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Clay rageait. Il serra les poings.

Il avait envie de tout bousiller, de tout envoyer en l’air pour s’en sortir et recouvrer son équilibre.

Maudit soit le soir où il était entré dans la boîte de Jonas !

Avant, il était peinard. Il faisait gaillardement sa carrière de flic et ça lui procurait des satisfactions appréciables. La preuve, il allait passer sergent. Et cinq ou six ans plus tard, il aurait été promu lieutenant. Comme Ox, il aurait eu un bureau vitré, une bouteille de rye dans le tiroir du haut, un dictaphone et des tas de mecs à commander. Il aurait mené une flopée d’enquêtes à la fois, par des personnes interposées dont il aurait actionné les gestes comme on actionne les marionnettes à ficelles !

Et voilà que ce but auquel il avait consacré tous ses efforts, dans lequel il avait placé sa raison d’être, était sur le point de s’écrouler.

Tout s’écroulait : sa vie et son idéal… À cause de… à cause, oui, de cette satanée garce !

Soudain, il y eut comme un éclair dans son cerveau. L'évidence lui apparut, éclatante comme l’est une vérité fondamentale.

Quelqu’un devait encore disparaître, c’était juste. Et ce quelqu’un qui détruisait l’harmonie des choses n’était pas Masure, ni même lui, Clay, John Clay, le fameux inspecteur : c’était Gloria…

Oui, c’était elle, le bâton bloquant la roue… Elle, l’empêcheuse de tourner en rond… C'était entre ses mains que se trouvait la sécurité de Clay. Sa peau !

Il n’y avait qu’à la détruire comme on écrase un champignon vénéneux ou un insecte nuisible.

Il fallait la tuer ! Et la tuer vite ! La tuer avant le lendemain…

Seulement, le hic, c’était que la première personne soupçonnée serait Clay.

Ox n’était pas un crétin. Jusqu’ici, il avait été relativement facile à endormir parce que Clay avait su s’y prendre, et aussi parce que son passé sans tache parlait pour lui ; mais c’en serait trop et le meurtre lui retomberait sur le coin de la figure avant qu’il ait eu le temps de dire ouf !

Et alors Ox serait d’autant plus mauvais qu’il avait été abusé depuis le début !

Pour sa sécurité, il convenait de supprimer la fille, mais de la supprimer en possédant un alibi à toute épreuve.

Clay n’avait que quelques heures pour mener à bien cette tâche.

Pour commencer, il devait garder le contact avec Gloria, ne pas la laisser méditer trop longtemps afin qu'elle ne flaire pas le danger… C'était une gosse pas bête du tout, et puis les femmes ont une espèce de sixième sens dont il faut se méfier.

Il prit un jeton à la caisse et pénétra dans une cabine téléphonique.

Un bourdonnement éclata à l’autre bout du fil lorsqu’il eut composé le numéro de Masure.

— Allô ! dit Gloria.

Elle devait attendre son appel près du téléphone car elle décrocha avant que le premier spasme de la sonnerie fut achevé.

— C'est moi, dit simplement Clay.

— Comment ça se présente ?

— Pas mal…

— Mais encore ?

— J’ai monté notre petite fable à mon chef ; il a mordu dedans comme dans une tranche de cake. Néanmoins, c’est un type très service-service, avec un paquet gros comme ça d’idées préconçues. Alors, pour sa satisfaction personnelle, il va vous convoquer afin que vous ratifiiez mes dires… Ne vous pressez pas de vous rendre à sa convocation : ça fait toc… Vous le verrez demain, ça ira… D’ici là, il y aura du nouveau chez vous…

— Vous avez une idée ?

— Une idée merveilleuse, assura Clay.

Il réprima un ricanement ironique. Il ne mentait pas en affirmant cela.

— On peut la connaître, cette idée ?

— Vous ne voudriez pas que je vous l’écrive sur papier timbré, pendant que nous y sommes ? Faites-moi confiance, je sais ce que je fais. Seulement, j’aurai besoin de votre gracieux concours… Oh, rassurez-vous, simplement pour une question d’accessoire ! Pour cela, il faut que nous nous rencontrions, de préférence dans un endroit où l’on ne nous remarquera pas… Au Park, par exemple, à l’endroit de notre premier baiser ?

— C'est-à-dire à l'endroit où vous m'avez giflée, rectifia-t-elle.

— C'est ça ! Dans une demi-heure, ça marche ?

— O.K., j’arrive.

Clay raccrocha.

Il ne sortit pas tout de suite de la cabine. Cet endroit clos, silencieux, exigu, calmait ses nerfs. Dans cette cabine, il prenait un bain de silence. C'était fameux, sa matière grise fonctionnait parfaitement, comme des rouages barbotant dans l’huile.

Lorsqu’il sortit, il avait récupéré.

Il hésita à boire un nouveau whisky… À la réflexion, il y renonça : il n’avait pas besoin d’un dopping supplémentaire ; au contraire, il voulait jouir intégralement de ses facultés.

Il se fit conduire au Park en taxi, et là, se mit à marcher dans l’allée convenue, en respirant l’odeur prenante de la nature en délire. Ce mois d’avril finissait magnifiquement. Après tout, ce dégueulasse d’Ox avait bien fait de le mettre en vacances : il allait s’en payer une tranche.

Gloria arriva peu après au volant de sa voiture ; Clay prit place à ses côtés.

— Où allons-nous ? demanda-t-elle.

— Nulle part, dit-il, roulez doucement dans le Park, de manière à ce que nous puissions causer à l’aise.

— Vous allez pratiquer de quelle façon ? demanda-t-elle.

— C'est mon affaire ! répartit rudement l’inspecteur.

— C'est notre affaire ! rectifia-t-elle.

— Vous comptez participer au boulot ? demanda-t-il.

Elle ne répondit pas.

— Non, ma chérie, ce qui vous intéresse, vous, ce sont les résultats… Alors, foutez-moi bien la paix, hein ! À quelle heure votre oncle a-t-il l’habitude de rentrer chez lui, le soir ?

— Vers onze heures, dit-elle. Il dîne au restaurant avec ses principaux collaborateurs, il trouve ainsi le moyen de leur faire faire des heures supplémentaires.

Elle ricana :

— En voilà qui ne risquent pas de beaucoup le pleurer !

Clay fut révolté par tant de cynisme. Il se dit qu’un être pareil ne méritait guère de vivre et qu’il accomplirait, en supprimant Gloria, une besogne de justicier.

— Vous comptez le tuer chez lui ? questionna-t-elle.

— Oui, dit-il, c’est plus propre.

Elle le regarda par en dessous.

— Vous semblez bien amer…

— Vous ne voudriez tout de même pas que je danse, dit-il. C'est un genre de travail qui ne porte guère à l’euphorie, vous savez.

— Vous le supprimerez de quelle façon ?

— Mettons que ce soit mon secret…

— Minute, dit-elle, je tiens à me forger un alibi.

Clay sentit le danger.

— Foutez le camp si ça vous chante, mon cœur ; seulement, en tant que flic, laissez-moi vous donner un petit conseil : c’est un genre d’alibi qui attire toujours l’attention… La nièce héritière qui part en vadrouille pendant que son tonton est buté… Tous les enquêteurs voudront vous interviewer à fond ; n’oubliez pas qu’il y a dans notre bande des spécialistes de la… question, sans jeu de mots ! Or vous n’avez pas intérêt à éveiller les soupçons ; moi non plus, je n’ai pas intérêt à ce qu’on vous cuisine, n’oubliez pas ça…

— En ce cas, quelles sont vos directives ?

— Agissez comme de coutume… Absolument comme de coutume, je me charge de… enfin, du reste !