— Vous êtes une drôle de fille, murmura Clay.
Il pensait que son capital venait de s’accroître sérieusement. Huit mille et des poussières, ça n’était pas à négliger… Voilà qu’il devenait radin, maintenant qu’il avait du pognon !
— Vous êtes vous-même un type assez curieux… Ceci sans vous flatter. Vous êtes policier, n’est-ce pas ?
— Inspecteur au bureau principal de police.
— Ça rapporte !
Il rougit :
— Est-ce pour recommencer vos insolences que vous vous êtes assise à ma table ?
Elle secoua la tête.
— Non, c’est parce que vous me plaisez…
— Vraiment ?
— Oui.
— Qu’est-ce qui vous plaît en moi, le côté casseur de gueules ?
— C'est bien possible, mais je ne le crois pas ; plutôt le côté…
— Dites-le.
Elle le regarda droit dans les yeux.
— Le côté « suspect », acheva-t-elle.
Clay bondit.
— En voilà assez, Miss Masure !… Je ne tolérerai pas que vous continuiez sur ce ton avec moi. Voyez-vous, ajouta-t-il, lorsqu’on fréquente un homme de mon espèce, on s’aperçoit très vite que le flic n’est jamais absent… Si vous faites encore un trait d’esprit de ce genre, je vous fous ma parole que je vous embarque pour outrage à magistrat.
Elle éclata de rire.
— Bigre ! Et où m’embarqueriez-vous ?
— Au poste, parbleu…
— Comme une criminelle ?
— Juste.
— Mais c’est passionnant. Et que s’y passerait-il, au poste ?
— Tout simplement on vous ferait passer devant le tribunal de simple police sous l’inculpation précédemment énoncée…
Les sourcils de la jeune fille se joignirent.
Ses yeux prirent cette expression dure et mauvaise qui y luisait parfois.
— Le juge m’interrogerait ? demanda-t-elle.
— Certes !
— Il me demanderait pourquoi je vous ai traité de policier suspect…
— Parfaitement.
— Je serais donc obligée de lui dire que c’est parce que j’ai joué au simple jeu de pile ou face avec vous dans un tripot, alors que le jeu est interdit… Que je vous ai gagné huit mille dollars et que votre compte contient cette coquette somme…
Elle s’interrompit un instant et, le fixant droit dans les yeux, demanda :
— Vous qui avez l’habitude de ces choses, Clay, il dirait quoi, le juge ?
Clay se mordit les lèvres. Cette enfant terrible ne manquait pas de jugeote. Quel jeu jouait-elle ? Pourquoi l’excitait-elle de la sorte ? Pourquoi lui décochait-elle ces flèches ?
Il haussa les épaules.
— Vous feriez mieux de vous occuper de vos toilettes, de vos voitures et de vos amants, dit-il.
— Qu’est-ce que je fais en ce moment ? demanda Gloria.
Il ne comprit pas tout de suite…
— Vous êtes de bon conseil, murmura-t-elle, je m’occupe de mes amants, de mes futurs amants…
Elle rapprocha son siège, glissa sa main fine sous le bras du policier et approcha sa bouche de son oreille.
Le souffle tiède de la jeune fille sur son visage causa à Clay un émoi contre lequel il n’eut ni la force ni même la volonté de s’insurger.
— Ça ne vous dit rien, d’être l’amant d’une belle gosse, inspecteur ? Une riche héritière, ça ne vous flatte pas ?
— Petite putain, balbutia Clay, vaincu.
— Allons, allons, voulez-vous bien ne pas parler de la sorte. Si je disais un mot de ça à papa, il vous traînerait à son tour devant un tribunal pour injures… injures à fille à papa, c’est beaucoup plus grave qu’injures à magistrat, vous savez, Clay !
L'inspecteur ne put s'empêcher de rire.
Il l’avait dit : c’était une fille curieuse, un drôle de petit lot !
Il passa sa main sur l’épaule de sa compagne et l’embrassa.
Un baiser de Gloria Masure, c’était quelque chose.
Il sentait qu’il devenait dingue d’elle. En somme, c’était grâce à elle, s’il était riche. Sans elle, il n’aurait pas eu besoin de voler un mort, il n’aurait même jamais eu l’idée de le faire.
— Ça vous chanterait de venir faire un tour chez moi ? dit-il. Je vous le dis tout de suite, je n’ai pas d’estampes japonaises, mais j’ai toujours rêvé de chiffonner une robe blanche…
CHAPITRE V
Gloria valait le voyage au septième ciel.
L'heure qu'il venait de vivre suffisait à justifier l’existence d’un individu ; c’est du moins ce que se disait le policier en regardant sa partenaire se rhabiller…
Elle avait des jambes longues et bien faites, des seins lourds et fermes, des hanches voluptueuses. Un corps absolument sensationnel.
Elle acheva de passer sa combinaison de soie blanche.
— Allons-y, dit-elle simplement.
Elle sourit à Clay.
— Ma robe est froissée, remarqua-t-elle en la ramassant par terre où la frénésie de Clay l’avait jetée.
Il rit.
— Un flic, c’est aussi un soudard, mon petit, murmura-t-il.
— Je ne m’en plains pas, ajouta-t-elle en lui coulant un regard velouté.
Elle précisa :
— Tu es un amant merveilleux, John. Tu vaux toutes les robes de la création…
— Un drink ?
— Non, plus soif… Du reste, je n’ai plus envie de rien, sauf d’une chose : me coucher pour rêver à ce qui s’est passé, et pour récupérer.
Flatté, Clay se leva et vint tout contre elle. Il passa les bras sous les aisselles de la jeune fille et l’embrassa dans le cou tout en lui caressant la poitrine.
— Les meilleures choses ont une fin, dit-elle en se dégageant lentement.
Elle acheva de se vêtir, coiffa son large chapeau.
— Au revoir, inspecteur de mon cœur, dit-elle.
— Hé ! l’arrêta Clay. On se quitte sans prendre rendez-vous ?
— Pas besoin de prendre rendez-vous, dit-elle, je rentre chez moi et je n’en bouge plus avant que tu viennes m’y chercher… Masure ! C'est facile à dénicher, dans l’annuaire…
Elle partit.
John retourna s’étendre sur son lit. Il avait dans tout le corps une sensation d’apaisement voisine du vide.
Ayant consulté sa montre, il vit qu’il avait deux bonnes heures devant lui pour récupérer un brin. Il remonta la sonnerie de son réveil et s’endormit comme une brute.
Une aigre sonnerie le réveilla.
Il crut tout d’abord qu’il s’agissait de celle de son réveil ; mais un regard sur ce dernier lui apprit qu’il n’en était rien : l’heure fixée pour se relever n’avait pas encore sonné, il s’en fallait d’une quarantaine de minutes.
La sonnerie se répéta, plus longue, plus appuyée. C'était celle de la porte d’entrée. En grommelant, il passa sa robe de chambre et enfila ses mules.
De la main il mit un peu d’ordre dans sa chevelure, puis, en bâillant, alla ouvrir.
Un homme se tenait sur le palier. Un homme qu’il connaissait mais sans pouvoir préciser d’où…
Au bout de quelques secondes, la mémoire lui revint. Le visiteur n’était autre que l’Italien de la nuit, celui qui devait témoigner dans l’affaire Malisson.
Clay fronça le sourcil.
— Qu’est-ce qui vous prend ? grommela-t-il. Je ne vous ai pas convoqué chez moi, mais au commissariat… En voilà, des façons ! Et puis, d’abord, comment savez-vous mon adresse ?