Il se signa.
— O.K., fit le policier… Attendez-moi là.
Il essaya de pousser la porte du magasin et comprit alors pourquoi le Sicilien n’était pas entré, non plus que les commères. Le malfaiteur présumé, en partant, avait tiré la porte à lui ; celle-ci s’était refermée ; le bec-de-cane se trouvant à l’intérieur, on ne pouvait l’ouvrir de l’extérieur.
Clay sortit son pistolet et donna un coup de crosse dans la vitre à travers la grille du volet. Il y eut un fracas de verre brisé.
Il passa alors la main à travers la porte et actionna le bec-de-cane. La porte s’ouvrit… Il entra.
Le magasin était obscur mais une lumière venait de l’arrière-boutique. Clay s’y dirigea.
Le vieux prêteur sur gages était étendu par terre, la tête dans une mare de sang. Une bouteille brisée gisant à ses côtés expliquait clairement comment on l’avait descendu. En effet, une plaie béait au-dessus de sa nuque.
Clay avait vu suffisamment de meurtres pour ne pas s’émouvoir outre mesure. Il posa la main sur la poitrine du vieillard ; le cœur ne battait plus.
Il regarda autour de lui : il n’y avait nulle trace de violences, excepté le crime lui-même. Donc il n’y avait pas eu lutte. Rien ne semblait indiquer que le criminel eut fouillé le local.
Clay aperçut un coffre dans un coin de la pièce. Un coffre très simple, plutôt une sorte de placard blindé fermant par une simple serrure de sûreté. Ce coffre n’avait pas été forcé.
Certainement le prêteur sur gages, comme beaucoup de ses confrères, se livrait-il au recel. Un filou lui avait apporté un bijou quelconque, ce qui expliquait qu’il l’eût reçu en pleine nuit. Ils n’avaient pas dû se mettre d’accord sur le prix. La discussion s’était envenimée. Le vieillard devait exploiter honteusement la situation ; sans doute son « client » était-il un débutant qu’il avait essayé de rouler. Comme l’autre refusait ses conditions, il l’avait peut-être menacé de le dénoncer. Alors le filou, affolé, avait empoigné la bouteille qui se trouvait à portée de main et la lui avait brisée sur le crâne.
Oui, c’était bien ainsi que le drame s’était déroulé. Clay connaissait son métier ; sans mal, il reconstituait tout. Le malfaiteur ne serait pas difficile à trouver. Un débutant ! Il allait commettre une foule d’impairs…
Clay fouilla les poches du vieux pour voir si on l’avait volé. Il en ressortit une montre en or, un portefeuille bourré de billets de dix dollars — il y en avait au total pour huit cent dollars — et une petite clef plate. Il pensa que c’était la clef du coffre. En effet, elle s’introduisit sans nulle difficulté dans la serrure. Il tourna deux tours, tira sur le vantail… Il y avait une boîte dans le coffre. Elle était pleine de bijoux de toutes sortes : des colliers — de perles, d’or, de diamants —, des bracelets, des bagues…
Voilà qui renforçait sa thèse comme quoi Malisson était un receleur, car les bijoux étaient en vrac, sans étiquettes ni numéros.
Sur le rayon supérieur, il y avait un vieux portefeuille, large et épais comme un oreiller. Clay en écarta les soufflets. De chaque côté se trouvait une énorme liasse de billets de cent dollars. Il les feuilleta rapidement. Grosso modo, il estima la somme à quarante mille dollars. Une véritable fortune !
Son cœur se mit à battre.
C'était un homme honnête qui, jusque-là, avait toujours repoussé la tentation, mais jamais il ne s’était trouvé dans une impasse avec un gros chèque sans provision en promenade dans New York !
Puiser une pincée de coupures et ses ennuis se trouvaient miraculeusement aplanis ! Il était paré, il pouvait voir venir.
La tentation était forte. Personne ne s’en apercevrait. Cet argent n’était nécessaire à personne. C'était de l’argent issu de sales combines.
Un léger bruit le fit tressaillir. Il se retourna vivement et découvrit le Sicilien, debout dans l’encadrement de la porte, fixant le cadavre du vieillard avec des yeux exorbités.
— Qu’est-ce que vous fichez ici ? hurla Clay. C'est pour brouiller les empreintes que vous venez… ? Si je vous colle l’histoire sur le dos, ce sera tant pis pour votre gueule, mon vieux ! Allez, caltez, retournez plutôt téléphoner à la police ! Vous demanderez le lieutenant Ox et vous direz que c’est l’inspecteur Clay qui vous envoie, qu’il s’agit d’un meurtre et qu’il m’expédie l’Identité en vitesse.
— Si, si…, balbutia l’autre en battant en retraite.
Clay attendit qu’il eut disparu, puis réfléchit une seconde, hésita et enfouit le gros portefeuille par l’échancrure de sa chemise.
Il le fit glisser contre sa hanche, le bloqua au moyen de sa ceinture et reboutonna soigneusement sa chemise, sa veste et son imperméable.
Cela fait, il renversa la boîte de bijoux à l’intérieur du coffre, repoussa la porte de celui-ci sans la fermer, essuya la clef, la réintroduisit dans la serrure et s’approcha du goulot de la bouteille. Il l’essuya comme il avait fait pour la clef. Il y avait gros à parier que l’assassin n’avait pas pris la précaution d’effacer ses empreintes. Or, Clay ne tenait pas à ce qu’on arrêtât ce type maintenant…
Il commençait à jeter les notes de son rapport sur son carnet lorsque les photographes et le médecin légiste arrivèrent.
Le toubib s’agenouilla au côté du cadavre.
— Enfoncement de l’occipital, dit-il au bout d’un instant. La mort a dû être extrêmement rapide… Cet homme est mort il y a moins d’une heure.
Clay hocha la tête.
— On l’a tué pour lui ravir la clef de son coffre, dit-il. Voyez, celui-ci est ouvert. Par exemple, le gars qui a fait ça est un drôle de petit prudent, il a laissé les bijoux et n’a pris que le fric, du moins je le suppose. M’est avis que le vieux trafiquait avec la pègre ; s’il n’était pas receleur, moi, je suis Newton !
Le magnésium des opérateurs crépita… La lumière des flashes blessa la vue de Clay. Il se sentait calme, étrangement maître de lui. La pensée d’avoir sur soi une fortune le galvanisait. C'était rudement O.K. d'avoir un tas de pognon contre sa peau… Ça valait décidément une ceinture de flanelle.
Il sortit derrière les infirmiers qui emportaient le cadavre.
Réveillée par le va-et-vient des voitures de police la foule s’amassait devant le magasin.
L'Italien était au premier rang.
— Dites, mon petit vieux, faudra me donner votre identité et votre adresse, fit Clay. Et puis, demain, vous viendrez au commissariat pour déposer… Venez dans l’après-midi, car j’ai besoin de roupiller ; vous demanderez l’inspecteur Clay, John Clay… Bon, allez-y, déballez-moi votre blaze…
— Je m’appelle Cendrini, fit l’autre, Henriquez Cendrini… Mon padre était italiano, ma madre, mexicano…
— Beau croisement, rigola Clay… Adresse ?
— 2.228, dix-neuvième rue.
— Profession ?
— Cireur dé chaussoures, signor.
— O.K…. Allez vous coucher, lui dit-il, et tâchez de rappliquer au commissariat demain après-midi.
Il regagna le poste.
— Alors ? demanda Ox.
Sa colère paraissait moins vive, mais il conservait un visage fermé. Ses yeux restaient hostiles, sa bouche amère.
Clay haussa les épaules.
— Un meurtre banal. Le vieux Malisson faisait du recel : son coffre est bourré d’un tas de bijoux non homologués… Il a eu la visite d’une crapule quelconque qui s’est présentée à lui sous prétexte de lui refiler un vulgaire bouchon de carafe… Une fois dans la place, le gars a assommé le vieux avec une bouteille de Brandy. Il lui a pris la clef de son coffre et a crevé le fric que celui-ci pouvait contenir… Mais le bandit est un cheval de retour, car il a bien pris le soin de ne pas toucher aux bijoux qui pourraient le faire repérer… Autre chose : il travaillait ganté, car il n’y a pas d’empreintes sur le goulot de la bouteille… Enfin, je mets en branle le dispositif d’usage… On va vérifier un petit peu les relations du vieux, voir quelle sorte de loustics venaient chez lui. Lorsque nous aurons du nouveau, nous nous occuperons de ces lascars…