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Pourtant, l’influence de Rousseau sur l’évolution de la littérature française fut considérable, puisqu’il mit à l’honneur ce frémissement de la sensibilité qu’allaient orchestrer les romantiques.

Plus profondément, Rousseau inaugure un nouveau genre d’écrivain, acharné à écrire contre l’écriture, puis s’enfon-

çant dans la littérature par espoir d’en sortir, enfin ne cessant plus d’écrire parce que n’ayant plus la possibilité de rien communiquer. Un malaise

qui dure jusqu’aujourd’hui s’installe ainsi dans la littérature française. Il aura fallu ce Suisse, ce protestant, cet homme des montagnes, ce promeneur errant enfin pour dégager la littérature française des conventions anciennes et l’aider à prendre conscience d’ellemême comme pouvoir incessant de

mobilisation de l’être.

Les voies du romantisme

Forts de la brèche ouverte par Rousseau en faveur de la poésie des sentiments, les hommes du XIXe s., réagissant contre l’impersonnalité classique, vont se faire les champions de l’individualité. L’esthétique romantique substitue au social l’existentiel, à la doctrine du « point de perfection » celle du « mélange des genres », marque de l’authenticité vécue. Cette idée de l’originalité individuelle et de sa richesse anime tout le XIXe s. et toute la première moitié du XXe : la génération existenti-

aliste de l’après-guerre 1939-1945 ne rejoint-elle pas — ne renouvelle-t-elle pas la nausée, descendante lointaine du mal du siècle — la première génération romantique, celle qui suivit la Révolution ? Si l’on prend pour fil conducteur cette « nouveauté » anticlassique par excellence « mise à la mode » par Rousseau et par Diderot — l’être, la conscience —, alors le romantisme est non plus seulement un « siècle », mais bien tout un courant qui s’étend de la seconde moitié du XVIIIe s. jusqu’à nos downloadModeText.vue.download 38 sur 573

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 9

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jours, dominant le classicisme moribond, mais toujours prestigieux.

Si l’on examine, en fonction de cette constante romantique qu’est l’attachement à l’individualité, la période complexe et touffue qui va en gros de 1760-1765 à 1960-1965, on peut apercevoir quatre grands mouvements. Un premier mouvement, dit « des grands romantiques », redécouvre la poésie en employant le langage des sentiments et de l’imagination ; une nouvelle voie s’ouvre alors, et la poésie, déta-chée de la « belle histoire », devient, pour reprendre le mot de Hugo, « ce qu’il y a d’intime en tout ». Un deuxième mouvement, que l’on peut dire objectiviste, parce qu’il réagit contre les débordements intérieurs, intègre et généralise le drame individuel au malheur de l’humanité ; c’est l’époque du regard clinique naturaliste, qui n’exclut pas un certain lyrisme, même s’il est moins subjectif. Face à cette volonté scientiste et totalisante, il se produit au début du XXe s. une réaction irrationa-liste, appelée par les exigences d’une mystique nationaliste ; le lyrisme éclate de nouveau dans ce troisième mouvement, dit « du regain ». Un quatrième aspect du romantisme a dominé la littérature française depuis la Première Guerre mondiale. Ce courant, qui, de Proust au « nouveau roman », a approfondi, jusqu’à les renverser, les données existentielles de la thématique de l’altérité héritées du XIXe s., se caractérise surtout par l’envahissement de la conscience créatrice par les pro-

blèmes de technique littéraire. L’« ère du roman roi » a été aussi l’« ère du soupçon », le moment de la réflexion critique sur la littérature. Le roman moderne, aujourd’hui plongé dans l’impasse, est en effet une « invention » du XIXe s., tout comme la notion d’« ex-périence », aujourd’hui reconsidérée sous l’angle de l’« être en société », qui en est le thème central. La littérature de l’absurde, née sur ces décombres, met en oeuvre une technique du morcellement dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle reflète assez exactement la situation actuelle du courant romantique en France. Toute technique étant grosse d’une métaphysique implicite, comme le fait remarquer Sartre, la métaphysique de l’absurde est une métaphysique de la non-intimité avec soi-même, de l’inanité généralisée, dernier cri du fameux mal du siècle romantique.

Cette évolution dans l’éloignement des thèses classiques est remarquable dans le devenir romantique de la forme classique par excellence, le théâtre.

Alors qu’au théâtre classique c’est la vérité qui tue, parce qu’il y a croyance en la communicabilité, en la compréhension mutuelle, chez Marivaux déjà, mais encore plus nettement chez Musset (et, pour le roman, chez Stendhal), les personnages sont enfermés en eux-mêmes dans des mondes résolument différents et qui n’interfèrent que trop rarement. C’est le malentendu qui devient source du drame : la plupart des personnages romantiques ne parlent plus la même langue, ils ne sont pas tous de la même « race d’être », du même monde. Cela se retrouve au XXe s.

chez Montherlant, chez Giraudoux et chez Sartre. Le divorce est consommé entre le langage et l’âme. De nos jours, qui croit encore à cette vaste erreur de la communication des consciences ? La parole théâtrale absurde se contente de véhiculer des lieux communs, se perd dans le vide de l’in-individualité : on n’écoute plus l’autre, on suit indéfiniment le ressassement de sa propre pensée. Cette découverte de l’individualité incommunicable est l’apport spécifique du romantisme à la littérature fran-

çaise ; il trouve son point d’aboutissement dans le renversement qu’opère la pensée contemporaine de l’absurde. Du

« cri » — « Je suis une force qui va » —

à la désintégration-récupération dans la masse sociale, le romantisme, malgré des conflits de tendance, des crises, des variations, a connu toutes les voix de l’individualité : il a été romantique jusqu’au bout.

Mais le théâtre n’a pas été la forme littéraire privilégiée du romantisme.

Sans doute, pendant toute la période romantique, la poésie a-t-elle été à l’honneur : Baudelaire, qui intériorise l’épanchement de ses maîtres et le rend plus grave, annonce, par sa conception de la beauté comme absolu mystique doublé d’un relativisme historique, toutes les aventures esthétiques de l’art moderne. Avec lui, mais déjà auparavant avec ceux qu’il est convenu d’appeler les petits romantiques et plus tard avec Rimbaud, la poésie envahit la prose, et la prose s’annexe la poésie.

Mais, dans leur refus de ce monde vulgaire et inculte qu’est devenu à leurs yeux le public, les nouveaux poètes tendent à ménager à la « haute litté-

rature », initiatique et poétique, une place à part dans les lettres françaises, et bientôt ce « domaine réservé » s’attire la défaveur hautaine, voire hostile, du public, qui lui préfère le roman. Le roman, voilà bien l’oeuvre maîtresse du romantisme.

Les remarques essentielles à faire pour comprendre cette prééminence de fait du roman dans la littérature française de la Révolution à nos jours

— la poésie a toujours conservé un renom de prestige — sont de deux ordres : le comment et le pourquoi.

En gros, on peut dire que l’évolution du roman s’est faite de Balzac, qui crée un monde, à Proust, qui creuse la conscience d’un monde, par la médiation capitale de Flaubert, qui donne au roman ses « règles », qui unifie dans un style l’être et les choses, qui utilise la matière traditionnelle, héritée du Moyen Âge, pour faire le portrait de son temps, tournant décisif dans la réflexion de la littérature sur ellemême. Après la Première Guerre mondiale, Gide, par l’importance de ses soucis techniques, engage la littérature romanesque dans la voie d’un intellectualisme réflexif qui en corrompra jusqu’au sens. C’est que quelque chose