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— C'est moi ! coupa-t-elle.

— Hein ?

— Oui, c’est moi qui ai pris ce film… Je suis douée, ne croyez-vous pas ?

— Donc, enchaîna Clay, vous me tenez. Lorsqu’on tient un homme, c’est qu’on désire quelque chose de lui.

— En effet, dit-elle.

— Eh bien, j’attends.

Elle ôta sa robe de chambre. Elle se tint nue devant lui avec une sorte de superbe impudeur.

— J’ai besoin d’un homme fort, dit-elle. Voilà longtemps que je le cherche… En général, les hommes sont tous des ballons rouges. Ils se gonflent, se gonflent, mais si vous les piquez, ils se dégonflent… Vous, Clay, vous êtes un homme fort, un homme qui ne se dégonfle pas lorsqu’on le pique.

— Au fait ! coupa Clay.

Il n’éprouvait plus pour Gloria Masure qu’une espèce de curiosité malsaine. Cette fille était vénéneuse comme une héroïne de roman noir. Elle l’avait captivé, l’avait charmé, fasciné pour mieux l’envahir, pour qu’il devienne « sa chose ».

Pendant qu’elle lui exécutait sa danse de l’amour, elle lui préparait en secret un faisceau de savantes perfidies…

Elle distillait son venin, elle guettait, surveillait ses faux pas, les filmait.

Elle vint s’asseoir à côté de lui sur le divan.

Son parfum était aussi obsédant que le Boléro de Ravel. Clay se dit que ces filles de la « haute » étaient de rudes salopes. Il la méprisait et l’admirait à la fois. C'était une créature du démon, mais une extraordinaire créature !

— Écoutez-moi bien, John chéri, murmura-t-elle. Je vais vous ouvrir une fenêtre sur ma petite âme noire… Je vous ai déjà parlé tout à l’heure de mon oncle et père adoptif Foster Masure… Je vous ai dit qu’il ne m’aime pas et que je le lui rends bien. C'est un pingre, il ratiocine sur tout. Je ne puis faire ce que je veux, car il menace à chaque instant de me déshériter, et il le fera un jour ou l’autre, au train où vont nos relations…

Clay suivait les explications sans ciller.

— De sorte, poursuivit Gloria, qu’il serait urgent et profitable pour moi qu’il disparaisse de cette vallée de larmes, vous saisissez ?

Oui, Clay avait saisi… Ce que Gloria voulait, c’était trouver un homme qui acceptât de la débarrasser de son oncle. Elle avait envie de la grosse galette. Elle voulait la fortune de Masure. Et elle avait décidé que Clay serait cet homme-là…

Clay ne broncha pas. Il attendait de voir venir le choc. Il préparait déjà le bouclier. Ça n’était pas la première fois de sa vie qu’il rencontrait une garce. Certes, jusqu’ici, dans les conflits qui l’avaient opposé à des souris, ça n’était pas lui, le principal intéressé ; seulement, le fait qu’il représentât — ou plus exactement que sa vie représentât — l’enjeu du duel, ne changeait rien à sa façon de combattre.

Maintenant, l’imminence du danger lui redonnait tous ses moyens. Gloria pouvait y aller carrément, il était prêt.

— Je vous écoute, invita le policier.

— Allons, Clay, ne faites pas l’enfant, vous m’avez déjà comprise. C'est VOUS, inspecteur, qui allez me débarrasser de mon oncle ! Vous réunissez toutes les qualités requises pour commettre un meurtre parfait : vous venez de le prouver… D’abord, vous êtes malin comme un diable ; ensuite, les scrupules ne vous embarrassent guère. Vous êtes policier. Et puis… vous êtes acculé… Je vous possède, mon chéri !

Clay haussa les épaules.

— Ne dites pas de bêtises, mon ange… Vous ne pouvez pas du tout m’obliger à commettre un meurtre. Vous avez tendance — une tendance fâcheuse, du reste — à prendre vos désirs pour la réalité ; c’est très mauvais, ça, pour les petites filles de bonne famille qui ont envie d’être milliardaires.

— Vraiment ? siffla-t-elle.

Elle se dressa. Elle avait sa figure mauvaise, ses yeux de vipère.

— Vraiment ! dit-il lentement en la regardant sans ciller.

Elle se mordit les lèvres. Une soudaine pâleur envahit son beau visage.

— Si vous n’acceptez pas ma petite proposition, Clay, j’envoie illico mon document à la police… Il intéressera fort vos supérieurs.

— Bien sûr, convint Clay, mais ça changera quoi pour vous ? Ce film ne s’est pas pris tout seul. Si je suis confondu, je n’aurai pas d’autres ressources que de me défendre, c’est normal, c’est humain, n’est-ce pas ? Or mon système de défense sera la suivant : c’est pour une femme que j’ai perdu la tête. Pour cette femme qui a tramé contre moi cette machination… Elle voulait que je tue son oncle, je n’ai pu descendre aussi bas dans la déchéance — ça fait très chouette, la déchéance, ça me vaudra un bon point ! — , alors, parce que j’ai refusé, elle m’a dénoncé…

Il la fixa droit dans les yeux :

— Après ça, si vous ne passez pas devant les tribunaux, vous êtes au moins certaine que votre tonton vous foutra au ruisseau et vous déshéritera aussi sec…

Clay se tut ; il avait un sourire béat.

La rage de la jeune fille éclatait sur son visage.

— On ne vous croira pas ! grinça-t-elle.

— Allons donc ! dit Clay. Et ce film ? Il faudra bien en découvrir l’origine… Nos services sont très forts, très bien outillés aussi, croyez-moi ! Ce film vous dénoncera en même temps que moi, c’est mathématique…

— Tout de même, dit-elle. Dans cette histoire, si je risque de perdre une fortune, vous, vous risquez de perdre la vie… Cela fait une fameuse différence, vous ne trouvez pas ?

— Bien sûr que si, admit le policier. Seulement, ce n’est pas de cette façon-là qu’il faut présenter le problème ; il faut dire : la perte de ma vie représente-t-elle pour vous une satisfaction qui vaille une fortune ? Qu’en pensez-vous ?

Il se leva, attrapa son chapeau.

— Où allez-vous ? demanda-t-elle.

— Au travail, répondit-il… Ma chère amie, jusqu'à nouvel ordre, je suis fonctionnaire… J’ai des obligations.

Il s’inclina.

— Continuez vos efforts cinématographiques… Vous êtes douée pour la caméra, ma jolie…

Loin d’être abattu, Clay se sentait absolument dégagé de toute préoccupation.

Par un calme travail de déductions, il venait de prouver à Gloria Masure que celle-ci s’était forgée une arme inefficace, ou plutôt une arme à double tranchant. Si elle essayait de lui en porter un coup, automatiquement elle recevrait le coup suivant.

Pour le moment, Clay était maître de la situation. Maître absolu !

— Voyez-vous, mon ange, dit-il, vous êtes encore une enfant. Une enfant machiavélique, certes, mais une enfant tout de même… Vous avez agi un peu trop précipitamment, vous avez manqué de patience ; votre erreur a été de me dévoiler d’un seul coup vos armes et vos désirs de victoire.

— Ne persiflez pas, Clay, dit-elle.

— Je ne persifle pas, je vous expose simplement mon point de vue.

— Tout n’est pas dit, reprit-elle.

— Allons, petite fille, reprit-il, voilà que vous allez me montrer de nouvelles cartes. Les enfants ne savent pas jouer convenablement, ils s’entêtent à abattre leur jeu avant la fin de la partie, c’est touchant !

— Filez ! dit-elle.

— C'est précisément ce que je faisais lorsque vous m’avez interpellé.

— Je vous aurai, Clay !