— O.K., fit Ox.
Du moment qu’on parlait boulot, il se radoucissait.
— Rien de neuf pour cette nuit ? demanda Clay.
— Plus rien, vous pouvez filer.
Clay porta deux doigts à son chapeau et fit demi-tour.
Au moment où il s’apprêtait à sortir, il se retourna.
— Hé, lieutenant, murmura-t-il, si ça peut vous être agréable, je vous fais tout un tas d’excuses, pour tout à l’heure… J’étais énervé. Ça arrive…
— Allez vous faire foutre ! dit paisiblement le lieutenant.
Mais, rien qu’à sa voix, Clay comprit que c’était dans la poche.
CHAPITRE IV
John bâilla et ouvrit les yeux…
La pluie avait cessé, le temps était redevenu de meilleure humeur et un gai soleil inondait la chambre du policier.
Celui-ci habitait un petit appartement composé d’une chambre, d’un minuscule salon et d’une encore plus minuscule cuisine-salle de bain.
Il vivait seul. Il avait bien failli se marier, une dizaine d’années auparavant, mais au dernier moment il s’était aperçu que l’élue de son cœur s’envoyait en l’air avec tous les messieurs qui le lui demandaient poliment, et il avait annulé la cérémonie.
Sa première pensée fut pour le portefeuille de Malisson.
Il avait glissé l’objet sous son matelas. Avant de se coucher, il en avait fait l’inventaire : quarante-quatre mille trois cents dollars ! Une drôle d’aubaine !
C'était rudement bon de roupiller sur une fortune pareille. Jamais il n’avait vu autant de fric à la fois. Il en jouissait voluptueusement.
Quarante-quatre mille dollars ! Moins sa dette, il allait lui rester dans les trente-cinq mille.
Il pensa à ce qu’il allait faire de ce fric. D’abord attendre, ne rien changer à ses habitudes budgétaires pour ne pas éveiller les soupçons. C'était déjà assez embêtant d’avoir à porter le matin même plusieurs milliers de dollars à son compte. Si jamais les choses tournaient mal — ce qui, du reste, était fort improbable —, il serait bien en peine d’expliquer la provenance de cette somme. L'argent a toujours une origine et mieux vaut pouvoir donner, à qui le demande, le pedigree du fric que l’on possède…
Enfin, avec un peu de chance, tout se passerait bien.
De l’argent il fit deux parts inégales : l’une destinée à la banque, l’autre à son usage personnel. Il mit la première dans sa poche et s’arrêta, perplexe, avec la seconde à la main. Où serrer ce capital ? Il n’était pas question de le porter aussi à son compte. Alors ? Il le roula dans une feuille d’étain prélevée sur une tablette de chocolat et glissa le petit paquet dans une vasque d'éclairage. C'était une cachette simple et sûre. Il pouvait être tranquille… Et puis quoi, les voleurs ne cambriolent en général pas chez les policiers…
Cette somme, plus tard, lorsque l’affaire serait enterrée, lui servirait à se payer une bagnole neuve. Il rêvait d’une superbe voiture décapotable avec les pneus blancs, la boîte de vitesses automatique, les coussins en cuir rouge. La voiture serait crème. Il achèterait aussi, par la suite, un petit pavillon sur la côte de Floride. Avec tout ça, il deviendrait un petit caïd… À lui, les belles gosses ! Il prit son plus beau costume, noua sa plus chatoyante cravate et partit en sifflotant.
Lorsqu’il fut ressorti de la banque, il se sentit soulagé. La môme Masure pouvait amener son chèque ! Si elle comptait le coincer, elle serait de la revue…
Il hésita sur son emploi du temps. Il n’avait pas à passer au commissariat avant l’après-midi. Rien ne l’empêchait de se payer une petite balade au soleil et d’aller manger un poulet au miel dans un petit établissement sympathique.
Après tout, il était riche.
Chose curieuse, il n’éprouvait pas le moindre remords. Au fond, en prélevant ce fric, il n’avait fait que s’octroyer une prime bien méritée par cette harassante besogne qu’il accomplissait depuis des années. Un flic, ça risque sa peau pour le bien public ; pourquoi n’aurait-il pas droit à une petite compensation ?
Il héla un taxi, se fit conduire dans un établissement coquet, de style maure, où l’on mangeait des spécialités orientales.
Il prit place dans le patio sous le parasol multicolore d’une des tables.
Un serveur aux yeux bridés et au teint olivâtre s’enquit de ses désirs.
Clay consulta la carte.
Il passa sa commande et se renversa dans son fauteuil… Ouf ! Ce que c’était chouette, tout ça… Seulement, cette fortune, il voulait en jouir rapidement. Il fit un rapide calcul. On était en avril… Il n’avait pas pris de vacances depuis deux ans, ayant, l’année précédente, remplacé un copain qui désirait prolonger son repos maladie… Donc, il avait droit à deux mois. D’ici quelques jours, il ferait sa demande à Ox. Pour qu’elle fût agréée, il fallait se mettre bien avec ce gros fumier. Une boîte de ses cigares préférés ouvrirait avantageusement la voie aux négociations.
Si tout déguillait bien, il pourrait partir courant mai… Entre-temps, il choisirait sa bagnole et, dans une maison spécialisée, le bungalow dont il rêvait de se rendre acquéreur. Il regarderait des photographies de construction… Des photos de l’océan… Il voulait un palmier devant sa porte… Il avait toujours rêvé de posséder une petite maison avec des stores en nylon crème et un palmier devant sa porte.
Il se baladerait le long de la côte au volant de sa magnifique bagnole, et chaque soir, il ramènerait à bord une souris différente. Il boirait du whisky de première qualité, porterait des chemises de soie et des costumes sur mesures.
La belle vie ! La belle vie dont tant d’hommes, flics ou non, rêvent et qu’ils ne connaissent jamais !
Il mangea d’excellent appétit, envoya le boy lui acheter un havane gros comme une aubergine et se mit à le fumer voluptueusement.
Il chauffait un verre d’alcool dans sa paume.
— Eh bien, on ne s’en fait plus ! dit une voix dans son dos.
Il se retourna comme si une bête l’eût mordu.
Gloria Masure se tenait debout derrière lui. Elle était encore plus sensationnelle que la veille, dans une robe absolument blanche. Un grand chapeau de paille très clair ombrageait son beau visage qui, ce jour-là, possédait des couleurs de pêche mûre.
Clay ne put cacher son admiration.
— Tiens, une fée en vadrouille ! murmura-t-il.
— Vous m’avez l’air poète, dit la jeune fille. La bonne chère vous réussit. En tout cas, vous êtes plus cordial que cette nuit dans le parc.
— Peut-être parce que vous êtes moins effrontée ? répartit le policier.
Il bougea un siège pour inviter Gloria à y prendre place.
— Alors ? demanda-t-il. On a présenté son petit chèque ?
La jeune fille sourit.
— Non, dit-elle, j’ai téléphoné à votre banque en me réveillant pour demander s’il était approvisionné. Il l’était… Alors votre image ne présentait plus aucun intérêt…
Elle ouvrit son sac, sortit le chèque et y mit le feu. Après quoi elle le déposa sur un cendrier et tous deux le regardèrent brûler en silence.