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a cessé, qui avait permis cet essor fabuleux du roman pendant le XIXe s.

Pourquoi le roman ? Parce que,

après Rousseau, un nouveau type

de relation s’instaure entre créateurs et consommateurs, relation qui est le trait distinctif du romantisme, par-delà ses vicissitudes. Si le grand écrivain n’est plus, pour reprendre le mot de Chateaubriand, « celui qui n’imite personne, mais celui que personne n’imite », parce qu’il se dit lui-même et que chacun est unique, alors, consé-

quence qui surprit Chateaubriand, mais qui est loin d’être si paradoxale qu’elle le paraît, le grand écrivain dira bien plus que lui-même, incarnera les sentiments et les aspirations de toute son époque : les personnages des oeuvres romantiques seront « imités » au-delà de l’imaginable, et toute la jeunesse qui lira René sera en proie au mal du siècle ; Hugo s’écrie : « Ah ! Insensé qui croit que je ne suis pas toi » — et une autre jeunesse se bat pour Hernani.

L’écrivain ne cherche plus à toucher l’« esprit » du public — par rapport à la masse grandissante des consommateurs, les créateurs nouveaux ont le sentiment d’appartenir à une élite —, mais son « coeur ». À la rupture donc du lien auteur-lecteur correspond un resserrement du lien héros-lecteur : à l’union des esprits succède la communion des sentiments. Conscients de cette emprise nouvelle qu’ils ont sur le public, les écrivains romantiques voudront être plus que l’« écho » des sensibilités : de Chateaubriand à Gide en passant par Lamartine, Vigny, Hugo, Zola, Barrès et Péguy, ils auront l’ambition de faire servir leurs dons non seulement à résumer, mais encore à guider l’humanité ; c’est pourquoi il convient à leur propos de parler d’individualité et non d’individualisme, car ils ont cru, pour la plupart, pouvoir jouer, par la force de leur pensée et de leur verbe, un rôle moral ou/et politique positif. Ce besoin d’assimilation de l’écrivain, à travers son personnage, à l’« inconscient idéologique » de son époque est le pendant exact du désir d’assimilation ressenti par le lecteur à l’égard du produit culturel. Écrire, c’est aimer, et lire, c’est aimer — par procuration. Rapprochement dans la distance inévitable de l’écriture, voilà

la grande leçon laissée par Rousseau à la littérature française.

Tel est le climat général. Il est gros de deux aspects, qui vont s’épanouir de 1850 à 1950. C’est d’abord un courant de « littérature engagée » : la prose convenant mieux que la poésie à l’expression des idées, de grands écrivains vont s’y adonner, et leurs oeuvres vont paraître en feuilletons dans les journaux. Le public ayant réagi favorablement à cette innovation technique, une foule de mauvais romans envahit la littérature française : c’est le second courant. L’engouement du public ne se ralentissant pas, on peut considérer cette « mauvaise littérature » comme la plus typique du fait littéraire français de ce dernier siècle (toutes les grandes oeuvres ne se ressemblent-elles pas, dont l’impact ne connaît pas de frontières ?), la plus représentative d’un certain esprit littéraire, d’un certain public : ce que Dostoïevski connaissait de la France littéraire contemporaine, c’était Paul de Kock (1793-1871) !

Une telle littérature ne cherche qu’à flatter les goûts du public par l’étalage d’un psychologisme où la mesquinerie de la réalité quotidienne transcrite telle quelle sert d’exutoire au désir du public de se retrouver dans des héros auxquels il peut facilement s’assimiler.

En ce sens, il ne paraît pas exagéré de comparer cette littérature au drame du XVIIIe s. ; le triomphe du genre romanesque est le triomphe de la littérature de « genre », c’est-à-dire la défaite de la littérature. Dès lors, on comprend le besoin qu’éprouvèrent certains écrivains, après le bouleversement de la Première Guerre mondiale, de reconsidérer ces données. La conscience de l’impossibilité d’écrire « la marquise sortit à cinq heures » marque la « corruption » — et les débuts d’une rénovation — du roman.

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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 9

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Situation actuelle de la

littérature française

V. L. Saulnier écrit : « La liquidation du romantisme, tel pourrait bien

être le grand fait littéraire du XXe s., à peu près acquis vers le milieu de sa course, après le double ébranlement des guerres mondiales. Le romantisme s’affirmait comme une restauration des valeurs du coeur : nous vivons dans un monde réaliste, sportif et technicien ; comme un culte des valeurs patriotiques : tout l’effort est aujourd’hui pour instituer des autorités au-dessus des nations ; comme un élan de l’individualisme : nous sommes au temps de l’homme social. Il était en lui un dilettantisme : et nous vivons dans un monde haletant ; en lui, une religion des vastes espoirs : le grand scrupule est aujourd’hui d’éviter les illusions, pour tâcher d’éloigner le pire. Quand on cherche dans quelle mesure la littérature actuelle demeure tributaire du romantisme, on en arrive à se demander si elle lui doit beaucoup plus que l’invention du roman moderne. » On aura pu voir les distances que nous avons prises, dans le détail, avec cette thèse ; reste que, sur le fond, nous ne pouvons qu’y ajouter foi, nous qui sommes contemporains de la « crise »

que traverse présentement la littérature française, et le roman au premier chef : la poésie vivante de 1973, c’est la publicité quotidienne et non l’ésoté-

risme caduc des chapelles littéraires ; face à la littérature d’outre-Atlantique, où des procédés importés de la technique cinématographique aboutissent à une « littérature du comportement », le roman en France reste la proie des recherches formelles.

C’est ainsi que l’on a pu assister, durant les décennies 1950-1960 et 1960-1970, à un double mouvement « avant-gardiste » dans la France littéraire. Le premier moment de cette recherche s’attache à donner une postérité à l’ambition du « roman pur » : c’est le « nouveau roman ». Il se propose essentiellement de renouveler les « formes » du récit : à travers le refus du « personnage » traditionnel et de la psychologie

« balzacienne », ce qui est en cause, c’est la notion même d’« écriture » ; le décentrement du regard, de l’homme à l’univers d’objets qui l’environne, implique en effet la subordination du style à l’écriture, c’est-à-dire la substitution du jeu avec le lecteur par la neutralité méticuleuse d’une rigueur toute géométrique dans le « tracé ». Une telle

prise de position récuse l’engagement, ce qui n’est pas le cas du second moment de cette littérature de recherche, lequel, groupé autour de la revue Tel Quel et du « collectif » Change, frères ennemis dans la lutte commune, prend pour thème majeur l’alliance de cette pratique littéraire nouvelle, poétique et critique avant d’être romanesque, et d’une théorie politique révolutionnaire.

Ce qui unit ces deux moments, c’est la fascination exercée par les sciences exactes ; ce qui les sépare, c’est la tentative de rationalisation, faite par le second, de cette emprise à travers sa mise en oeuvre dans les sciences humaines.

La « liquidation » du romantisme manifeste donc, par-delà la désintégration du couple vraisemblance-vérité, la fin de l’ère de la « dégustation », l’avè-

nement d’une époque de description systématique et totalisante. Le rapport avec le public cesse d’être le support de l’oeuvre, aujourd’hui tout entière tournée vers le rêve de la coexistence des langages ; la littérature est en même temps littérature et littérature sur la littérature, c’est-à-dire critique (C. Mauriac parle d’« alittérature »). La littérature française du XXe s. se signale par cet envahissement de la conscience critique, marque à la fois d’un haut degré d’intellectualisme, qui comprend le