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— Vous m’avez déjà eu, dit-il en mettant dans cette phrase un sous-entendu polisson. Vous m’avez déjà eu, mon petit, et je vous ai eue. Nous nous sommes « eus » ; bibliquement, sur ce terrain-là, nous sommes quittes. Sur l’autre, croyez-moi, n’engagez pas le fer : on ne sait jamais ce dont un type de ma trempe est capable. Vous l’avez dit, je suis un homme fort, pas du tout une mazette. Moi-même, je suis épaté de voir la façon dont je me comporte depuis deux jours… Je ne me croyais pas capable de faire tout ça.

Il était déjà à la porte. Il vit qu’elle le regardait avec une sombre fureur non dépourvue d’admiration.

— Voyez-vous, Gloria, je suis un homme seul. Un dur à cuire… Soyez certaine que je tiens moins à ma vie qu’à la fortune de votre oncle ! Adieu…

Il referma la porte, respira un grand coup et se dirigea vers la sortie.

CHAPITRE II

Quelques jours s’écoulèrent, relativement mornes pour John Clay.

L'affaire Cendrini-Malisson s’était tassée. Un type du département d’État l’avait fait appeler, lui avait passé un savon sur sa manière d’arrêter les assassins, et les choses étaient redevenues normales.

Son boulot l’accaparait. Il attendait que l’histoire fût oubliée pour demander à prendre ses vacances. Jusque-là, il ne voulait pas penser au gros paquet de fric qu’il détenait, afin de ne pas céder à la tentation et de ne pas se lancer dans des dépenses inconsidérées, d’autant plus qu’on devait le tenir à l’œil.

Du côté Gloria Masure, rien ne lui rappelait plus que la jeune fille existait. Il n’avait aucune nouvelle d’elle et supposait qu’elle avait compris l’inanité de son entreprise, du moins en ce qui le concernait, lui.

Clay était un homme patient. Patiemment, donc, il attendait son heure. Il s’appliquait, par son travail, à dissiper la fâcheuse impression provoquée par le meurtre de Cendrini. Il était zélé et docile et commençait à amadouer le gros Ox.

Oui, c'était O.K. Il respirait librement.

Ce matin-là, il descendait de son appartement en sifflotant.

Comme il ouvrait la porte de l’ascenseur, il découvrit Gloria.

La jeune fille était assise dans le hall de l’immeuble sur une banquette de peluche rouge. Elle portait un tailleur vert-amande, des gants blancs, des chaussures vertes et blanches, et son maquillage chantait dans les ocres pâles.

Ainsi vêtue, elle était plus sensationnelle que jamais.

Clay la regarda avec méfiance et décida de l’aborder de front.

— La plus ravissante petite vipère des États-Unis ! s’exclama-t-il. Comment se porte Monsieur Masure, vipère de mon cœur ?

Gloria lui tendit la main.

— Comme un homme qui n’en a plus pour longtemps, répondit-elle.

— Il est malade ?

— Pire : il est condamné…

— Par son médecin ?

— Non… par moi !

— Vous avez trouvé une petite crapule qui vous obéit ?

— Mieux : un policier…

Clay haussa les épaules. L'assurance de la fille ne présageait rien de bon. Il n’aimait pas la lueur mauvaise de ses yeux, non plus que l’ironie de sa voix.

— Vous m’attendiez ? demanda-t-il.

— Vous devinez tout, décidément, sourit-elle. Avez-vous une cigarette ?

Il lui tendit son paquet de Camel.

— C'est pour me demander une cigarette que vous m’attendiez ?

— Pour ça… et pour autre chose, murmura-t-elle en se levant. Vous allez profiter de ma voiture, ajouta Gloria.

C'était un ordre plus qu’une proposition.

Il décida d’accepter. Non parce qu’il avait peur, mais par curiosité, pour savoir ce qu’elle mijotait.

— Merci, dit-il.

Et il s’effaça pour la laisser passer.

Ils sortirent. Il faisait soleil, mais avec des nuages filandreux qui voilaient un peu le bleu du ciel, suivant les caprices du vent.

Ils montèrent dans l’automobile de la jeune fille. Un moment, ils roulèrent sans se dire un mot. Clay vit qu’elle empruntait la direction du commissariat central.

— Vous n’êtes pas curieux, fit-elle enfin.

— Hélas si, avoua le policier. Si je n’étais pas curieux, mon chou, je ne serais pas monté dans votre voiture.

— Vous aimeriez savoir ce que j’ai à vous dire ?

— Oui, et comme vous allez me le dire, tout est donc très bien.

— John, dit-elle brusquement en arrêtant sa voiture le long du trottoir, j’ai à vous dire ceci : « Vous allez tuer mon oncle » !

— Vous avez vraiment de la suite dans les idées, dit Clay.

— Et le tuer avant demain soir, renchérit-elle.

— Et elle est pressée, par-dessus le marché ! gouailla le policier.

— Ne persiflez pas ; cette fois, l’heure est grave, Clay…

— Très joli, dit-il.

— Quoi ?

— Voilà une phrase qui fait toujours bien dans une conversation : l’heure est grave.

— Écoutez-moi, pour l’amour du Ciel, je vous promets que dans cinq minutes vous ne songerez plus à faire de l’esprit…

— Ça m’étonnerait !

— Moi pas ! Voyez-vous, l’autre matin, vous m’avez eue. Vous m’avez démontré qu’en effet, je ne pouvais rien vous faire sans me couler… J’ai été folle de rage, puis je me suis calmée… Après tout, c’est moi qui avais commencé, et je n’ai eu que ce que je méritais.

— Bigre ! Voilà une confession publique, maintenant !

— J’ai compris que vous aviez le dessus, malgré ce film que je détenais… Alors j’ai décidé d’attendre une nouvelle occasion. Peut-être rencontrerai-je un type à la hauteur, me suis-je dit…

— La sagesse s’exprimait par vos lèvres, renchérit Clay.

— Attendez ! Seulement, hier au soir, j’ai eu une altercation avec Masure. Pour une bêtise : ma voiture était en panne et j’ai pris la sienne ; un imbécile m’est rentré dedans… C'est toujours dans ces cas-là que les imbéciles vous rentrent dedans… Bref, il a mal pris la chose. Il a hurlé que j’étais une fille impossible, que je ne savais pas vivre, que je n’avais rien à la place du cerveau et qu’il ne permettrait jamais que sa fortune me tombe un jour entre les pattes. Il a ajouté qu’une petite rente serait suffisante pour moi…

Elle se tut un instant, puis reprit :

— C'est un homme qui ne perd pas de temps. Il a décroché le téléphone et a appelé son notaire… Heureusement, ce dernier est à un enterrement dans le Connecticut, il ne rentrera que demain soir. Masure a dit au clerc que le notaire devrait rappliquer chez lui dès son retour, que c’était important…

— Bigre ! murmura Clay, Ça m’a l’air de se gâter pour vous, ma choute… Baste, les tontons pétardiers ne résistent pas à un sourire : vous parviendrez bien à vous rabibocher avec lui avant demain soir.

— N’en croyez rien, soupira Gloria. Voilà trop longtemps qu’il cherche l’occasion de faire ça. Et puis, c’est un type qui n’a qu’une parole, il faut agir…

Clay comprenait fort bien les angoisses de la jeune fille.

— Croyez que je compatis à votre amertume, mon amour, mais je suis désolé de ne rien pouvoir pour vous…

Gloria eut un sourire forcé.

— Vous pouvez beaucoup…

— Je vous ai déjà dit de ne pas compter sur moi : je ne suis pas un tueur à gages !

Elle lui mit deux doigts sur les lèvres.

— Chut ! N’en dites pas davantage… Du moins pas avant que j’aie terminé. Cette nuit, j’ai réfléchi… J’ai décidé de taper un grand coup… Maintenant, Clay, la situation a changé ; comprenez-moi bien : je n’ai plus l’espoir d’hériter si nous ne faisons rien… Je ne risque donc plus d’être écartée du magot en vous dénonçant.