condées par les découvertes françaises, rayonnent à leur tour. La propagation des idées musicales est favorisée par l’extrême mobilité des musiciens, qui suivent leurs protecteurs ou se fixent dans les chapelles pontificale et princières. À Guillaume Dufay (v. 1400-1474), qui domine la première moitié du XVe s., sont dus le développement et la fixation des trois formes privilé-
giées dans lesquelles se coule la polyphonie de la fin du XVe s. et du XVIe s. : la messe, le motet, la chanson. Après lui, l’abandon de l’emploi des instruments oriente la musique vocale vers le style a cappella, tandis qu’une pré-
occupation nouvelle apparaît : celle de l’expression ; la mélancolie grave, qui imprègne à l’aube de la Renaissance française la musique profane comme la musique religieuse et qui se dégage de la plasticité des courbes mélodiques, est restée pour beaucoup le symbole de l’effusion vers la divinité.
Johannes Ockeghem (v. 1430 -
v. 1496), Flamand au service de trois rois de France, unifie dans ses messes le traitement des 4 voix ; par le jeu des
« imitations canoniques », la teneur ne sert plus de trame à l’édifice polyphonique : elle se diffuse dans les diffé-
rentes voix. Avec Josquin Des* Prés (v. 1440-1521 ou 1527 ?), parfaitement maître de l’écriture contrapuntique, la messe atteint une forme d’équilibre idéal : la « teneur », liturgique ou empruntée à une chanson profane, est devenue le thème générateur de l’ensemble. Le motet, par la variété de ses textes et l’absence de teneur, laisse toute liberté à la sensibilité du musicien. Les 129 pièces de Josquin pour 4, 5, 6 et 8 voix représentent une somme où il expérimente un maniement de la masse sonore différent de celui de la messe. Avec une pléiade de leurs contemporains, Johannes Ockeghem et Josquin Des Prés atteignent dans la messe et le motet une perfection qui sera un modèle et une limite pour leurs successeurs français du XVIe s. C’est à l’extérieur qu’il faut rechercher leur héritage spirituel : dans l’oeuvre d’un T. L. de Victoria* et dans celle d’un G. P. da Palestrina*. Il en va autrement dans le domaine de la chanson* : ayant libéré la musique de la gangue du texte poétique, ils n’ont pu lui don-
ner un style propre qui la différencie du motet. Il appartiendra à la chanson dite « parisienne », largement diffusée après 1525 par l’imprimerie, d’ajouter verve, vivacité et fantaisie descriptive à la gamme des sentiments jusque-là décrits : pour ce faire, la polyphonie clarifiée se réduit à un jeu d’imitations très simples, tandis que l’homophonie, doublée d’une rythmique complexe, triomphe. L’oeuvre de Clément Janequin* résume ces tendances. Assez curieusement, ce n’est pas en France, malgré une production de qualité, qu’il faut chercher une postérité à la chanson française, mais en Italie, où le madrigal développe ses virtualités en achevant de forger un symbolisme musical, déjà sous-jacent, qui va féconder la musique européenne pendant plusieurs siècles.
Tandis qu’une évolution profonde est amorcée, Roland de Lassus* rassemble les acquisitions de ce XVIe s. et présente dans son oeuvre immense, en une sorte de bilan, toutes les formes et les principaux styles nationaux, fran-
çais, italien et allemand, dont la gestation est presque achevée. Parallèlement, les tendances qui apparaissent après 1560 en France contribuent à l’éclosion d’un nouvel élément du langage musical, que le XVIIe s. adoptera lentement : la monodie accompagnée. Les paraphrases de psaumes (Claude Goudimel [v. 1505-1572]) destinées aux assemblées protestantes simplifient, pour des raisons pratiques évidentes, le tissu polyphonique. La musique « mesurée à l’antique », dont Claude Le Jeune* est le représentant le plus qualifié, contraint au vertica-lisme un discours musical réglé par les complexes mètres latins. Par ces deux courants, auxquels on peut ajouter le madrigal italien, s’effectue le passage de la polyphonie, où chaque voix d’égal intérêt est conduite pour elle-même, à la monodie accompagnée, où l’une d’elles devient prépondérante, tandis que les autres sont groupées en agrégats qui tendent à reposer sur une base génératrice de l’ensemble. Il est réalisé, fait symptomatique, par des voies différentes en Italie et en France.
La période « classique » :
XVIIe et XVIIIe s
Pendant cette période, deux « nationa-
lismes » musicaux se heurtent : le fran-
çais et l’italien. Cet antagonisme est sensible dans une littérature polémique jalonnée par des « Défenses », des
« Parallèles », des « Lettres » et par des querelles qui secouent le monde musical, dont la plus célèbre est la « Querelle des bouffons » (1752-1754). Les nouveautés d’outre-monts fascinent les musiciens français, qui découvrent un style vocal, des recherches d’écriture, un traitement des instruments à cordes différents. Les plus curieux et les plus doués tirent immédiatement profit de ces éléments, les assimilent et en font une composante de leur personnalité, placée ainsi sous le signe des
« goûts réunis » : c’est le cas, dans des domaines divers, de M.-A. Charpentier*, de François Couperin*, d’André Campra*.
Cette influence aurait été plus éclatante si n’était intervenu un second facteur : la lente mais sûre concentration des forces musicales du pays, auparavant dispersées, autour du roi et de la Cour, qui imposent leur goût.
Les formes musicales sécrétées par la vie de cour, tragédie lyrique de Lully, grand motet versaillais, reflètent moins l’apport italien, alors qu’il apparaît dans des genres qui se développent en dehors de ce pôle d’attraction, comme la cantate, le motet à voix seule, la musique instrumentale pour cordes. Sous Louis XV, la prodigieuse vitalité de la musique italienne, servie par ses interprètes lancés sur les routes de l’Europe, ne rencontre plus qu’une résistance ré-
duite en France : c’est l’annonce d’un déclin momentané pour la musique française, qui, les bouleversements politiques aidant, reste étrangère en partie à la révolution musicale de la fin du XVIIIe s.
Deux phases, l’une de gestation, l’autre de maturité, se succèdent pendant cette période. Tel est le cas pour la musique dramatique. L’Italien Lully*, futur créateur de l’opéra fran-
çais, recueille un héritage important et original, dont il va agencer habilement les éléments. L’air de cour, monodie élégiaque, a profondément évolué depuis ses origines (1571), servi par trois générations de musiciens : d’abord harmonisé à 4 voix, il prend sa phy-
sionomie quand la voix supérieure se détache, tandis que les autres sont égrenées par un instrument d’harmonie comme le luth, support privilégié de cet art confidentiel.
Sous la forme du récit, l’air de cour prend un tour dramatique qui lui permet de s’insérer dans le ballet de cour.
Ce fastueux spectacle littéraire, musical et chorégraphique ne présente pas d’unité, ni de tissu continu. Après dix années de collaboration avec Molière dans les comédies-ballets, Lully parvient à résoudre la difficulté essentielle et à créer un récitatif français dans Cadmus et Hermione (1673), sa première tragédie lyrique. Dans le cadre d’une action dramatique continue à sujet noble, il soude des éléments disparates : récits, airs, choeurs, danses, ordonnés selon un principe d’unité.
Unité et diversité : l’opéra français oscille entre ces deux extrêmes. Après le génie organisateur de Lully, la tradition du ballet de cour reparaît dans l’opéra-ballet : l’action dramatique éclate de nouveau. À partir de 1733, Rameau* apporte à la scène son expé-
rience de théoricien et la prodigieuse maîtrise d’un langage musical beaucoup plus riche que celui de Lully. Tragédie lyrique et opéra-ballet se côtoient dans son oeuvre. Gluck*, Allemand, a choisi la scène française pour présenter, avec le meilleur de son oeuvre, ses conceptions dramatiques : soumission de la musique au texte afin de mettre en valeur le drame. Entre Rameau et Gluck s’insère la création de l’opéra-comique français, inspiré de l’Italie et adapté au goût national.