Le poids de l’État est déjà ancien. Il se traduit depuis de longues années par une centralisation jugée aujourd’hui excessive par beaucoup. Dès la veille de la Seconde Guerre mondiale, pour apaiser des conflits sociaux et des inquiétudes, fut pratiquée, dans le domaine agricole notamment, une politique de prix garantis : la création, en 1936, de l’Office du blé (devenu en 1940 l’Office national interprofes-sionnel des céréales [O. N. I. C.]) est une étape décisive dans ce domaine.
Depuis la guerre, un certain nombre de
« prix de base », dans le domaine agricole et industriel, sont fixés par l’État.
Si nombre de décisions sont prises par les ministères techniques (celui de l’Agriculture par exemple), les grandes options financières et économiques sont décidées par le ministère des Finances.
En cherchant à équilibrer la balance commerciale et la balance des paiements, en contrôlant le crédit intérieur (fixation du taux de l’escompte) avec l’aide du Conseil national du crédit et de la Banque de France, en décidant de la fiscalité, il imprime des orientations décisives, plus ou moins libérales ou plus ou moins étatiques selon les tempéraments et les idées politiques et économiques de l’équipe dirigeante.
Cette emprise apparaît d’autant plus forte que, par l’intermédiaire des entreprises nationalisées, l’État est le premier patron de France et que, pour réaliser la politique de planification et d’aménagement du territoire, il est le principal bailleur de fonds.
Le secteur public dans
l’économie française
Les grandes entreprises nationalisées sont nées dans la dernière décennie de la IIIe République et dans les années 1944-1947. Si les banques nationalisées reçoivent plus de la moitié des dépôts bancaires et si les groupes d’assurance contrôlés par l’État réalisent plus de 40 p. 100 du chiffre d’affaires de cette branche, le rôle de l’État est encore plus fort dans le domaine énergétique : la moitié envi-
ron des hydrocarbures sont distribués par des sociétés à capitaux publics ; celles-ci produisent la quasi-totalité de l’électricité, du charbon et du gaz.
La nationalisation des Houillères du Nord et du Pas-de-Calais en 1944 pré-
figurait la création en 1946 des Charbonnages de France. La même année fut constituée l’Électricité de France, dont l’autorité ne s’étend toutefois pas à des usines appartenant à la S. N. C. F.
et à certaines centrales qui restent du domaine privé (ainsi qu’aux unités des Charbonnages de France) ; l’E. D. F.
a par contre le monopole de la distribution. En 1946 fut aussi créé le Gaz de France, qui assure, directement ou par l’intermédiaire de ses filiales (pour le gaz naturel, Société nationale du gaz du Sud-Ouest en Aquitaine, Compagnie française du méthane
hors d’Aquitaine), la distribution du gaz, dont la production lui échappe largement. L’État avait commencé à s’intéresser aux questions pétrolières en prenant une participation minori-taire dans la Compagnie française des pétroles, chargée de gérer les intérêts français en Iraq. Cette politique se pré-
cisa avec la création, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, du Bureau de recherche des pétroles (B. R. P.) et de la Régie autonome des pétroles (R. A. P.) et, durant la Seconde Guerre mondiale, de la Société nationale des pétroles d’Aquitaine (S. N. P. A.). Une trentaine d’années après, tous ces inté-
rêts publics sont gérés dans le cadre du groupe Elf-Erap (la S. N. P. A. conservant une certaine autonomie).
Les capitaux publics ont aussi fortement pénétré dans plusieurs branches industrielles, concourant, notamment, à la fourniture de la totalité des engrais potassiques, de 60 p. 100 des engrais azotés, de la moitié du maté-
riel aéronautique et du tiers environ des véhicules automobiles. La Société des mines domaniales de potasse d’Alsace et l’Office national industriel de l’azote (O. N. I. A.) ont fusionné pour constituer la société Azote et produits chimiques : son rôle est plus important, dans le domaine chimique, que celui des filiales des groupes pétroliers et des Charbonnages de France. Par ailleurs, les capitaux publics ont pénétré dans l’industrie aéronautique, les premières
nationalisations ayant été réalisées en 1937 : ils sont regroupés aujourd’hui dans le cadre de la Société nationale industrielle aérospatiale (S. N. I. A. S.).
Dans le domaine automobile, les Établissements Renault sont devenus, en 1945, la Régie nationale des usines Renault.
Plus ancienne est la politique de nationalisation des transports. La création de la Société nationale des chemins de fer français (S. N. C. F.) en 1937 para-chevait l’oeuvre ébauchée auparavant avec le rachat des réseaux de l’Ouest par l’État et justifiée essentiellement par les nécessités de rationalisation du réseau ferroviaire et par les difficultés budgétaires des compagnies. Quatre sociétés aériennes avaient fusionné en 1933 pour constituer Air France, qui fut réorganisée en 1948, sous le statut de société d’économie mixte. Si on considère que, pour les autres transports, les capitaux publics tiennent une place considérable dans l’équipement des infrastructures, on peut estimer qu’au total l’État fournit le quart des capitaux investis dans les transports maritimes, les trois cinquièmes de ceux qui sont investis dans les transports terrestres, les deux tiers de ceux qui sont investis dans les transports urbains et 90 p. 100 de ceux qui sont investis dans les chemins de fer. Au total, plus d’un million de personnes sont employées par l’État dans ces diverses entreprises (fonctionnaires exclus).
La planification
Dans cette économie libérale, au sein de laquelle le secteur public tient une place notable, la planification, même si elle n’est que souple et indicative, renforce encore le rôle de l’État.
La France a derrière elle un quart de siècle de planification. Les plans fran-
çais de modernisation et d’équipement sont quinquennaux, mais les événements politiques et économiques en ont quelque peu bouleversé le déroulement régulier. Au cours du premier plan (1947-1953), conçu par Jean Monnet, les efforts portèrent uniquement sur les activités de base : s’il fut une réussite et s’il permit de doter la France des fondements d’une industrie moderne,
il créa de profondes distorsions dans le secteur secondaire. Aussi le deuxième plan (1954-1957) concerna-t-il tous les domaines de l’économie, visant à accroître la production et la productivité ; source d’un développement exceptionnel, il suscita aussi une augmentation très rapide des importations, ce qui déséquilibra la balance commerciale et la balance des paiements et fut une des raisons fondamentales de la crise financière de la fin de la IVe République. Le troisième plan (1958-1961) fut un plan de transition : le relèvement du commerce extérieur, la pression sur les prix (indispensable au moment où le Marché commun se mettait en place) s’accompagnèrent d’un ralentissement de certains investissements (moyens de communications, logement) et d’une faible augmentation des salaires. Avec le quatrième plan (1962-1965), le rythme d’expansion élevé envisagé fut atteint, encore que la production minière et métallurgique ait crû moins vite que prévu. Les investissements furent supérieurs au montant envisagé, mais une grande partie fut effectuée dans la construction immobilière, domaine improductif par excellence. Aussi l’inflation se développa-t-elle rapidement : de là le « plan de stabilisation », qui cassa l’expansion et amena une récession économique et des difficultés sociales très graves. Au cours du cinquième plan (1966-1970), le but essentiel fut de poursuivre une expansion modérée (ralentie par les événements de 1968, accélérée par la dévaluation de 1969), dans l’équilibre rigoureux le plus strict ; il reste qu’on n’est pas encore parvenu à juguler les prix. C’est un des buts principaux du sixième plan (1971-1975), tourné vers le développement des équipements collectifs en retard (autoroutes, télé-