S’il nous est impossible de bien
déterminer l’ancienneté relative des instruments et des techniques, nous savons néanmoins qu’au cours des pé-
riodes historiques les pointes de métal, le bois carbonisé, de menus fragments de roches colorantes, la plume et le pinceau ont constitué les plus anciens instruments de dessin. On notera tout de suite leur surprenante pérennité dans la mesure où ils demeurent le plus simple prolongement de la main et le complément expressif le plus direct et le plus nuancé du doigt lui-même, comme du geste. Cette « gestualité »
immédiate du dessin, plus ou moins tributaire d’habitudes acquises et réglementées, ou, au contraire, de pulsions propres aux grandes individualités, constitue le fonds de l’histoire du dessin ; on peut en suivre facilement la passionnante dialectique tout au long des civilisations, un des aspects essentiels de ces divergences — ou confrontations — étant l’alternative engendrée par l’usage d’un dessin préparatoire à la peinture ou d’un dessin tendant plutôt à sa propre autonomie.
Après l’Égypte, qui distinguait le
« scribe aux contours » de celui auquel incombait la charge de la coloration, c’est la Grèce surtout qui nous confirme l’importance propre à laquelle peut prétendre le dessin. Elle est remarquablement mise en valeur par la simplification des couleurs (surtout le rouge et le noir) sur les parois des vases. Mais plus encore, sur les lécythes funéraires des Ve et IVe s. av. J.-C., un style de croquis révèle une grande capacité de notation dessinée, associée il est vrai à la notion de ligne colorée par rapport au fond blanc et aux quelques surfaces plus nettement affirmées en rouge, bleu ou noir.
Ce dessin linéaire n’est toutefois pas le seul que l’Antiquité ait connu. Un dessin en modelé — par l’ombre et la lumière — peut se substituer au seul contour pour définir un drapé ou un visage. Mais la manière en « hachures »
de certaines peintures nous révèle aussi combien l’Antiquité, évoluant, a pu découvrir bien avant la Renaissance des modes d’expression « dessinés », preuve de l’évolution réciproque des techniques de la peinture et du dessin. De même, elle préfigurait diverses expressions que la Renaissance allait mettre particulièrement en valeur : à côté du dessin lié à la peinture, celui plus libre de l’esquisse ou de la nota-
tion personnelle, conférant au dessin son autonomie.
Le Moyen Âge a surtout insisté sur le dessin-contour, conçu comme un
accompagnement, comme une défini-
tion de la peinture. C’est la circons-downloadModeText.vue.download 7 sur 591
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cription de la forme, pour reprendre l’expression d’Alberti* au XVe s. Encore convient-il de noter que le modelé apparaît dans le dessin préparatoire à la peinture. Du dessin proprement dit, nous ne connaissons que peu d’expressions, en dehors du célèbre album de l’architecte Villard de Honnecourt, au XIIIe s., comptant des dessins linéaires soumis à une stylisation que vont modifier peu à peu ses successeurs. Ceux-ci, d’ailleurs, évolueront plus rapidement, sans doute, lorsqu’ils feront une esquisse que lorsqu’ils dessineront
« définitivement » pour la peinture, comme le montre bien la liberté de dessin des sinopie italiennes exécutées sur l’avant-dernier enduit de la fresque.
Moyens techniques
À mesure que se développent le dessin de notation et le dessin de préparation pour les peintures, les moyens techniques prennent également plus d’ampleur. Sont alors utilisés la plume, le pinceau et des produits minéraux ou downloadModeText.vue.download 8 sur 591
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végétaux qui fournissent eux-mêmes la matière traçante : pointes d’argent, pierres diverses ou petites branches de charbon de bois.
La pointe d’argent, pratiquement
disparue aujourd’hui, représente un procédé de compromis entre la gravure et la trace, obligeant à recouvrir le subjectile — parchemin ou velin en général — d’un enduit fait de raclures d’os et de gomme arabique. Le tracé
obtenu, légèrement incisé, est d’une couleur grise, alors que la pointe d’or, plus rarement utilisée, donnait un trait plus noir. C’est à ces procédés qu’on substituera d’abord le dessin à la mine de plomb sur papier, puis, au XVIIIe et surtout au XIXe s., le dessin au crayon de graphite, dont la poussière est mêlée à la « terre de pipe » comme pour le pastel ; le crayon actuel, du type « Conté », remonte à la Révolution. Beaucoup
plus courants étaient les procédés de dessin à la plume et au pinceau, perpétués jusqu’à nos jours. Ils permettaient l’usage d’une matière colorante à base d’encre issue de la noix de gale, de bistre fait avec du noir de fumée ou de la suie ; ces produits ayant tendance à pâlir, ils furent remplacés par les encres de Chine ou la sépia, qui se substituera au bistre à partir du XVIIIe s.
La plume, qui sert aussi bien à dessiner qu’à écrire, donc à tracer toutes sortes de signes de portée différente, a été empruntée dès l’Antiquité au règne végétal (roseau, bambou) ou à l’animal (oie, coq, cygne), en attendant que le XIXe s. y ajoute la plume métallique, le XXe s. le système « à bille » et le feutre durci. La plume fournit par excellence un dessin au trait, qui a mené à définir par convention optique diverses combinaisons de « hachures » pour suggé-
rer l’ombre et substituer un dessin « de valeur » à celui de contour. Van Gogh*
en a donné toute une série de variantes remarquables.
Mais, avec un peu d’eau, on a pu
également utiliser l’encre sous forme de lavis, véritable aquarelle mono-chrome qui, menée au pinceau et
parfois combinée avec un dessin à la plume, engendrera à partir du XVe s.
une suite d’étonnants chefs-d’oeuvre, comme ceux de Rembrandt* au XVIIe s.
Notons que la combinaison plume et aquarelle, de son côté, fournira une nouvelle série d’expressions artistiques très appréciées.
Le pinceau, répondant à la moindre pression de la main, permet autant le trait que la tache ou le badigeon-nage. Selon la quantité d’eau mêlée à l’encre, on peut nuancer, modeler au lavis la moindre forme. De même avec du bistre et de la sépia. On connaît les
merveilleux résultats que les Chinois, et les Japonais ensuite, purent tirer d’une peinture qui associe si bien le geste du dessinateur à celui du peintre.
En Occident, une longue suite de
chefs-d’oeuvre fut engendrée par des peintres à qui le procédé permit également l’esquisse rapide, ainsi que la création d’un genre particulier en rapport avec la technique du sfumato dans la peinture à l’huile. De plus, comme dans ce cas bien illustré par Léonard*
de Vinci, des « reprises » à la plume permettaient d’apporter à l’ensemble une animation ou même des précisions nouvelles. Mais beaucoup d’artistes, comme Poussin*, dans leurs esquisses pour des tableaux, ont dessiné directement au pinceau selon le principe d’un contraste ombre-lumière, la forme étant dans certains cas préfigurée légèrement à la mine de plomb. Ainsi s’affirmait encore avec le lavis cette conception d’un dessin porté sur le rapport des valeurs au-delà de la ligne.
C’est ce que, parallèlement, devait aussi démontrer l’usage de procédés à base de crayons du genre sanguine, pierre d’Italie, craie, mine de plomb, fusain. Argile ferrugineuse connue dès l’Antiquité, la sanguine a été utilisée surtout au cours des XVIe et XVIIIe s., en même temps que se développait le goût pour un dessin autonome, recherchant des effets de clarté et de grande sensibilité dans le rendu de la chair et l’expression de la grâce. De ce point de vue, la sanguine représente une des toutes premières démarches d’un dessin de couleur, également envisagé par le XVIe s. italien avec la craie et le papier de couleur. De plus, la sanguine, qui s’écrase facilement (comme le fusain) et s’accroche bien aux surfaces légèrement rugueuses, permettait de