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sonne. Notre héros Gabassol avait déjà pu reconnaître chez M e Taparel un formalisme un peu excessif dû à ses vingt-cinq années de notariat; ce formalisme sans nul doute l'eût porte à exiger de Gabassol le voyage de Zanguebar et à lui faire affronter les crocodiles et les rhinocéros de Son Excellence M. Bocanda.

— Ah 1 grand Dieu 1 pensa Gabassol, je me vois d'ici naviguant avec M e Taparel flanqué de M. Miradoux, débarquant chez le prince de Zanguebar et cherchant à travers les forêts vierges mal habitées, les traces de M. Bocanda ! Non, non, non, je ne veux pas donner aux crocodiles de Zanguebar du Gabassol à manger; je vengerai Badinard à Paris! De l'audace! de l'audacef encore de l'audace!

Et il entama immédiatement les hostilités en marchant légèrement sur le pied de l'ambassadrice. Celle-ci se retournant vivement, Cabassol mit la main sur son cœur et dit, en lui lançant une œillade enflammée :

— Il faut que l'emprunt de Zanguebar réussisse, il le faut! Je tremble en pensant qu'en cas de non-réussite, le prince confierait sans doute à M. i'am-bassadeur quelque poste au sein des forêts vierges. Je frémis à l'idée que notre charmante ambassadrice risquerait de se trouver un jour exposée à des désagréments avec les affreux crocodiles dont nous parlions tout à l'heure!

Madame l'ambassadrice, pour toute réponse, sourit à Gabassol et lui laissa effleurer furtivement de sa moustache son gant blanc comme la neige.

M e Taparel, se retournant en ce moment, surprit un regard triomphant de Cabassol et quelques signes d'une douce confusion sur la figure de l'ambassadrice. Le bon notaire, enthousiasmé, abandonna quelque peu la conversation de S. Exe. M. Zembo, pour faire de son côté les doux yeux à l'ambassadrice et pour lui marcher aussi sur le pied, en signe d'encouragement.

Cependant le dîner tirait à sa fin. Les secrétaires se multipliaient; à les voir courir, paraître et disparaître, en exécutant des prodiges d'adresse pour ne pas se jeter les uns sur les "autres avec les plats, on les eût pris pour de simples clowns. Le sang des tropiques les travaillait.

Enfin, le dessert ayant été absorbé, madame l'ambassadrice proposa de passer au salon. Cabassol se précipita pour lui offrir son bras et fut assez heureux pour obtenir la préférence sur un autre invité, le général haïtien, qui s'était levé en même temps que lui.

L'ambassadrice, jouant nonchalamment de l'éventail, prit le bras de Cabassol pendant que le pauvre général s'en allait tout déconcerté s'adresser à une autre dame.

L'ambassadeur et M e Taparel, les mains derrière le dos, avaient repris leur conversation géographico-financière.

L'ambassadrice compromise. — Un rival de Haïti. — Nouveaux désagréments causés par l'affaire Eadinard à l'infortuné M" Taparei.

Déjà une dame et un monsieur, également foncés en couleur, s'étaient approchés du piano.

— Est-ce que nous allons avoir une petite Bamboula? se demanda Ca-bassol.

Mais la dame et le monsieur, dédaignant la bamboula de leurs pères, se lancèrent à quatre mains à travers une rêverie mélancolique de Chopin; un groupe se forma autour du piano pour profiter des propriétés éminemment digestives de cette douce et poétique musique.— L'ambassadeur et le notaire continuaient leur promenade, les mains derrière le dos.— Cabassol, donnant le bras à l'ambassadrice, la conduisit dans l'embrasure d'une fenêtre sous les grandes feuilles des plantes exotiques, et mit la conversation sur les nuits zanguebariennes, sur leurs splendeurs et sur leurs dangers.

La musique continuait, entraînant doucement les invités à travers les domaines éthérés du rêve; une délicieuse somnolence s'emparait de tout le monde, les tètes se penchaient, seul le bruissement des éventails accompagnait les rythmes étranges et crépusculaires du compositeur polonais. L'ambassadeur avait abandonné le notaire; enlevé par la musique, il était allé flirter avec une jeune Africaine noire comme la nuit.

Cabassol causait toujours ; il avait repris le bras de l'ambassadrice et se promenait avec elle dans les salons. Là, sous l'abri des plantes tropicales, il pouvait presser tendrement son bras sous le sien et même effleurer de temps en temps les doigts de l'aimable dame, sauf à recevoir quelques légers coups d'éventail sur les siens. — Peu à peu il l'entraînait vers la serre, éclairée par des lampes à verres bleus de façon à imiter le clair de lune.

— Quelle retraite embaumée ! murmura-t-il en s'asseyant sur un banc de léger bambou à côté, tout à côté, de l'ambassadrice; comme cela doit vous rappeler le Zanguebar et ses forêts vierges... Ah! madame, que ne suis-je moi-même un homme de ces terres ensoleillées, un enfant de ce ciel trop bleu, au lieu d'être le fils de ce Paris qui me semble maintenant froid, morne et désolé ! C'est là-bas que j'aurais dû naître, car je me sens une âme brûlante, un cœur tropical comme celui d'un Zanguebaricn !

— Vous trop aimable.,, vous plaisantez! balbutia l'ambassadrice en agitant son éventail.

— Moi, je plaisante! s'écria Cabassol, pouvez-vous avoir la cruauté de dire cela...

Si Cabassol n'avait pas pas été aussi occupé, il aurait pu entendre comme le bruit d'une altercation à la porte de la serre. Le piano continuait toujours dans le salon, et dans le jardin, l'orchestre loué par l'ambassadeur jouait des airs d'Oflenbach et de Lecoq pour se réchauffer. Cette musique avait du bon, elle couvrait la voix de M c Taparel disputant l'entrée de la serre au général haïtien.

M e Taparel avait suivi de loin la conversation animée de Cabassol avec l'ambassadrice; dès qu'il les avait vus pénétrer dans la serre, il s'était dirigé du même côté pour défendre la succession Badinard contre les insdiscrets.

Un autre aussi n'avait pas un seul instant perdu de vue l'ambassadrice, cet autre, c'était le général haïtien à l'œil jaloux. Lui aussi paraissait avoir le cœur féri par la gracieuse zanguebarienne, et déjà il avait paru supporter difficilement les galanteries prodiguées à son idole par l'audacieux Cabassol.

Le notaire et le général haïtien s'étaient donc heurtés à la porte de la serre, le soupçonneux général aurait voulu passer, mais le notaire s'était cramponné à son bras.

— Que pensez-vous, mon cher général, lui dit-il, des ravages du pliil-loxéra?

— Je n'aime que le cognac, répondit brusquement le général.

— Pardon, est-il vrai, comme je me le suis laissé dire dans un cercle

Cabassol avait repris le braô de l'ambassadrice.

bien informé, que la situation à Haïti devient de jour en jour plus alarmante?

— Au contraire.

— Permettez, cela dépend ! au point de vue conservateur, non pas ; sous un autre point de vue, peut-être, d'une autre façon encore, c'est différent. La situation est embrouillée, mais claire : ça va mal si vous êtes pour le pouvoir, ça va bien si vous n'êtes pas pour lui, ça va mieux si vous êtes pour le prétendant que vous croyez avoir le plus de chances, Tout est bien si... tout est mal si vous êtes de l'opinion contraire... Je ne veux pas vous influencer, mais il me semble que le nœud de la politique est là ! Toute la politique est là, dans tous les pays du monde, aussi bien à Haïti que dans la lune

— Parfaitement raison, mais

— Vous voilà bien, vous les vieux partis, toujours des objections...

— Mais non !

— Mais si, vous êtes pour les mesures de rigueur, je vous voir venir... tenez, général, vous êtes un sabreur...

— Pardon, laissez-moi passer !

— Non pas ! songez avez-vons seulement une bonne constitution...

— Je me porte bien, mais...

— Vous plaisantez, je veux dire, une constitution politique. Soulouque n'eu avait pas