L’année suivante, Ensor au chapeau fleuri (musée des Beaux-Arts, Ostende) est le manifeste de son anticonfor-misme en même temps qu’un clin d’oeil à Rubens.
La détresse psychologique, l’éton-
nement inquiet qu’il peignait dans cette période « sombre », où se déchaî-
nait déjà sa puissance créatrice, sont brusquement parodiés dans le monde déconcertant inventé à partir de 1883, comédie parahumaine où les masques et les squelettes cherchent davantage à intriguer qu’à terroriser. La première composition importante de masques, les Masques scandalisés, prélude
aux recherches expressionnistes de l’école de Sint-Martens Latem. Puis, l’insolite augmente, s’introduit à travers les objets ; ceux qui sont mis à la mode par le japonisme côtoient les coquillages que la mer abandonne sur les grèves d’Ostende comme sur les estampes d’Hokusai. Les squelettes rêvent devant ces collections comme les Goncourt ou Whistler : Squelette
regardant des chinoiseries (1885, coll.
privée). Le réalisme du peintre se ré-
fugie dans des vues de sa ville et des toits sur lesquels donne son atelier : toits d’Ostende romantiques en 1884, naïfs comme un Utrillo en 1898, expressionnistes en 1906. En raison de son atavisme anglais, les critiques ont souvent cherché à rapprocher Ensor de Turner, de Hogarth ou de Rowland-son. Ces influences paraissent pourtant négligeables à côté de celle d’un certain « nonsense » cultivé par Lewis Caroll, Edward Lear ou les caricatures du Punch, mais interprété avec une tru-culence bien flamande.
Le griffonnage léger, le travail tout en nuances du Carnaval sur la plage (1887, en dépôt aux musées royaux
des Beaux-Arts, Bruxelles), la gaieté du Carnaval (1888, Stedelijk Museum, Amsterdam) précèdent l’Entrée du
Christ à Bruxelles (1888, coll. privée, Londres, en dépôt au musée des Beaux-Arts d’Anvers), oeuvre magistrale par laquelle le XIXe s. annonce les trouvailles irréalistes autant qu’expressionnistes du XXe s. La couleur construit la forme, un humour redoutable marque ces visages devenus masques, un symbolisme freudien anime ces masques plus vrais que des visages. Le génie d’Ensor se révèle avec une nouveauté tellement saisissante qu’il rencontre une incompréhension absolue : son
grand carnaval anarchiste scandalise presque autant ses amis que ses adversaires ; ses camarades du groupe des Vingt eux-mêmes, défenseurs de l’avant-garde (mais celle-ci n’est encore que l’impressionnisme français), n’acceptent pas d’exposer « cette galé-
jade ». Pendant une dizaine d’années, réfugié, disait-il, « au pays de nar-quoisie », Ensor produit des chefs-d’oeuvre où le fantastique est tantôt cocasse, tantôt angoissé : l’Étonnement du masque Wouse (1889, Anvers), les Masques singuliers (1891, Bruxelles).
Squelettes se disputant un pendu (1891, Anvers), les Poissardes mélancoliques (1892, coll. privée), les Cuisiniers dangereux (1896, coll. privée). Partout, les stridences des couleurs pures éclatent sur des variations colorées d’une subtilité infinie, dont la magie s’applique aussi au réalisme des natures mortes : la Raie (1892, Bruxelles).
L’incompréhension du public et de la critique fut si durable qu’elle incita cet artiste hypersensible et ombrageux à renoncer partiellement à son art et à se réfugier dans une misanthropie sar-castique que reflètent ses écrits polé-
miques, foisonnants de néologismes et de redondances ubuesques. De 1900 à 1939, année de ses dernières peintures, son oeuvre, malgré quelques réussites (Saint Antoine turlupiné, coll. privée), prolonge sans vigueur les trouvailles précédentes.
Dans ses dessins et ses gravures alternent l’expressionnisme lyrique (la Vive et Triomphante Entrée du Christ à Jérusalem, 1885, fusain), les paysages lumineusement poétiques (Grande Vue de Mariakerke, 1887, eau-forte ; le Grand Bassin d’Ostende, 1888, eau-forte), les caricatures rabelaisiennes (la Bataille des éperons d’or, 1895, eau-forte).
Les poètes furent les premiers à dé-
celer son génie : les symbolistes* lui consacrent un numéro de la Plume en 1899, et Verhaeren une biographie en 1908. À partir des années 20, Ensor est célébré, fêté, et le roi de Belgique lui donne le titre de baron. Chacun s’aper-
çoit enfin que le prodigieux répertoire onirique et plastique du maître annonce aussi bien les audaces d’Emil Nolde (qui vint le voir en 1911) que telles provocations de dada ou telles inventions de Klee. Comme Alfred Jarry, Ensor devance le XXe s., mais sans la cruauté de l’écrivain, car disait-il, « en broyant du noir, j’ai vu du rose ».
S. M.
P. Fierens, James Ensor (Hypérion, 1943). /
P. Haesaerts, James Ensor (Elsevier, Bruxelles, 1957). / J. Damase, l’OEuvre gravé de James Ensor (Motte, Genève, 1967). / F. C. Legrand, Ensor, cet inconnu (Renaissance du livre, Bruxelles, 1971).
entente
F CONCENTRATION.
enthalpie
L’une des fonctions caractéristiques
d’un système thermodynamique, définie par H = U + pv, relation dans laquelle H est l’enthalpie du système, U
son énergie interne, p sa pression et v son volume.
U, p, v étant des grandeurs d’état, il en est de même de H : sa valeur ne dépend que de l’état du système, et sa variation d’un état à un autre ne dé-
pend pas du chemin suivi. Toutefois, l’enthalpie n’est définie par la relation précédente qu’à une constante arbitraire près, comme l’énergie interne ; on trouve commode, pour diverses applications, de fixer cette constante par la convention suivante : on tient pour nulle l’enthalpie des corps simples, sous leur forme la plus stable, à 298 K, 1 atm. ; on calcule à partir de là, à l’aide de mesures thermochimiques, l’enthalpie de chaque composé dans ces mêmes conditions standards ; l’ensemble des valeurs ainsi obtenues est rassemblé dans des tables de valeurs numériques, fort utiles en thermo-downloadModeText.vue.download 567 sur 591
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 7
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chimie et dans l’étude des équilibres chimiques.
L’intérêt essentiel de la fonction enthalpie vient de l’importance pratique des transformations effectuées à pression constante. Dans ce cas, en effet, on a, d’un état (1) à un état (2) d’un système et en supposant que l’échange de travail avec l’extérieur se limite au travail W des forces de pression : W = p(v1 – v2) et, par suite,
ΔU = U2 – U1 = Qp + p(v1 – v2),
Qp désignant la chaleur reçue par le système au cours de cette transformation à pression constante. On peut donc écrire
(U2 + pv2) – (U1 + pv1) = Δ(U + pv)
= Qp,
c’est-à-dire ΔH = H2 – H1 = Qp, ce qui signifie que la chaleur de transformation à pression constante s’identifie à
la variation de l’enthalpie du système, comme la chaleur de transformation Qv à volume constant s’identifie —
puisque le travail des forces de pression est alors nul — à la variation de l’énergie interne. Les égalités ΔH = Qp, ΔU = Qv montrent que ces chaleurs de transformation à pression constante ou à volume constant ne dépendent, comme ΔH et ΔU, que des états initial et final du système : proposition d’un intérêt fondamental en thermochimie.
L’enthalpie d’un corps dépend en
général de plusieurs variables, parmi lesquelles la température et la pression ; toutefois, l’enthalpie d’un gaz parfait, comme son énergie interne, ne dépend que de la température ; on peut d’ailleurs (v. gaz) définir le gaz parfait par ces propositions. Il n’en est plus ainsi pour un gaz réel : si son énergie interne est, à température constante, une fonction croissante du volume
(v. détente), son enthalpie varie, à T
constant, de façon plus nuancée, car le produit pv est, suivant les conditions et en particulier suivant la température, une fonction croissante ou décroissante du volume ; il en résulte en particulier que la détente* d’un gaz à enthalpie constante, dite « de Joule-Thomson », qui ne serait accompagnée pour un gaz parfait d’aucune variation de tempé-