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De Fouquet, peintre religieux, nous posséderions un chef-d’oeuvre s’il était l’auteur de la Déploration du Christ retrouvée en 1931 dans l’église de Nouans, non loin de Tours. La vigueur sculpturale, la plénitude de la forme seraient dignes de Van der Weyden*, mais avec plus de suavité élégiaque et moins de tension. L’attribution à Fouquet est tout à fait licite, par rapport à son style dans la miniature et le portrait, mais aucun élément externe n’est venu, jusqu’à présent, la confirmer.

Fort heureusement, Fouquet, comme la plupart des peintres français de son temps, fut aussi enlumineur, et ses mi-

niatures seules permettent d’apprécier l’ampleur et la variété de son art. Bien qu’il soit parfois difficile de distinguer la part du maître et celle de l’atelier, on peut considérer Fouquet comme

l’auteur du livre d’Heures d’Étienne Chevalier, son oeuvre la plus populaire (dépecée au XVIIIe s. et incomplète ; des 44 miniatures conservées, 40 appartiennent au musée de Chantilly), du second volume des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe commencées au

début du siècle pour le duc de Berry (Bibl. nat.), des Grandes Chroniques de France résumées en 1458 pour

Charles VII (Bibl. nat.), et du Boccace de Munich.

Ces oeuvres charment d’abord

comme miroirs d’une époque, par l’élé-

gant réalisme des intérieurs évoquant la vie de cour ou la vie bourgeoise dans la Touraine du XVe s., par l’éclat des cortèges et des solennités, par la gaieté des couleurs et la fraîcheur exquise des paysages dans lesquels Fouquet transpose les épisodes de la Bible ou de la vie des saints. Le Mont-Saint-Michel ou le donjon de Vincennes sont repré-

sentés avec autant d’exactitude que de charme, mais c’est la ville du peintre ou la campagne tourangelle qui occupent les premières places : la Construction du Temple de Jérusalem, dans les Antiquités Judaïques, c’est celle de la façade de la cathédrale de Tours, qui s’élevait au temps de Fouquet...

Mais cet aspect, pour séduisant

qu’il soit, ne suffit pas à définir l’art de Fouquet. D’autres miniaturistes du temps surent retracer avec charme le cycle des travaux et des jours. Sa grandeur est d’un autre ordre : elle est dans l’aisance singulière avec laquelle il enclôt dans une surface minuscule les compositions, souvent grandioses, des Heures (Saint Hilaire présidant un concile ou l’extraordinaire Paradis) ; dans le style majestueux et familier, large et paisible de ses groupes, qui conserve, en pleine crise de tension et parfois d’emphase bourguignonne, les qualités monumentales du XIIIe s.

— restées plus vivaces dans la sculpture de la Loire que dans celle de la région parisienne. De cette noblesse témoignent aussi bien des scènes d’intimité (comme les deux Annonciations)

que des compositions à multiples personnages (la Montée au calvaire). Par ailleurs, ce traditionalisme ne doit pas faire oublier l’ouverture de Fouquet aux nouveautés italiennes. Et ce n’est pas seulement sur le plan des décors, immédiatement frappant (portiques à colonnes, pilastres, guirlandes de chérubins...) ; plus importants encore sont le style des draperies à l’antique (Mort et Assomption de la Vierge) et le sens de l’espace, avec les fuites en biais de perspectives architecturales et de groupes savamment échelonnés (le Repas chez Simon). Fouquet a connu les oeuvres de Masaccio*, de Fra Angelico*, de Lippi*, peut-être de Piero*

della Francesca. Sans jamais les pasticher, il en a tiré parti avec une intelligence exemplaire.

Artiste résolument « moderne », exceptionnel dans la France de son temps et malheureusement sans vraie postérité au siècle suivant, il a su fondre l’héritage gothique et les acquisitions du quattrocento.

P. G.

P. de Durrieu, les Antiquités judaïques et le peintre Jean Fouquet (Plan et Nourrit, 1908).

/ K. G. Perls, Jean Fouquet (Hyperion, 1941).

/ P. Wescher, Jean Fouquet et son temps (Éd.

Holbein, Bâle, et Éd. du Mont-Blanc, Genève, 1947). / Jean Fouquet, les Heures d’Étienne Chevalier, préface de C. Sterling (Vilo et Draeger, 1971).

Fouquet ou

Foucquet

(Nicolas)

Surintendant des Finances (Paris

1615 - Pignerol 1680).

Fils d’un riche armateur breton,

François Fouquet (1587-1640), maître des requêtes et conseiller d’État ordinaire, Nicolas est destiné à la magistrature. Dès 1635, il est maître des requêtes et, quinze ans plus tard, il devient procureur général du parlement de Paris, charge des plus importantes qu’il achète 150 000 livres. On est alors en pleine époque des troubles civils qui caractérisent la minorité du jeune Louis* XIV. Le procureur du parlement se fait remarquer par un

zèle particulier pour les intérêts de la reine mère, qui le protégera toujours ; d’autre part, il s’attache à Mazarin* dès 1648.

La faveur du cardinal le fait nommer en 1653 surintendant des Finances du royaume, d’abord en collaboration avec Abel Servien (1593-1659) puis, après 1659, comme unique titulaire.

Les finances sont alors en grand dé-

sordre à cause de la guerre intérieure et des conflits extérieurs.

Durant plusieurs années, le surintendant pallie les difficultés financières par les expédients habituels de l’Ancien Régime : vente d’offices, emprunts, etc. Il engage lui-même une partie de ses biens et emprunte des sommes importantes au cardinal Mazarin pour les prêter au roi. Il est certain, cependant, qu’en faisant les affaires de l’État il n’oublie pas les siennes : il était d’ailleurs de tradition que les grands officiers de la Couronne s’enrichissent de cette façon, et le propre prédécesseur de Fouquet dans la charge du surintendant, Michel Particelli d’Emery (v. 1595-1650), est resté célèbre pour ses concussions. Toujours est-il que Fouquet acquiert une énorme fortune.

Au début de son règne personnel

(1661), Louis XIV s’étonne de l’état de ses finances et de voir le plus clair de ses revenus servir à payer soit des dettes, soit des intérêts. Cette situation est la suite logique de plusieurs années de troubles civils et de la longue guerre contre la maison d’Autriche, durant lesquelles les habiles mais peu honnêtes « expédients » du surintendant ont permis de « tenir ».

Pour s’en éclairer, le jeune roi

s’adresse à Colbert* : c’est répondre au secret désir de ce dernier, car, dévoré d’ambition et surtout fort désireux de prendre la place de Fouquet, Colbert ne fera rien pour atténuer les fautes du surintendant, si même il ne les exagérera pas. En tout cas, il sait surtout profiter des imprudences de son ennemi.

Le surintendant a, par ailleurs, acquis la propriété de Belle-Île sur la côte bretonne et l’a puissamment fortifiée.

À quelques années des troubles de la

Fronde*, il n’est pas difficile à Colbert d’insinuer au roi que Fouquet, appuyé sur son île comme sur un bastion, pourrait de là menacer la Bretagne et tenter de s’en emparer. D’autre part, Fouquet a aussi fait construire près de Paris le château de Vaux* sur les plans de Le Vau ; Le Nôtre a dessiné les jardins, et Le Brun décoré les appartements. Ce palais surpassait en beauté toutes les résidences royales.

En août 1661, pensant reconquérir la faveur royale, Fouquet donne à Vaux une magnifique réception en l’honneur de Louis XIV. On y joue pour la première fois les Fâcheux de Molière. Le roi peut y voir le blason de son ministre des Finances, un écureuil avec cette devise : Quo non ascendet ? (Où ne montera-t-il pas ?). Irrité, le monarque décide l’arrestation d’un sujet qui a des demeures et une fortune plus grandes que celles de son roi. La cour assidue que Fouquet fait à Mlle de La Vallière n’est pas pour arranger ses affaires auprès de Louis XIV.