Выбрать главу

La vie monastique semble d’abord lui convenir : du moins trouve-t-il au couvent un havre studieux où il se console de la « tragédie » de sa vie en lisant les poètes de l’Antiquité latine, en découvrant Cicéron, saint Jérôme, les Ele-gantiae de Laurent Valla (1407-1457), en pratiquant un christianisme de foi et de liberté intérieure, tout à fait dans l’esprit de la Devotio moderna. Mais, ordonné prêtre en 1492 par David de Bourgogne, il devient peu après secré-

taire de l’évêque de Cambrai, Henri de Berghes, ce qui l’émancipé plus qu’à moitié de son couvent. Il achève (1494) les Antibarbari, défense passionnée des lettres latines, avant de se rendre à Paris, pour y suivre les cours de l’Université. Là, délaissant très vite le

« collège de pouillerie » de Montaigu, il s’attache à l’Artésien Robert Gaguin (1433-1501), auprès duquel il bénéficie du renouveau intellectuel et spirituel de la France, héritière, en cette fin du XVe s., de l’humanisme de Jean de Gerson (1363-1429), de la docta pietas de Pétrarque et de l’apport des érudits transalpins de l’époque.

De cette prestigieuse Renaissance italienne, Érasme va trouver l’image

presque achevée dans l’Angleterre florentine et vénitienne d’Oxford, où, après un séjour au château de Tour-nehem, près de son ami James Batt, il arrive en 1499, sur l’invitation de son élève William Mountjoy. À Magdalen College, il fréquente le théologien John Colet ; dans l’entourage de l’helléniste William Grocyn, du médecin Thomas Linacre, il poursuit ses études de grec, à peine abordées à Deventer, et surtout il fait la connaissance de Thomas More, modèle parfait de ces lettrés anglais qui vont lui révéler sa véritable vocation et l’essence même de l’humanisme italien, illustré par Pétrarque, Marsile Ficin et Pic de La Mirandole, l’aider dans l’approfondissement de sa théologie biblique et patristique, l’amener à l’étude assidue non plus tant de l’éloquence latine que de la pensée profonde des auteurs anciens.

De retour en France dans les pre-

miers jours de 1500, il se donne pleinement à l’étude des Grecs, « sources très pures et fleuves qui charrient de l’or », et publie à Paris la première édition de ses Adages. Sans se fixer pour autant. D’Orléans, il revient à Paris, passe en Hollande, séjourne à Saint-Omer, découvre à l’abbaye du Parc, près de Louvain, un manuscrit de Valla qui le confirme dans ses inten-downloadModeText.vue.download 30 sur 567

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 8

4033

tions de se consacrer désormais aux Saintes Écritures, en collationnant la Vulgate avec le texte grec. En attendant, il repart pour l’Angleterre, mais, quoi qu’il en dise, c’est à l’Italie qu’il songe toujours. À plusieurs reprises déjà, il avait espéré faire l’indispensable voyage outre-monts ; chaque fois des circonstances défavorables et une constante pauvreté l’avaient empêché de réaliser son rêve, quand, en 1506, le Génois Battista Boerio, médecin du roi Henri VII, lui offrit d’accompagner ses deux fils et de diriger leurs études à l’université de Bologne.

Pendant trois ans, Érasme (qui,

à son passage en France, a confié à l’imprimeur parisien Josse Bade ses

traductions de Lucien et d’Euripide) va parcourir la péninsule : non pas en touriste, en archéologue ou en amateur d’art, mais en érudit avide de savoir.

Le 4 septembre 1506, l’université de Turin lui confère le bonnet de docteur en théologie, plus sans doute pour honorer son talent que pour couronner ses études. À Venise, dans le bourdonnant atelier d’Alde Manuce, Érasme consulte les manuscrits de Platon, lit Plutarque, étudie Hésiode, Pindare et Théocrite. Par Padoue et Ferrare, il gagne Rome, où il passe, au cours d’un triple séjour, de longues heures dans les bibliothèques et s’orne l’esprit au contact de personnalités comme Tommaso Inghirami (1470-1516)

ou ce Jean de Médicis, qui, en 1513, allait, sous le nom de Léon X, succé-

der au belliqueux pape Jules II, cible d’un vigoureux pamphlet pacifiste, le Julius exclusus e coelis, dont on reconnaît d’ordinaire la paternité à Érasme.

Même si la Rome chrétienne l’a déçu, c’est donc, au total, « avec regret et comme malgré lui », comme il le dit lui-même, qu’Érasme quitte l’Italie pour l’Angleterre, où vient de monter sur le trône un nouveau roi que l’on affirme ami des sciences et des lettres.

En juillet 1509, le voici à Londres, où il achève en quelques jours l’Éloge de la folie, dédié à Thomas More, l’ami cher entre tous. Deux ans plus tard, appelé à Cambridge par James Fisher, il donne des cours de grec et de théologie, mais bientôt, sans avoir vu s’épanouir le new learning dans la vie universitaire anglaise, il repart pour le continent : vers Bâle, où l’accueille l’imprimeur Jean Froben (v. 1460-1527), qui publiera par la suite la plupart de ses grandes oeuvres et son immense patrologie. En 1516, alors qu’il est au sommet de sa gloire, la France et l’Espagne se le disputent. En vain : c’est à Louvain qu’Érasme préfère s’établir (de 1517 à 1521) pour y organiser le Collège trilingue. Cependant éclatent presque aussitôt les premiers échos de la crise luthérienne. Aux avances du réformateur allemand, Érasme répond par une déclaration de neutralité, que n’apprécient ni les luthériens, ni l’autorité papale, ni les intolérants théologiens de Louvain, dont les attaques le contraignent à un nouveau départ. Par Anderlecht, il se réfugie à Bâle, où il

passera huit années, consacrées surtout à la polémique contre Luther (Libre Arbitre, 1524 ; Hyperaspistes, 1526) et contre les singes de Cicéron, fouail-lés avec vigueur dans le Ciceronianus de 1528. Quand l’esprit de la Réforme l’emporte à Bâle, il émigré dans la ville catholique de Fribourg-en-Brisgau. Il y met avec ardeur à profit chaque intermittence de la maladie pour poursuivre son travail. Sa Préparation à la mort paraît en 1535 à Bâle, où il est revenu depuis quelques semaines seulement. C’est là que, dans la nuit du 11 au 12 juillet 1536, Érasme, citoyen de la République des lettres, rejoint, au terme d’un pèlerinage terrestre, tout de constance et de mobilité, sa seule véritable patrie, la Jérusalem-d’en-Haut.

Prince des humanistes

À l’humanisme du XVIe s., nul n’a plus apporté que lui. Il a laissé à ses contemporains quantité d’éditions, parfois abondamment annotées, d’auteurs anciens : du côté des Grecs, Aristote et Ptolémée ; chez les Latins, Caton, Ci-céron, Quinte-Curce, Tite-Live, Pline l’Ancien, Publilius Syrus, Sénèque, Suétone, Térence. Au traducteur, nous devons des versions latines d’Esope, d’Euripide, de Galien, d’Isocrate, de Flavius Josèphe, de Libanios, de Plutarque enfin, qui est, avec Lucien, son auteur profane de prédilection. Proviennent encore de son application éru-dite à la littérature et à la philosophie des Anciens les Adages, ce « magasin de Minerve », et les Apophthegmes, dont l’influence fut prodigieuse sur la pensée de l’Europe entière. Érasme y recueille et y commente des dictons, les sentences où se résume la sagesse antique ; il en multiplie les éditions développées. Ainsi, pour les Adages, dont une cinquantaine d’impressions se succèdent de 1500 à 1540, tandis qu’en moins de dix ans les huit centuries de proverbes du début passent à trois, puis à plus de quatre chiliades. Cependant, ce n’est pas pour elle-même qu’Érasme cultive ainsi l’Antiquité, qu’il en répand avec générosité les tré-

sors retrouvés. Son humanisme n’est philologique que pour mieux être théologique. L’essentiel, en effet, n’est pas pour lui l’érudition, mais la piété dans la foi, cette piété à laquelle il a fait, dès

l’Enchiridion, servir les belles-lettres.