L’héritage du passé
Le monde agricole s’est fortement contracté depuis le milieu du XIXe s.
Sans doute, les familles de cultivateurs avaient, depuis des siècles, contribué à l’accroissement de la population urbaine. Mais jamais les densités rurales n’avaient été plus fortes qu’à la fin du XVIIIe et au début du XIXe s. Des terroirs très difficiles, notamment en altitude, avaient dû être occupés péniblement.
Alors, les surcharges rurales d’un côté, l’appel des villes et des mines de l’époque de la révolution industrielle de l’autre ont déclenché l’exode rural.
Les jeunes et les femmes ont fui des campagnes d’autant plus surpeuplées que s’y éteignaient une à une les activités artisanales et les petites industries d’appoint, compromises par la concurrence victorieuse des grandes industries nouvelles. On a pu, surtout en montagne, arriver au point où l’ampleur de l’exode a découragé tous les downloadModeText.vue.download 11 sur 573
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efforts, démantelé les réseaux de services et compromis jusqu’au maintien d’un minimum d’occupation humaine.
Certaines régions ont même dû recevoir d’importants contingents étrangers (salariés polonais du Bassin parisien ou espagnols du vignoble languedocien, exploitants italiens, souvent locataires, du Sud-Ouest). Parallèlement, nombre de propriétaires de fermes et de métairies ont réalisé leurs biens fonciers pour investir dans l’industrie et le commerce : cela a permis à de nombreux paysans de devenir propriétaires de leur exploitation, mais cette ascension sociale a longtemps mobilisé toutes leurs énergies et leurs moyens financiers au détriment de la mise en valeur.
Durant toute cette seconde moitié du XIXe et le début du XXe s., seuls les grands fermiers du Bassin parisien, les viticulteurs et maraîchers des régions méditerranéennes, malgré de graves
crises (phylloxéra vers 1875-1880), ceux-ci grâce à leur spécialisation et au progrès des transports ferroviaires, ceux-là grâce à l’excellence des structures d’exploitation héritées de l’Ancien Régime et à la proximité de Paris et des régions industrielles, ont réellement progressé. Ailleurs, les systèmes de polyculture familiale, fondés sur l’autoconsommation, s’ouvraient davantage aux marchés urbains et évoluaient vers des spécialisations en fonction des milieux naturels : la Normandie devenait plus herbagère ; les vignobles marginaux s’éteignaient ici pour se concentrer là, sur les grands crus ; les amendements calcaires amé-
lioraient certains plateaux siliceux, tandis que des landes et des friches se boisaient.
Cela faisait de la France, dans la première moitié du XXe s., un État encore profondément agricole. Après les se-cousses de l’exode et du libre-échange (fin du second Empire), l’agriculture s’était vue mise à l’abri d’un strict protectionnisme, soutenu par un système électoral qui a toujours favorisé la re-présentation des campagnes, surtout au Sénat. Trop longtemps, l’activité paysanne fut considérée comme un genre de vie bien plus que comme un acte économique, et entourée d’une mystique des « valeurs rurales », bien particulière à un État que la révolution industrielle n’avait pas secoué aussi fort que ses voisins septentrionaux, et dont le régime de Vichy marqua la dernière offensive. Les agriculteurs se canton-naient dans un système généralement très extensif, où l’on se souciait plus de l’apparente sécurité apportée par l’extrême diversité des cultures et de l’achat patient des terres, que d’investissements productifs, à l’exception, toutefois, des régions les plus proches justement de l’Europe industrielle.
L’attachement à la terre, et même aux gestes du passé, a sans doute pré-
servé l’agriculture de certaines crises, mais a contribué à l’accumulation des retards : parmi les pays industriels, la France était, lors de la Seconde Guerre mondiale, celui qui avait les structures agricoles les plus morcelées, la production et les rendements les plus faibles, l’équipement le moins avancé
(40 000 tracteurs en 1939).
L’évolution récente
La phase récente du développement agricole se marque par la puissance des progrès techniques et des rendements, par l’amélioration considérable de la qualité des agriculteurs et par l’ampleur de l’intervention de l’État. La motorisation s’est généralisée entre 1950 et 1965, où elle a d’ailleurs été aidée par l’État (ristourne sur l’achat de matériel, aide aux coopératives d’utilisation du matériel agricole [C. U. M. A.], actuellement au nombre de 13 000). Il y a en France presque autant de tracteurs que d’exploitations agricoles (1 200 000, quatrième rang mondial). Toute une série d’innovations (moissonneuse-batteuse pour le blé et le maïs, arra-cheuse de pommes de terre et de betteraves, traite électrique des vaches, alimentation automatique des animaux, traitements phytosanitaires, épandage mécanique des engrais, etc.) ont permis de réduire les frais de main-d’oeuvre, d’accroître la rapidité du travail et donc de diminuer le poids des aléas climatiques. L’allégement considérable de la population agricole a permis d’étendre les surfaces d’exploitation, souvent jusqu’au seuil à partir duquel l’entreprise peut efficacement fonctionner. Ce seuil s’élève d’ailleurs constamment.
Le réseau d’informateurs et de conseillers demeure bien moins serré que dans les États de l’Europe du Nord-Ouest, mais s’est étoffé et a contribué au perfectionnement de l’agriculture, avec le développement de l’enseignement, des expérimentations et peut-être surtout des techniques de gestion qui permettent un choix plus rationnel des cultures et des investissements. Surtout depuis la loi de 1960, l’État a renforcé pour sa part l’enseignement et la recherche. Les progrès de la génétique, notamment à l’Institut national de la recherche agronomique (I. N. R. A.), ont largement contribué aussi à l’amé-
lioration des rendements, en particulier végétaux.
Le développement des coopératives, déjà encouragées dans les années 1930, a également beaucoup fait. Si leur part dans le commerce des produits agricoles est relativement modeste
(17 p. 100 du chiffre d’affaires total, mais 82 p. 100 pour le blé, 52 p. 100
pour le lait, 37 p. 100 pour le vin, 25 p. 100 pour les fruits et légumes), les coopératives jouent un rôle essentiel pour l’approvisionnement des exploitations en bonnes souches, semences et produits de culture, et dans la diffusion du progrès technique.
L’action de l’État
L’intervention directe de l’État s’était longtemps cantonnée au prix des produits agricoles. Elle a tendu, surtout après 1955, et sous la pression des jeunes agriculteurs, à porter sur l’amé-
lioration des structures de production, dont les effets sont susceptibles d’être beaucoup plus féconds à terme. Le débat entre soutien des prix et amé-
lioration des structures est ici la question de fond, et les politiques oscillent entre deux pôles selon le poids des groupes de pression. Dans l’ensemble, les grands agriculteurs, notamment ceux du Bassin parisien, bénéficiant de bonnes structures, sont plus préoccupés de prix, ainsi d’ailleurs que les plus petits paysans, qui n’ont guère les moyens techniques, ni souvent la formation, susceptibles d’améliorer substantiellement leur production. Face à cette conjonction des extrêmes, les agriculteurs moyens dynamiques ressentent mieux les problèmes de structure et ont faim de terres. La politique actuelle mène de front les deux actions, évidemment guère dissociables.