Le pouvoir « législatif » :
le règlement intérieur de
l’entreprise
Il serait pratiquement impossible à une direction de déterminer quotidiennement dans le détail les modalités concrètes d’exécution du travail à faire assurer par les salariés dans les entreprises et les établissements employant un personnel nombreux. L’employeur est ainsi amené, en fait, à élaborer un règlement intérieur, véritable charte régissant certains aspects du travail dans la firme. Ce règlement intérieur
— texte durable à portée générale —
jouera le rôle de constitution ou, tout au moins, de législation à l’intérieur de l’entreprise.
Il peut édicter des règles de discipline, d’hygiène, de sécurité du travail, déterminer les horaires de celui-ci.
Comme il peut entraîner des abus (aggraver, a posteriori, les conditions qui avaient été prévues lors de l’embauche par le contrat de travail ou, surtout, pré-
voir des sanctions contre les salariés), le législateur, d’une part, encadre le contenu des règlements — interdisant d’y prescrire certaines dispositions —
et, par ailleurs, prévoit les modalités d’élaboration du règlement lui-même.
L’article 22, a, livre premier, du Code du travail français, modifié par l’ordonnance du 2 novembre 1945,
impose l’établissement d’un règle-
ment intérieur pour les entreprises employant habituellement au moins
20 travailleurs.
Certaines dispositions du règlement sont obligatoires, notamment celles qui concernent l’hygiène, comme la limitation ou l’interdiction de consommation de boissons alcoolisées. D’autres sont, par contre, prohibées, comme étant contraires à l’ordre public ou à une ou
à des conventions collectives.
Le règlement doit être soumis à l’avis du comité d’entreprise (s’il existe) ou à l’avis des délégués du personnel. Il doit, de plus, être communiqué à l’inspecteur du travail, qui exerce sur ses dispositions un contrôle de conformité à la légalité : un recours pour excès de pouvoir peut être exercé contre la décision de l’inspecteur du travail.
Enfin, le texte du règlement doit être déposé au secrétariat du conseil des prud’hommes (ou, à défaut, au greffe du tribunal d’instance) et affiché d’une manière lisible sur les lieux du travail et dans les locaux d’embauchage.
Le pouvoir « judiciaire » :
les attributions disciplinaires du chef d’entreprise
Ce quatrième pouvoir semble s’analyser comme la conséquence des autres : le commandement, s’il n’est pas assorti de sanctions infligées à l’encontre de l’inexécution ou de la mauvaise exécution des ordres reçus, est pratiquement impossible à exercer. Le caractère particulièrement grave, pour le travailleur, de sanctions qui pourraient être injustement exercées à son égard a amené cependant le législateur à contrôler très particulièrement ce pouvoir dans l’entreprise. Il fait donc l’objet de limitations spécifiques.
Le « catalogue » des fautes et, par voie de conséquence, des sanctions à appliquer est plus délicat à établir en la matière qu’en droit pénal : les conventions collectives, cependant, exercent une action normalisatrice en ce domaine. Les peines frappant le travailleur dans son emploi étant de loin les plus redoutables, le congédiement fait l’objet, notamment, de dispositions particulières.
Les amendes — peines pécuniaires
— ne peuvent, quant à elles, être prononcées qu’en application du règlement intérieur (lui-même n’ayant pu les prévoir qu’avec l’autorisation de l’inspecteur divisionnaire du travail) ; elles ne peuvent que sanctionner des écarts de comportements en matière de discipline, d’hygiène, de sécurité ; le taux et le montant en sont limités, leur produit va à la caisse de secours
du personnel et non plus, comme jadis, à l’entreprise elle-même.
Un rôle juridictionnel, exercé sur le pouvoir disciplinaire du chef d’entreprise, représente enfin, en la matière, la garantie essentielle du travailleur.
Mais, la charge de la preuve incombant à ce dernier, le recours à la jus-downloadModeText.vue.download 575 sur 591
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 7
3988
tice est, en réalité, malaisé ; de plus, fait très grave, l’employeur ne peut être astreint, en principe, en droit du travail français, qu’à des dommages-intérêts et non à la réintégration en cas de congédiement. Une théorie dite
« du détournement du pouvoir disciplinaire » permet de fonder le contrôle du juge sur ces points.
La représentation
des travailleurs et
des syndiqués dans
l’entreprise française
Le travailleur se trouve, de nos jours encore, marqué par la position de su-jétion dans laquelle il s’est trouvé à l’égard de l’entreprise qui l’emploie.
Cette sujétion s’explique notamment par la résistance aux réformes exercée par le patronat et par la longue abstention de l’État dans le domaine de la réglementation des relations du travail. Le travailleur a, en principe, mis juridiquement sa force de travail, voire son talent, à la disposition de l’employeur, qui en dispose librement et n’est tenu essentiellement, en échange, qu’à l’obligation de payer le salaire convenu. Telle est la portée du contrat de travail en régime libéral. Le travailleur ne participe pas, en principe, aux décisions qui sont prises dans l’entreprise.
L’idée de « participation » des travailleurs à la vie même de l’entreprise, c’est-à-dire aux décisions prises à l’intérieur de celle-ci, est pourtant ancienne : une des premières — sinon la première — des approches réalisées en ce domaine est celle de l’industriel catholique Léon Harmel, qui avait fait
fonctionner en son entreprise du Valdes-Bois, près de Reims, un conseil professionnel (1885), puis un conseil d’usine (1893) assurant, au moins à titre consultatif, la concertation du patronat et des travailleurs pour le fonctionnement de certaines institutions sociales propres à l’entreprise (v. catholicisme social). Par la suite, la question fut réduite à l’existence de « délégués ouvriers », « organes de la collectivité des travailleurs de l’entreprise » (Rivero-Savatier) : leur présence soulevait la résistance du patronat, mais aussi l’opposition des syndicats* de travailleurs, qui voulaient, eux, monopoliser l’activité de « représentation » des inté-
rêts des travailleurs, sans concurrence aucune, dans cette fonction, de toute ligne « non syndicale ».
1936 vit une reprise du problème à la suite des accords Matignon. La loi du 24 juin 1936 conféra aux délégués un rôle en fait réduit : essentiellement la présentation, à la direction de l’entreprise, des réclamations du personnel. Ce rôle sera ultérieurement repris (après 1945) par les « délégués du personnel » : après l’expérience temporaire de l’État de Vichy, instaurant la Charte du travail, le gouvernement de la Libération institua, dans ses grandes lignes, le système de représentation des travailleurs encore en vigueur dans l’entreprise française contemporaine.
La portée des réformes aboutissant à l’instauration, dans l’entreprise fran-
çaise, des institutions qui vont être décrites est considérable : le caractère foncièrement inégalitaire qui caractérisait au XIXe s. le monde du travail tend à s’atténuer au profit d’une conception plus équilibrée, la communauté des travailleurs étant mieux représentée et défendue ; le manque d’intégration de l’ouvrier du siècle dernier à la société globale et, en premier lieu, à l’entreprise qui l’employait — carence ayant fait du travailleur, put-on dire, un être
« campé dans la nation » — recule sensiblement ; la toute-puissante et unilatérale autorité du chef d’entreprise tend (à l’instar de l’évolution se faisant jour dans la société politique) à être freinée par des contre-pouvoirs, ceux des organes de représentation dont disposent les travailleurs dans l’entre-