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À ses yeux, toute la science de l’eth-nica litteratura, parée des prestiges de son écriture, ne peut être qu’un prélude à l’étude de l’Écriture Sainte ; elle ne se justifie, pour un chrétien, qu’utilisée avec prudence et modération, dans sa double fonction de propédeutique et d’expression, en vue d’une théologie nécessairement biblique et mystique. Il ne s’agit plus, pour l’homme moderne, d’être Grec ou Latin, mais d’accéder à la seule vérité digne de son temps, celle du mystère du Christ mis en croix, qui rétablit la nature humaine déchue dans son harmonie première et qui la conduit à la béatitude. Toutes les études doivent donc, pour assurer cette nouvelle naissance de l’âme humaine, concourir à une philosophie de la vie transformée par l’Évangile, à cette philosophia Christi que la paraclesis (exhortation) propose comme but et dont le methodus indique les moyens, au premier rang desquels s’inscrit la connaissance directe de l’authentique enseignement du Christ, progressivement dénaturé par des siècles de théologie scolastique. D’où, pour Érasme, complétant et dépassant l’enquête littéraire, morale et esthétique sur l’Antiquité païenne, tout un travail préliminaire de restitution des textes sacrés dans leur pureté originelle : tâche qu’il accomplit notamment avec les Commentaires et les Paraphrases des Psaumes, avec l’impression des oeuvres complètes de saint Jérôme et de saint Augustin (sans parler de fragments d’autres Pères de l’Église, dont Origène, qu’à Saint-Omer lui avait révélé le franciscain Jean Vitrier), avec surtout l’édition gréco-latine du Nouveau Testament dédiée en 1516 au pape Léon X. Ainsi, une fois la lettre du message divin solidement établie à l’aide de la philologie et de la critique historique, l’homme, dont la culture littéraire aura développé la sensibilité et affiné le goût, pourra s’ouvrir au sens mystique de l’Évangile, dont une spiritualité christocentrique, ayant la charité pour moteur et pour règle cardinale. Incorporé au Christ par un baptême qui est don, mais aussi devoir, humblement docile à l’écoute de la Parole du Dieu-Sauveur, le chevalier chrétien du XVIe s., armé de l’Enchiridion — à la fois manuel et poignard

—, participera pleinement à la réali-

sation de cette réforme intellectuelle, morale, politique, sociale, religieuse qui s’impose à un monde où, manifestement, tout marche mal, parce que les hommes, dans la folle sagesse de leurs enracinements terrestres, se refusent à pratiquer la paradoxale folie de la Sagesse de Dieu.

À cette réforme, Érasme, pour sa

part, s’applique de toutes ses forces.

Rien en lui de l’humaniste inhumain, de l’intellectuel qui ne vit que pour le travail de l’intelligence abstraite. L’érudit sait quitter son cabinet d’études, s’éloigner des presses d’imprimerie, pour ouvrir les yeux sur les hommes qui l’entourent, découvrir leurs mé-

rites, dénoncer au besoin leurs perni-cieuses illusions. Même absent, il reste sans cesse présent à ses frères dans le Christ, non seulement par ses multiples ouvrages, mais aussi dans cette volumineuse correspondance de plus de trois mille lettres envoyées ou reçues qui est parvenue jusqu’à nous. Et cette présence est toujours combat. Les Colloques, où l’ironie de son inspiration se nourrit de l’observation des moeurs contemporaines et des conflits d’idées à l’ordre du jour, l’Éloge de la folie, si souvent imprimé, illustré, traduit, témoignent, entre tant d’autres oeuvres, de l’aspect réformateur et militant de son action en faveur de l’homme, de cet homme qu’il veut voir « se transformer en Christ ». Cette volonté de régénération de l’homme s’appuie, il va de soi, sur une confiance assurée dans les capacités de l’esprit humain.

À la différence d’humanistes comme Jacques Lefèvre d’Étaples ou comme Josse Clichthove, qui ne croient pas à la possibilité d’un véritable progrès de l’humanité et se résignent avec mélancolie à une décadence jugée inévitable, Érasme, sans verser dans un optimisme utopique, se refuse à tout pessimisme.

En dépit du spectacle sanglant et grotesque qui s’étale sous ses yeux dans l’Europe belliqueuse du XVIe s. et à travers une certaine société carnava-lesque, il reste convaincu que le mal n’est pas inhérent à la nature humaine, mais qu’il résulte souvent d’une éducation corrompue. Aussi trace-t-il (particulièrement dans le De pueris insti-tuendis, ce traité de l’éducation libérale des enfants) tout un programme d’ins-

truction, dont il veut — ce qui est rare à l’époque — faire bénéficier même les femmes. Pédagogue averti qui sait qu’on ne naît pas homme, mais qu’on le devient, il entreprend d’aider ses contemporains à devenir des hommes par l’exercice de leur raison, qui les place au plus haut niveau de la création, et par l’acceptation de la grâce, qui les relie à Dieu.

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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 8

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Une telle entreprise n’est possible que dans la paix, cette paix trop souvent hélas ! persécutée, dont Érasme, sans être un apôtre du pacifisme absolu, nous fait avec éloquence entendre la Plainte, dénonçant les ravages de la guerre, son caractère monstrueux pour des hommes unis au Christ et vivant de sa vie. Elle ne peut davantage se réaliser dans l’état lamentable de l’institution catholique contemporaine. Pour en supprimer les abus, en redresser les déviations, Érasme lacère de son ironie incisive : les princes de cette Église, dont il est lui-même « l’enfant terrible, mais également fidèle » ; les théologiens, plutôt théologastres, abandonnés au seul verbiage de la dialectique ; les moines ignorants, emprisonnés dans une religion mécanisée, intéressée ; les fidèles, enfin, entravés par tant de « cé-

rémonies » méprisables, de superstitions comme les pèlerinages ou le culte des reliques, pratiques surérogatoires auxquelles il est dangereux d’accorder plus de crédit qu’aux sacrements et à la religion intérieure. À travers ces attaques, à la lumière des solutions proposées apparaissent clairement les principes au nom desquels Érasme

milite en chrétien humaniste : vérité, liberté, noblesse de l’être humain aussi judicieusement éduqué qu’éclairé par l’Esprit sur le mystère du Christ, charité plus encore évangélique que paulinienne. Par cette spiritualité agissante qui anime son oeuvre — tout entière religieuse dans son propos et sa finalité

—, Érasme dépasse et domine l’hu-

manisme de son temps, dont il reste

toutefois la plus brillante incarnation.

Humaniste original, il sait, tout en proclamant l’éminente valeur de la culture antique, ne pas céder à la tentation d’un habituel paganisme philosophique et affirmer sans ambages la transcendance du christianisme pour la nécessaire renovatio de l’homme. Théologien contre les théologiens d’alors, il réussit à recréer, en remettant en oeuvre la théologie traditionnelle des Pères et des moines, florissante jusqu’au XIIe s., la synthèse entre la théologie et la spiritualité, dissociées par l’apport de ceux qui, tels Occam, Duns Scot, saint Thomas, Albert le Grand, avaient essayé de construire une sagesse dont la technique fût grecque et l’esprit chrétien.

Écrite en latin, appelée à la plus large diffusion, l’oeuvre d’Érasme porte la marque de l’individualisme de son auteur, dont elle trahit souvent l’excessive susceptibilité de sanguin fébrile, le manque de sérénité, l’élitisme, les réactions crispées jusqu’à l’injustice. L’homme n’était pas un saint. On lui reprocha son égoïsme, les ambiguïtés de sa pensée, la plasticité de ses positions. Mais on l’aima beaucoup aussi ; on loua son savoir et on admira son courage dans les épreuves, sa fidélité à l’Église, corps du Christ, sa passion de la liberté, qui lui fit refuser tant d’honneurs et de dignités. Aussi, l’influence de l’érasmisme, des érasmismes nationaux, fut-elle grande et profonde en Europe bien avant 1540, date de la publication des Opera