrétienne
Konrad ADENAUER, v. l’article.
Rafael Caldera (San Felipe, Yaracuy, 1916), fondateur au Venezuela de la démocratie chrétienne (COPEI), président du Venezuela de 1969 à 1974. Étudiant en droit de l’université de Caracas, où il fonde une Union nationale des étudiants d’inspiration catholique, il consacre son attention aux problèmes du travail, comme en témoigne le sujet de sa thèse de doctorat (El derecho del trabajo, 1939). Après avoir été membre correspondant du B. I. T. à Caracas, il entre en 1941 à la Chambre des dépu-tés. En même temps, il enseigne la sociologie et la législation du travail à l’université de Caracas. En 1946, il fonde un mouvement social-chrétien destiné à orienter définitivement le Venezuela dans les voies de la démocratie, après une longue période de dictatures successives : le COPEI (Comité de organización política elec-toral independiente). Président de la Chambre des députés de 1959 à 1961, il est plusieurs fois candidat à la pré-