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— Alors, il valait mieux le laisser se barrer, ce type ? demanda Clay.

— Parfaitement, dit Ox.

Il ouvrit son tiroir à whisky, sortit un flacon dont il dévissa le bouchon avant de se le coller sous le nez.

Il but une fantastique lampée de liquide brun, s’essuya les lèvres d’un revers de manche et remit la bouteille en place.

— Enfin, murmura-t-il, le mal est fait, il ne nous reste plus qu’à amortir le choc et à classer l’affaire… Bon, vous pouvez disposer, Clay, et une autre fois, tâchez d'avoir la seringue moins prompte !

* * *

Clay quitta le commissariat comme un écolier en vacances quitte le collège. Il avait envie de gambader, de hurler de joie.

Certes, il venait de tuer un homme, mais la vie était belle… pour lui ! Il ne regrettait rien. L'existence de Cendrini lui semblait maintenant aussi dépourvue d’importance que celle d’un rat.

Voilà, Cendrini était un vilain rat visqueux qu’il avait écrasé. On ne pleure pas un rat. La mort d’un rat n’est pas un crime.

Il rentra à son domicile pour boire à sa santé et recompter ses dollars.

DEUXIÈME PARTIE

CHAPITRE PREMIER

Il s’éveilla tard. Il avait dormi d’un sommeil relativement calme, mais sa prise de conscience fut plutôt nauséeuse car il avait vidé à lui seul un flacon entier de rye avant de se glisser dans les draps.

Il avait bu pour fêter sa victoire car ce qu’il avait réussi là représentait une véritable victoire. Une victoire sur lui, d’abord, mais aussi sur les autres.

En zigzaguant, il gagna la salle de bain, se prépara un grand verre d’aspirine effervescente et prit une douche. Cela fait, il se sentit tout à fait mieux.

Il ne lui manquait, pour être d’attaque, qu’un bol de café noir et deux œufs sur une tranche de bacon.

Comme il achevait de se raser, la sonnerie du téléphone retentit.

— Hello ! lança une voix féminine.

Il reconnut immédiatement celle de Gloria.

— Hello, fit-il joyeusement.

— Comment va le flic de mon cœur ?

— Comme un flic qui se réveille, dit-il.

— J’attendais un coup de fil de vous cette nuit, reprocha-t-elle. Mais peut-être êtes-vous d’humeur instable et aimez-vous les fréquents changements de programme ?

— Comment pouvez-vous penser une chose aussi absurde ? se défendit Clay. Je ne vous ai pas appelée parce que j’ai eu du boulot… Un sale boulot, ajouta-t-il.

— Je sais, dit la jeune fille.

Il sursauta :

— Comment savez-vous ?

— Je suis une femme organisée, figurez-vous. On m’apporte mon courrier et les journaux en même temps que mon petit déjeuner.

— Les canards parlent de moi ?

Il était à cran.

— Sur trois colonnes et en première page, dit-elle. Il paraît que vous avez abattu un homme, cette nuit. Un criminel ?

— Oui. Qu’en disent-ils, les types de la presse ?

— Que vous avez la main leste. Mais ils ajoutent que c’est pain béni et qu’au fond, cela fait faire des économies à l’État, une balle étant moins coûteuse qu’un procès… Dans l’ensemble, rien de bien méchant pour vous… Pourquoi, vous craigniez de vous faire sonner les cloches ?

— Un peu, avoua Clay, épanoui.

— Il faudra me raconter ce drame, ça me donnera le grand frisson. Vous n’avez pas envie, John chéri, d’avoir dans vos bras une femme agitée par le grand frisson ?

— Je ne rêve que de ça depuis que j’ai quitté le collège, fit le policier.

— Alors, mettez un pantalon, de préférence, et une chemise si vous avez du temps à gaspiller, et rappliquez dare-dare…

— Où ça ?

— Chez moi, parbleu !

— Chez vous ? murmura-t-il, abasourdi.

— Ça vous contrarie ? Vous craignez qu’il n’y ait pas de whisky ?

— Ne prononcez pas ce mot-là, mon ange, ça me donne des migraines… Mon objectif, pour l’instant, c’est une paire d’œufs frits…

— Je peux vous trouver ça chez nous.

— Alors, c'est O.K.

Il s’habilla rapidement et descendit jusqu’à la station de taxis la plus proche.

* * *

Gloria était vêtue d’une robe de chambre de satin crème. Un foulard rouge tenait ses cheveux. Des mules de satin rouge, assorties au foulard, chaussaient ses pieds menus. Elle n’avait pas de maquillage, mais Clay trouva qu’elle était encore plus belle ainsi. Plus éclatante, plus saine…

Un domestique l’introduisit dans les appartements de Gloria. Les Masure habitaient un hôtel particulier près du Park. Il y avait tout autour un jardin à la française et des grilles de fer forgé entouraient ce jardin.

L’intérieur était encore plus opulent, plus cossu que l’extérieur. La chambre de Gloria était une merveille, un vrai musée. Les meubles étaient en citronnier. Partout ce n’étaient que lourdes tentures de soie claire, glaces de Venise, tableaux de maîtres, fleurs rares.

Un parfum suave, une atmosphère délicatement ouatée enivrèrent le policier.

Gloria était allongée sur un divan ; sa robe de chambre largement ouverte dévoilait ses jambes admirables et laissait deviner les rondeurs affolantes de ses seins.

Clay s’inclina devant elle. Elle en profita pour l’attraper par le cou et lui tendit sa bouche. Ils échangèrent un long baiser brûlant qui mit en feu le sang de John Clay.

— Heureux de me revoir ? demanda-t-elle.

— Fou ! répondit-il.

Il s’assit à ses côtés et l’enlaça.

Elle répondit à son étreinte et ils roulèrent bientôt dans un tourbillon de volupté.

Lorsqu’ils se furent ressaisis, Gloria demanda :

— Vous restez ici jusqu’à l’heure de votre service, n’est-ce pas ?

— Ma foi, murmura le policier, ce serait avec plaisir, mais je crains de… Ne riez pas : de vous compromettre… Si votre père…

Elle haussa les épaules.

— Mon père se moque de mes agissements, de mes relations et de tout ce que je fais, pourvu que ce ne soit pas trop scandaleux, affirma-t-elle. Et puis, d’abord, ce n’est pas mon père…

Clay la regarda d’un air stupéfait. Tellement stupéfait, en vérité, qu’elle éclata de rire.

— Votre père n’est pas votre véritable père ? balbutia-t-il.

— Non, je ne suis que sa nièce. La fille de la sœur de sa femme, vous me suivez ? Mes parents sont morts dans un accident de chemin de fer alors que j’étais en nourrice. Les Masure ne pouvaient pas avoir d’enfants ; à la requête de ma tante, ils m’ont adoptée.

— Ah bon…

— Mais Masure n’a jamais montré pour moi beaucoup de sentiments. C'est un homme qui n’a qu’une passion dans sa vie : les affaires. Cela seul compte pour lui. Lorsque sa femme est morte, voici une dizaine d’années, il ne s’en est même pas rendu compte…

Elle chassa d’un geste ces images pénibles.

— Enfin, il paiera ça un jour ou l’autre.

— Vous êtes dure, dit Clay.

— C'est ça, fit-elle, dure mais juste…

Elle sonna le domestique et lui dit d’apporter un breakfast complet.

— Tout en mangeant, vous allez me raconter votre aventure policière, implora-t-elle.