J.-L. M.
De Sanctis
(Francesco)
Critique italien (Morra Irpino, prov.
d’Avellino, 1817 - Naples 1883).
Le terrain de rencontre idéal entre la littérature et la politique fut, tout le long de la vie de De Sanctis, l’enseignement. Il n’est pas un de ses livres qui ne soit né de son activité professorale : à Naples (1839-1848), à Turin (1854-1855), à Zurich (1856-1860), de nouveau à Naples (1871-1876). Il fut d’autre part, en 1861, nommé par Cavour ministre de l’Instruction publique dans le premier cabinet du royaume d’Italie, le demeura en 1862 sous Rica-soli, le redevint en 1878 et en 1879-1881 (1er et 3e cabinets Cairoli). Il y prôna avec efficacité la démocratisation de l’enseignement et l’émancipation sociale que celle-ci suppose. (« Si vous vous contentez de donner l’instruction au peuple [...] il vous répondra : Laissez-moi mon ignorance puisque vous me laissez ma misère », La Scienza e la vita, 1872.) Loin de se limiter en effet aux problèmes spécifiques de l’Education nationale, De Sanctis ne cessa de travailler d’une part à l’éducation politique du peuple italien récemment constitué en nation, et d’autre part à l’organisation, au sein de la « Jeune Gauche », d’une opposition constitutionnelle, d’abord dirigée contre les gouvernements de droite, puis contre la corruption de la gauche elle-même après que celle-ci fut arrivée au pouvoir avec Depretis. Lutte qu’il mena aussi bien à la Chambre qu’à travers une intense activité de publiciste, en particulier par le quotidien Italia dont il fut directeur. Le rôle officiel qu’il joua dans la politique italienne à partir de 1860 ne doit cependant pas faire oublier qu’il n’hésita pas à payer de sa personne, dès 1848, sur les barricades de l’insurrection napolitaine, aux côtés de ses élèves. Ce qui le força d’abord à s’exiler en Calabre, puis lui valut l’accusation de mazzinisme et la prison (Naples, 1850-1853). Condamné à la déportation en Amérique, il parvint à gagner le Piémont, où il vécut de journalisme et de leçons privées avant d’être nommé à l’École polytechnique fédérale de Zurich.
Les années d’exil et d’emprison-
nément furent pour De Sanctis une précieuse occasion d’enrichissement intellectuel. En prison il lit et traduit
l’Histoire générale de la poésie de Karl Rosenkranz et la Logique de Hegel ; et à Zurich il est gagné aux idées de la gauche hégélienne, découvre la litté-
rature et la critique françaises contemporaines, lit Quinet, Proudhon, Heine, Schopenhauer, se lie avec Jacob Burckhardt et Friedrich Theodor Vischer (Lettere dall’esilio).
De Sanctis est le fondateur de la critique littéraire moderne en Italie. Son chef-d’oeuvre, Storia della letteratura italiana (1870-1871, 2 vol.), est le couronnement de trente ans d’enseignement et d’activité critique : premières leçons napolitaines (réunies par Croce en 1926 sous le titre : Teoria e storia della letteratura), cours turinois sur Dante, le dialogue Schopenhauer e Leopardi (1858), le Saggio critico sul Petrarca (publ. en 1869) et tous les articles d’abord parus en revue (en particulier dans la Nuova Antologia), puis rassemblés dans Saggi critici (1866) et Nuovi Saggi critici (1872). « Une histoire de la littérature suppose une philosophie de l’art, généralement admise, une histoire exacte de la vie nationale, idées, opinions, passions, moeurs, caractères, tendances ; une histoire de la langue et des formes ; une histoire de la critique et des travaux particuliers sur les différentes époques et les différents écrivains », prémisse méthodologique qui est aussi un constat de carence de l’historiographie italienne. De Sanctis reproche également à la critique ita-downloadModeText.vue.download 573 sur 587
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 6
3400
lienne de ne s’attacher qu’au contenu, au nom d’un sectarisme tantôt clérical (Cesare Cantù [1804-1895]) et tantôt radical et patriotique (Luigi Settem-brini [1813-1876]). Or, le propre de la critique est de définir l’autonomie de l’art, qui réside non pas dans le contenu
« soumis à tous les accidents de l’histoire », mais dans la forme « unité im-médiate et organique du contenu ». À
vrai dire, ce concept de forme sert surtout à De Sanctis pour articuler son histoire de la littérature italienne autour de grandes oppositions exemplaires, du type Dante/Pétrarque. Ses critères sont
moins formels que socio-historiques, et même politiques, dans la perspective ultime de l’unité italienne : son Histoire retrace en fin de compte le surgissement, dans la littérature italienne, de la conscience et de la liberté nationales (d’où le discrédit jeté sur la littérature du siècle par excellence de la « décadence nationale » : le XVIIe s.). De Sanctis, ancrant toujours sa réflexion sur les grandes individualités, se proposait de couronner son oeuvre par un troisième volume consacré à la littérature du Risorgimento, à partir de l’opposition Manzoni/ Leopardi, objet de ses dernières leçons napolitaines rassemblées après sa mort sous le titre Storia della letteratura italiana del XIX secolo. Il consacre ses dernières années, à travers l’oeuvre de Zola, aux problèmes critiques du réalisme, auquel se rattache d’ailleurs l’écriture des récits autobio-graphiques qu’il compose à la même époque : Viaggio elettorale (1875) et La Giovinezza (posthume).
J.-M. G.
B. Croce, Gli scritti di F. De Sanctis e la loro varia fortuna (Bari, 1917) ; Una famiglia di patrioti e altri saggi (Bari, 1919 ; 3e éd., 1949) ; Saggio sullo Hegel (Bari, 1927 ; 4e éd., 1948). /
L. Russo, Francesco De Sanctis e la cultura napoletana (Bari, 1928 ; nouv. éd., 1950). / C. Mus-cetta, Studi desanctisiani (Naples, 1931) ;
« F. De Sanctis » in Storia della letteratura italiana, t. VIII (Milan, 1968). / M. Holliger, F. De Sanctis, sein Weltbild und Aesthetik (Fribourg, 1949). / A. Gramsci, Letteratura e vita nazionale (Turin, 1950). / E. Cione, F. De Sanctis ed i suoi tempi (Naples, 1960). / P. Antonetti, Francesco De Sanctis, son évolution intellectuelle, son esthétique et sa critique (Ophrys, Gap, 1963) ; Francesco De Sanctis et la culture française (Didier, 1964). / S. Landucci, Cultura e ideolo-gia in Francesco De Sanctis (Milan, 1963). / E.
et A. Croce, Francesco De Sanctis (Turin, 1964).
désarmement
Action concertée menée dans l’intention d’obtenir une limitation, une suppression ou une interdiction de la fabrication ou de l’emploi de tous ou de certains armements dans le monde entier ou dans une zone géographique déterminée.
Introduction
Les notions de limitation des armements et d’arbitrage sont aussi anciennes que le fléau de la guerre. On en trouve les premiers signes aussi bien dans les cités grecques (accords de Mycènes, 1500 av. J.-C.) qu’en Chine (accords entre les provinces du Fleuve-Jaune et du Yangzi [Yang-tseu],
600 av. J.-C.). Au Moyen Âge, c’est l’Église catholique qui, par les notions de paix ou de trêve de Dieu, s’efforce de réglementer la guerre en cherchant à protéger les populations et à limiter les guerres privées, tandis que ses conciles de Clermont (1095) et du Latran (1139) tentent de proscrire l’emploi des armes les plus destructrices (arbalète).
Parallèlement, de même que les
papes s’efforcent de proposer leur arbitrage aux rois, ceux-ci l’imposent à leurs vassaux turbulents. Ces efforts s’accompagnent assez rapidement
d’une réflexion sur la guerre et la paix.
Au XIVe s., l’université de Salamanque essaie de définir la notion de « guerre juste ». Des théoriciens dressent des plans de paix perpétuelle depuis Henri IV et son grand dessein jusqu’à Kant (Zum ewigen Frieden, 1795), en passant par Jean Bodin, Grotius (De jure belli ac pacis, 1625) et l’abbé de Saint-Pierre. Les notions d’équilibre des forces et de désarmement régional ou partiel apparaissent lors du traité de Westphalie (1648). En 1815, la Sainte Alliance veut organiser la sécurité européenne ; en 1823, la doctrine de Monroe pose le principe de la non-intervention des Européens en Amé-