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Le pouvoir de direction

dans l’entreprise

Dans le système juridique, mais aussi dans la conception sociologique

ayant cours dans le monde occidental contemporain, la direction « appartient à celui qui a créé ou acquis l’entreprise » (G. Ripert et R. Roblot). Quand le propriétaire n’exerce pas lui-même le pouvoir de direction, celui-ci est exercé, en son nom et pour son compte, par un ou des fondés de pouvoir. Le commerçant*, propriétaire d’une entreprise personnelle, la famille, à la tête d’une entreprise familiale, les associés, dans une société, ont le pouvoir d’administrer l’entreprise, « d’étendre, de diminuer, de modifier l’objet de l’entreprise » (G. Ripert). La doctrine marxiste, partant du schéma du monde capitaliste du XIXe s., a voulu, précisé-

ment, exproprier les propriétaires de l’entreprise pour en conférer la direction à la collectivité.

En fait, si de nombreuses entreprises individuelles ou familiales continuent de prospérer et, même, s’il s’en crée encore, la propriété des grandes entreprises est aujourd’hui surtout le fait de sociétés aux actionnaires nombreux, où le pouvoir de gestion est exercé par des conseils d’administration « repré-

sentant » théoriquement les actionnaires (actionnaires dont ces conseils sont, cependant, de plus en plus coupés) de même que par une fraction

des agents de l’entreprise formant la direction (« technocratie » ou « tech-

nostructure »), représentant souvent de nos jours le réel pouvoir dirigeant des entreprises.

Quelle que soit l’identité formelle de l’organe exerçant le pouvoir de direction (patron unique, associés familiaux, conseil d’administration [dans le modèle de la loi française du 24 juillet 1867], directoire [dans le type nouveau de société anonyme de la loi française du 24 juillet 1966, inspirée du mo-dèle allemand]), l’autorité du « chef d’entreprise » (unique ou collégial) est exercée sur un mode absolutiste et dans un style hiérarchique encore de nos jours très accentués.

Seule l’« entreprise », il faut le noter, se caractérise par le pouvoir de direc-downloadModeText.vue.download 574 sur 591

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 7

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tion suprême, l’organe qui l’exerce l’y assumant en dernier ressort. Le simple

« établissement » ne possède pas à sa tête ce type d’autorité : son chef — au regard du droit du travail — exerce des pouvoirs certes considérables mais non la totalité des pouvoirs, et ces derniers ne sont pas exercés directement par lui mais délégués.

Le statut des pouvoirs de la direction dans l’entreprise reste, au moins en France, largement marqué de caractères qui lui furent donnés par le capitalisme libéral de la première révolution industrielle, qui imprégna profondé-

ment le droit privé de l’époque. En droit français, le propriétaire (ou l’organe qui exerce le pouvoir aux nom et place de celui-ci) détient un pouvoir très étendu, d’allure monarchique, qu’éclaire et qu’explique son origine historique dans le contexte très primitif au sein duquel, à l’aube du XIXe s., ce pouvoir était en fait exercé.

Le cumul de l’« avoir » et

de l’« être »

L’entreprise qu’a sous les yeux le législateur du Code civil (1804) et du Code de commerce (1807) [il n’existe pas, alors, de droit du travail] est en

fait, dans la plupart des cas, une entreprise personnelle, au maximum familiale : la tendance à la dichotomie se produisant entre la propriété et l’exercice de la direction de l’entreprise, essentiellement contemporaine de la loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés, est en fait tardive.

Le « cumul » s’exerce tout naturellement entre la propriété des instruments de production (atelier, moulin permettant d’actionner les premières machines, etc.) [en d’autres termes, l’avoir] et l’exercice du pouvoir de direction (l’être), à l’instar du cumul qu’exerce le propriétaire d’un domaine rural (ou, plus simplement, d’une

demeure), propriétaire dirigeant les domestiques qui viennent y exercer un travail de faire-valoir ou d’entretien.

D’ailleurs, dans certaines régions au moins, lors de la première révolution industrielle, l’atelier (l’usine avant la lettre) est souvent contigu, sinon partie intégrante, à la maison d’habitation elle-même de son propriétaire-patron (v. patrons et patronat). Le premier droit du travail est un droit domanial.

Par ailleurs, la civilisation nouvelle, issue de la révolution juridique de 1789, mais bien plus, sans doute, d’une révolution culturelle qui témoigne de ses effets au cours du premier tiers du XIXe siècle, magnifie la propriété privée et les pouvoirs du propriétaire. Le XIXe s. ne connaîtra, progressivement arrachée par la pression de la force ouvrière d’abord, syndicale ensuite, qu’une limitation très partielle, par la contestation, puis par la législation, des pouvoirs considérables du patron, notamment en matière d’aménagement des conditions du travail, limitation ne venant en aucune façon amputer pour l’essentiel, le principe même des pouvoirs de la direction à l’intérieur de l’entreprise.

Le pouvoir sur l’emploi

Le chef d’entreprise est le maître de l’emploi*, libre de l’embauche et, sous certaines conditions précises, du licenciement des travailleurs de l’entreprise, il organise, à l’intérieur de celle-ci, les affectations de tâche, décide des modifications d’emploi pouvant, dans cer-

taines conditions, être exigées des collaborateurs de la firme. Il peut guider la carrière des subordonnés.

La liberté du chef d’entreprise de fixer le sens de sa gestion et de structurer l’entreprise d’une manière telle qu’il croit devoir le faire a été affirmée d’une manière quasi constante par la jurisprudence : l’employeur est juge de la gestion. En termes d’administration de l’entreprise, il serait, pourrait-on dire, habilité à assumer la fonction

« gestion du personnel » — dans le cadre de ses libres décisions — comme il le ferait en matière financière ou en matière commerciale. Si, récemment, des décisions de juridictions françaises ont semblé infléchir le principe — en condamnant des employeurs à indemniser des travailleurs congédiés à la suite de fautes de gestion ayant entraîné des fermetures d’usines —, la Cour de cassation, par contre, affirme le principe de la liberté du chef d’entreprise, qui est le seul à assumer, en fin de compte, la responsabilité de ses actes

« managériels » et de leur répercussion sur l’emploi assumé par l’entreprise.

Le pouvoir « exécutif »

y Le principe : le pouvoir de com-

mander. Le chef d’entreprise dispose d’un pouvoir de commandement lui

permettant de formuler des injonc-

tions, des ordres touchant au travail dans l’entreprise : son rôle est en cela comparable à celui d’un supérieur

hiérarchique dans une administration publique. Le style est ici la décision unilatérale, voire l’instruction, mais ayant pratiquement un caractère obligatoire. On pourrait dire qu’il s’agit (si l’on utilise le langage des spécialistes du droit public) d’un « pouvoir discrétionnaire », guère d’une « compétence liée ». Certaines frontières existent néanmoins, qu’il convient de noter.

y Les frontières. Le pouvoir de commandement du chef d’entreprise ne

peut s’exercer que dans le cadre gé-

néral de la légalité, tracé par les lois et règlements en vigueur au moment où s’exerce le pouvoir. Un ordre qui serait contraire à la loi, à un décret, voire aux principes généraux du droit,

n’obligerait ainsi aucunement celui qui le recevrait. La convention collective, par ailleurs, source juridique capitale en matière de droit du travail, constitue souvent une limitation sensible de l’activité hiérarchique du chef d’entreprise. (V. travail.)