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— Oui, je l’ai, dit le policier.

Il tendit à l’Italien le portefeuille du vieux prêteur sur gages.

— Compte ça, il doit y avoir déjà deux mille dollars là-dedans.

Cendrini s’empara fébrilement de l’objet et se mit à l’inventorier.

— C'est zouste, dit-il.

Il eut un tremblement de la voix.

— Et le reste ?

— Commence à mettre ça dans ta poche ! ordonna Clay.

L'Italien obéit.

Clay porta la main vers sa poche intérieure. L'autre crut que c’était pour y prendre son portefeuille ; en réalité, c’était la crosse de son revolver que le policier caressait.

— Attention, souffla-t-il, il me semble qu’il vient quelqu’un…

L'Italien prêta l’oreille.

— Zé n’entends rien, dit-il.

— Regarde voir du côté des docks pendant que je te complète ton compte…

Cendrini tourna le dos à Clay et fit quelques pas dans la direction que celui-ci lui indiquait.

Alors Clay tira son revolver, il replia son coude gauche, s’en servit comme appui pour viser. Il voulait placer une balle dans la poitrine, si possible dans le portefeuille ; de derrière, ça n’était pas commode, mais, nous l’avons dit par ailleurs, Clay était le premier tireur de sa promotion.

Il fit feu.

La détonation emplit tout le silence. La flamme qui sortit du canon éclaira la scène l’espace d’un centième de seconde, comme un éclat de magnésium.

Cendrini eut comme une espèce d’exclamation dérobée.

Il fit deux pas en titubant et s’affaissa, le nez sur le sol.

Clay s’avança. L'Italien ne bougeait plus. Il s’agenouilla à côté de sa victime et étudia la blessure. La balle avait pénétré sous l’omoplate gauche. Elle avait dû transpercer le cœur.

Une seule avait suffi. C'était ce qu’il fallait.

Clay fit demi-tour… Il parcourut une certaine distance, puis tira en l’air une deuxième balle.

Après quoi il rengaina son revolver et s’en fut vers les lumières pour donner l’alarme.

* * *

Quelle que soit l'heure à laquelle on poussait la porte du bureau d’Ox, on était certain de toujours le trouver affalé derrière son sous-main.

Il ressemblait à un animal, à ces espèces de poissons ou de reptiles qui somnolent et attendent que leurs proies viennent à portée de leur voracité pour fondre sur elles.

Clay avait l’air sombre en pénétrant dans le local du gros.

— Du grabuge ? demanda Ox.

— Juste.

— Allez-y, avec des gars comme vous, il faut être prêt à tout entendre.

Clay haussa les épaules.

— Vous avez vu Steve ? biaisa-t-il.

— Oui, j’ai vu Steve, et alors ?

— Il vous a dit, pour le Rital ?

— Il m’a dit.

Clay passa sa main sur son front. Il ôta son chapeau, le jeta sur le bureau de son chef et sortit une cigarette. Il cueillit le mégot du lieutenant entre ses doigts, alluma sa cigarette et replaça le tronçon de cigare.

— Vous accouchez, oui ? Ou bien faut-il aller chercher les forceps ? s’impatienta Ox.

— J’ai buté le Rital, dit Clay, lugubre.

Ox porta son bout de cigare entre ses lèvres, tira une goulée de fumée qu’il rejeta longuement par le nez.

— Bravo, fit-il… Qu’est-ce qui vous est passé par la tête ?

— Voilà, dit Clay. J’ai pris la relève de Steve… Sur le coup de dix heures, peut-être avant, Cendrini est sorti de chez lui. Il portait un costar neuf qu’il s’était acheté dans la journée… Il avait l’air pressé, furtif… Il s’est dirigé vers le port… Je ne sais pas pourquoi, j’ai eu dans l’idée qu’il partait… Un type comme lui qui se sape pour sortir à dix heures du soir et qui se dirige vers le port, ça ne présage rien de bon…

— Et alors ? insista Ox d’une voix neutre.

— Il est descendu sur le quai, il se dirigeait vers la mer… J’ai eu la frousse qu’il nous échappe : ce que vous m’aviez dit au sujet du gouverneur m’a flanqué les flubes… Je me suis dit que je ne me pardonnerais jamais d’avoir découvert l’assassin en un temps record pour le laisser filer… On a beau avoir le signalement complet de certains mecs, il arrive tous les jours qu’on ne puisse plus les ressaisir… Je me suis dit que le Rital avait peut-être un complice qui l’attendait sur une vedette… Bref, je l’ai interpellé… Je sais, je n’avais pas de mandat d’arrêt, mais je me proposais de l’amener ici pour le cuisiner pendant que vous auriez fait le nécessaire auprès du juge…

Ox ne bronchait pas. Il tenait fixés sur son subordonné ses petits yeux de caméléon.

— Il s’est retourné, continua Clay. Il m’a reconnu… Alors il s’est mis à courir… Je lui ai crié d’arrêter, il a continué de trotter comme un lapin. J’aurais jamais cru qu’un zig comme ce Rital pouvait cavaler aussi vite… Pour le faire stopper, j’ai tiré en l’air…

Clay s’épongea le front.

— Ça lui a donné des ailes, au contraire… Alors, je… Bref, je lui ai mis une balle dans la carcasse… Je sais, c’était un peu rapide, à peine avais-je pressé la détente que je le regrettais, mais il était trop tard. Vous savez que, question de viser juste, je n’ai pas mon pareil…

Il y eut un silence.

Ox écrasa son mégot dans le cendrier. Il ne regardait pas Clay. Il fixait une tache sur son buvard.

— Tout ça est regrettable, dit-il enfin.

— Dans un sens, oui, dit Clay. Pourtant, ce qui soulage ma conscience, c’est que j’ai maintenant la preuve absolue que Cendrini était bien l’assassin.

— Comment ça ?

— Il avait sur lui deux mille cinq cents dollars dans un portefeuille qui devait appartenir à Malisson. Ça, ses contradictions, le bouton découvert sur les lieux du drame, ses dépenses inconsidérées, sa fugue… Je crois que ce serait mille fois suffisant pour convaincre le jury le plus difficile, non ?

— Sans doute, reconnut Ox. N’empêche que la presse va râler… Vous allez lire ça : « Les assassins assermentés » ! Je vois les titres comme ça sur quatre colonnes !

— Le gouverneur ne peut-il y faire mettre une sourdine ?

— Le gouverneur ne voudra pas se mouiller. En haut lieu, on va faire du ramdam, je vais me faire sonner les cloches et vous n’y couperez pas d’un blâme.

Clay s’en foutait éperdument. Quarante mille dollars et sa sécurité valaient bien un blâme !

Seulement, il ne pouvait extérioriser sa bonne humeur qui aurait paru suspecte.

— Ça va ! hurla-t-il. Si ces messieurs font la fine bouche, ils n’ont qu’à s’en charger eux-mêmes, des assassins ! Sans rire ! Un blâme ! Écoutez-moi bien, patron : jusqu’ici, j’ai toujours fait mon turbin du mieux que j’ai pu, et ça n’est pas vous qui pourrez dire le contraire, hein ? Bon, alors si j’écope d’un blâme, je vous préviens que je vous colle illico ma démission. Et j’irai les trouver, moi, les journaleux, et je leur ferai bouffer leur nom de Dieu d’article, vous m’entendez ! Un blâme ! Un blâme parce qu’on fait son travail ! Non mais, il ne faut pas prendre les gens pour des crêpes, à la fin !

— Calmez-vous, Clay ! tonna brutalement Ox.

Il abattit sa lourde poigne sur son bureau, ce qui fit trembler les objets qui s’y trouvaient.

— Calmez-vous, répéta-t-il, et écoutez-moi bien. Je ne vous donnerai pas raison, quoi que vous puissiez penser de vos faits d’armes ! Vous êtes payé pour appréhender les assassins, non pour les bousiller, Clay ! Il y a un type qui se charge de ça, qui est payé pour ça à la prison de Sing-Sing ! Vous comprenez ? Si les flics se mettent à foutre les suspects en l’air, la police n’a plus qu’à changer de raison sociale.