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encore passé par là. Quand il écrira Salammbô, Flaubert refera un peu le roman antique du Moyen Âge.

Mais l’écrivain, qui se veut l’écho des rêves du public, utilise aussi la

« matière bretonne », et il invente le thème de la fidélité absolue (c’est le temps des croisades). Dans les romans de Chrétien de Troyes, qui connurent un énorme succès, l’amour est celui dont rêvent les auditeurs. Les romans d’aventures sont un mélange des deux autres catégories. Vers l’an 1225, sous le règne de Louis VIII, un inconnu met tout cela en prose. Le premier roman français au sens moderne du terme est Lancelot du Lac, célèbre dans toute l’Europe. Le dernier roman du Moyen Âge est le premier Roman de la Rose, dans lequel apparaît la première analyse psychologique de l’amour, sous forme d’allégories. Mais avec ce roman se termine le roman courtois, et la guerre de Cent Ans sonne le glas de la chevalerie, tombée à Crécy et à Azincourt. Un mouvement de retombée du rêve à la réalité s’opère.

La coupure avec la Renaissance tient donc pour l’essentiel à l’apparition du moyen français. Le legs médiéval à la littérature française est capital : le thème du héros central aux aventures étonnantes marque pour longtemps l’écriture romanesque ; la technique des enfances, liée au thème du héros, fait de l’aventure une manière d’initiation ; enfin, en rattachant le merveilleux naturel à un symbolisme mystique, selon lequel il faut être amoureux, car être amoureux, c’est dépasser l’ordinaire de l’humanité, la littérature se lie étroitement à un idéal.

Mais le Moyen Âge, qui n’a pas su fixer le genre — un réalisme frappant émaille ces oeuvres, parce que les auditeurs connaissent ce dont parlent les auteurs, dont la volonté est d’enraciner le féerique dans le quotidien —, laisse l’état d’esprit romanesque en crise : au XVIe et au XVIIe s. cohabiteront ces deux extrêmes qui sont le roman précieux et le roman réaliste.

Avec la Renaissance, le mouvement qui porte les esprits vers la connais-

sance s’accélère. Celle-ci est alors considérée comme la plus haute activité humaine : toute connaissance, quelle qu’elle soit, est bonne. Cette neutralité axiologique de la connaissance, qui produit l’humanisme, amorce du même coup le courant libertin. Cela donne lieu en littérature à une époque de recherches fiévreuses, et, dans le dé-

bordement frénétique des tentatives littéraires de toutes sortes, ce pot-pourri épanoui qu’est la Renaissance littéraire en France reste encore le fidèle reflet de l’explosion idéologique que connurent et ceux qui la firent et ceux qui la lurent. Mais Malherbe vint et réclama

« la langue des crocheteurs du port au foin ». Le classicisme était né.

Le prestige littéraire

du classicisme

Contrairement à une opinion reçue, le classicisme ne couvre pas tout le XVIIe s. ; en revanche, il s’étend sur une bonne partie du XVIIIe, ne serait-ce que par le prestige qu’il acquiert à cette époque. C’est que, d’une part, le courant libertin est vivace pendant la première moitié du XVIIe s. et que, d’autre part, les libertins du XVIIe s. ne sont pas du tout les précurseurs du XVIIIe, parce qu’ils n’ont pas confiance en l’homme, ce « calamiteux animal » ; le précurseur du XVIIIe s., en ce sens, est Pascal, qui loue la grandeur de l’homme.

Et c’est bien là ce qui fait l’atmosphère générale de ce « Grand Siècle », qui va en gros de 1636-37 (le Cid et le Discours de la méthode, signes d’un monde nouveau) à 1761-62 (la Nouvelle Héloïse et le Neveu de Rameau, marques d’un autre nouveau monde), que cette confiance en l’homme — et dans le langage. La différence entre les deux siècles est une subtile diffé-

rence de climat : le XVIIe s. est un siècle de passionnés, qui repose sur le principe de saint Augustin, selon lequel l’homme est fait pour le bonheur ; Pascal, l’un des auteurs les plus violents de la littérature française, n’échappe pas à son temps : « On ne quitte les plaisirs du monde que pour des plaisirs plus grands », écrit-il fortement. Cette quête du bonheur se poursuivra au XVIIIe s., mais d’une façon moins excessive, plus compassée, polie, mesurée au compas

— en quelque sorte moins optimiste ;

siècle par excellence de la correspondance, le XVIIIe s. prouve de la façon la plus intime l’alliance entre l’écrivain et le lecteur. Car c’est là qu’il faut revenir : le classicisme marque l’apogée d’une certaine esthétique de l’harmonie auteur-public, harmonie qui repose sur la compréhension de l’un par l’autre et donc sur la connaissance et la maîtrise commune d’un matériau commun, le langage, qui sera par conséquent le langage le plus pur et le plus simple.

Étrangeté unique dans la littérature française que celle du XVIIe s., qui prend le parti de la pauvreté, s’opposant ainsi à la Renaissance comme au Moyen Âge, dont il est pourtant en quelque manière l’aboutissement, puisqu’il reprend un art de communication qui, comme l’art du bien-dire, vise la complicité lecteur-auteur. Mais, alors que les bien-disants font de la poésie, les classiques font du théâtre : c’est qu’à chaque époque correspond son mode de communication propre, et la « représentation » classique convient mieux, pour toucher un public plus étendu d’amateurs, que la traditionnelle pièce en vers. La littérature devient un spectacle.

Or, pour qu’il y ait spectacle, il faut un public. Et pour qu’il y ait spectacle réussi, il faut que la représentation plaise à ce public. Pour plaire, il faut un « je-ne-sais-quoi », un « charme »

qui est le propre du goût et dont la génération classique s’est faite le champion, elle qui, plus que l’âge des règles, fut celui, précisément, du goût.

Sous quels auspices se présentaient les chances de réussite de cette tentative nouvelle, comment se trouvaient réunies les conditions de cette entente auteur-public qui va marquer toute la littérature française ? Une première constatation est que les écrivains classiques sont favorables au régime existant, au système social dans lequel ils vivent et ils oeuvrent : en cela se noue un accord fondamental avec le public.

Bien plus, avec le règne débutant du jeune Louis XIV, la nouvelle génération littéraire, débarrassée enfin des vieillards, c’est-à-dire des tenants de la « Vieille France », se sent le vent en poupe : il y a un fond d’orgueil monumental chez les classiques, qui prétendaient prendre la succession des siècles

de Périclès et d’Auguste. Et s’ils y sont parvenus, c’est que, confiants en eux-mêmes, ils font naturellement confiance au public. Une telle conjonction des esprits et des possibilités est rare : c’est elle qui est à l’origine du prestige du classicisme.

Ce prestige est avant tout un prestige littéraire. Il est dû à un pari véritablement extravagant pour un écrivain —

pari tenu : celui de l’impersonnalité.

Les classiques, en effet, excellent à peindre le coeur humain dans son fond éternel et permanent comme à donner à leurs oeuvres ce caractère de générosité et de justesse qui les rend accessibles à tous les siècles. C’est pourquoi il n’y a pas d’esthétique classique sans un effort vers la nudité. Le substantif est la substance du discours, et le verbe son muscle. À la clarté classique, qui atteste une fois de plus, à sa manière, que le « destin » de la langue française est de tout éclairer, de tout mettre en lumière, de tout porter au jour de la conscience, s’opposera le romantisme, qui est l’invasion des adjectifs. Alors que les romantiques prônent l’originalité individuelle, le souci central des classiques est social : c’est le paraître.

Dès lors, le respect des convenances acquiert une importance capitale ; le cynisme n’est pas possible dans la so-ciété ; on réagit donc dans le sens de la dignité, et ni Chimène ni Rodrigue ne downloadModeText.vue.download 37 sur 573

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 9