Il n’écrit que trois livres au cours de sa vie : The Confessions of an English Opium-Eater (1821), Klosterheim
(1832) et Logic of Political Economy (1844). Avant qu’il se décidât à faire publier ses OEuvres complètes, à la veille de sa mort, la quasi-totalité de sa production se trouve toujours dans les « magazines », à l’origine de la floraison des « essayistes » qui, aux noms des grands poètes romantiques, de Wordsworth à Byron, ajoute ceux de W. Hazlitt, C. Lamb, W. S. Landor ou T. L. Peacock. Il publie des nouvelles dans la Quaterly Review (1823). Au Blackwood’s Edinburgh Magazine, il donne, entre autres, son premier article On Murder considered as one of the Fine Arts (1827), Suspiria de Profundis (1846) et The English Mail-Coach (1849). Quant au Tait’s Magazine, il fera paraître à partir de 1834 ses Auto-biographic Sketches ou son Autobiography. Ses articles rempliront seize volumes. « Pleins d’intelligence du début à la fin » (Malcolm Melwin), ils dénotent une très profonde érudition, traitant aussi bien de l’Antigone de Sophocle que de la guerre (On War), d’astronomie (Systems of the Heavens) que d’économie politique (Dialogues of Three Templars on Political Economy), de philosophie (Kant and his Miscellaneous Essays) ou de critique littéraire générale (Rethoric, Style, Language). Partout on retrouve, avec le témoignage d’une grande indépendance d’esprit, la marque d’un jugement clair qui lui vaudra d’ailleurs des ennuis avec ses amis « lakistes » à propos des trop franches Reminiscences of the English Lake Poets (1834). À
la subtilité de l’investigation s’ajoute l’exactitude de l’analyse qui n’exclut pas un certain goût pour le mysté-
rieux, le paradoxe (Judas Iscariot, par exemple) et le pathos avec, plus ou
moins sous-jacent, l’humour : humour léger du début de la Malle-Poste anglaise, humour macabre Du meurtre considéré comme un art supérieur.
Mais ce sont surtout les Confessions d’un opiomane anglais, parues fin 1821 dans le « London Magazine », qui demeurent son oeuvre maîtresse aux yeux de la postérité. Elles assurent à De Quincey une place originale dans le romantisme et le situent encore vivant au coeur de l’actualité, un siècle et demi après leur parution. Romantique d’essence intime, De Quincey ne demande ni aux êtres ni à la nature de lui fournir la source de ses émotions et de ses transports. Son monde à lui est celui de
« la noire idole » en qui il a cru découvrir « le secret du bonheur ». Par elle désormais il va accéder à un univers de joies indicibles, de tortures savantes,
« de splendeurs [...] architecturales »,
« de lacs et d’étendues d’eau ». Aux visages humains multipliés à l’infini se mêle un bestiaire inquiétant. L’Orient et ses sortilèges y rejoignent la réalité présente. Et tout y est soumis à
« la chimie transfiguratrice » du rêve, support de l’extase visionnaire et aussi départ de la réflexion philosophique.
Servies par un style éblouissant, les Confessions annoncent la longue suite des confessions de tous les enfants du siècle et ouvrent à la suite de Kuala Khan la voie littéraire nouvelle des
« paradis artificiels » où s’engageront et se perdront parfois, de Baudelaire à Michaux, Gautier ou Maupassant, Huxley ou les poètes de la « beat generation » américaine.
D. S.-F.
M. Melwin, De Quincey (Londres, 1909). /
A. Barine, Névrosés. Thomas de Quincey. Gé-
rard de Nerval (Hachette, 1936). / F. Moreux, Thomas De Quincey (P. U. F., 1964). / A. Goldman, The Mine and the Mint, Sources for the Writings of Thomas De Quincey (Carbondale, Illinois, 1965).
Derain (André)
Peintre français (Chatou 1880 -
Garches 1954).
Son père, pâtissier-glacier enrichi, l’oriente vers les études secondaires et ensuite vers Polytechnique. Mais, dès
1895, le jeune garçon est passionné par la peinture. En 1899 il fréquente à Paris l’académie Carrière, où il rencontre Matisse*. En même temps il se lie avec Vlaminck*, qui habite également Chatou ; c’est là qu’en 1901-1902
ils louent une épicerie abandonnée qui leur sert d’atelier commun. Leur amitié sera longtemps fidèle malgré la diffé-
rence des tempéraments : Vlaminck, costaud pratiquant à l’occasion la course cycliste, autodidacte et « barbare », veut brûler les musées, tandis que Derain, athlétique mais réfléchi, copie le Portement de croix de Ghir-landaio au Louvre ! L’un et l’autre communient dans l’enthousiasme pour Van Gogh*, pour la couleur pure, éclatante et arbitraire ; c’est à l’exposition Van Gogh, chez Berheim-Jeune, en
1901, que Derain présente Vlaminck à Matisse : ainsi se noue le futur groupe des « fauves ».
Pendant son service militaire (1902-1904), Derain peint des compositions rutilantes comme le Bal à Suresnes (musée de Saint Louis, États-Unis).
Mais c’est surtout en 1904-1905 que ses peintures des bords de la Seine (péniches au Pecq, etc.) et de Londres (Hyde Park, Westminster) révèlent un artiste précocement maître de son style, encore influencé par le pointillisme néo-impressionniste*, mais imposant une vision du monde brutale et joyeuse, bien que plus composée, downloadModeText.vue.download 567 sur 587
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 6
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moins élémentaire que celle de Vlaminck. Il en sera de même durant l’été 1905 à Collioure, où Derain entraîne Matisse et d’où il rapporte une admirable série de vues du port, barques de pêche, etc.
Derain participe au grand scandale de la « cage aux fauves », gloire du Salon d’automne 1905. Il fréquente en même temps les divers milieux d’avant-garde, celui du « Bateau-Lavoir » où il rencontre Braque et Picasso, celui des poètes, Apollinaire et Max Jacob. Il est aussi l’un des premiers à collectionner les masques nègres du Congo, en atten-
dant d’y joindre terres cuites chinoises et portraits coptes. Il est salué par tous, à l’égal de Matisse, comme le pionnier du nouvel art.
Mais, très vite, il apparaît soucieux d’allier à l’éclat de la couleur la forme et la construction : sa Danse de 1907, ses premières sculptures marquent le parallélisme avec les recherches de Matisse. Pour Derain, le « carême » suit le « carnaval » fauve : dans les tableaux peints en Provence, en 1908 à Marti-gues, en 1910 à Cagnes (Vieux Pont, National Gallery of Art, Washington), la gamme chromatique s’assourdit, les ocres, les verts, les gris prennent la première place. Le « flirt » avec le cubisme* est aussi plus poussé, la géo-métrie plus rigoureuse. Derain inflé-
chit ses recherches dans le sens d’un
« gothicisme » aux lignes anguleuses, aux figures hiératiques et planes, qui révèle l’étude des peintres de Sienne et d’Avignon (Calvaire du musée de Berne, les Deux Soeurs à Copenhague et, parmi les « natures mortes composées », la Fenêtre à Bâle).
Après la Première Guerre mondiale, Derain accentuera son orientation vers un certain classicisme, moderne certes et libre, mais nourri des maîtres du passé, de Piero Della Francesca à Poussin. Il compose des paysages méditerranéens solennels et tristes, des nus puissants et durs qui se découpent sur des fonds de murs gris ou de rideaux, des portraits décoratifs et monumentaux, de graves natures mortes.
D’autre part, son goût pour le théâtre et pour les lettres va déterminer deux vocations nouvelles, celles du décorateur et de l’illustrateur. Pour les Ballets* russes, pour les Ballets 1933 et pour les « Soirées de Paris » organisées par le comte de Beaumont, il crée des décors et des costumes qui font revivre, en le modernisant, le style des fêtes et mascarades de l’âge classique (la Boutique fantasque, d’après Rossini, 1919 ; Jack-in-the-Box de E. Satie, 1926 ; etc.). De ses amis Apollinaire et Max Jacob, il avait déjà illustré avant la guerre l’Enchanteur pourrissant et Saint Matorel. Par la suite, il abordera des entreprises plus vastes (les Héroïdes d’Ovide, Pantagruel de