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Dans la serre le dialogue entre Cabassol et l'ambassadrice devenait de plus en plus brûlant.

— Et que sont les obstacles pour un homme comme moi! le fer, le feu, l'eau, les éléments déchaînés, foutes les brutalités de la nature,loutes les férocités des hommes blancs ou noirs, je braverais tout, je défierais tout, si je pouvais un jour espérer

— Taisez-vous!

— L«s défenses des éléphants

— Je vous en prie !....

— La corne des rhinocéros

— De grâce!....

— Le venin des serpents à sonnettes

— Oh !

— La griffe des lions

— Ah !

— Les dents des crocodiles ! ! !

— Grâce ! Cabassol, je t'aime ! ! !

Au même instant un grand fracas de vitres cassées retentit à l'entrée de la »serre, la porte s'ouvrit violemment, renversant quelques vases de faïence artistique garnis de. fleurs. Deux hommes parurent l'un poussant l'autre, et faisant tous deux une grande dépense de cris et de gestes.

C'étaient M e Taparel et le général haïtien, l'un s'obstinant à passer et l'autre à le retenir.

— Laissez-moi passer !

— Permettez! cette question politique est d'une importance... pour l'avenir de Haïti...

— Laissez-moi.....

— Jamais !

M 8 Taparel bondit en avant comme s'il était lancé par une catapulte. La catapulte c'était le général haïtien, qui n'avait pu se retenir en entendant l'ambassadrice murmurer le " Cabassol, je t'aime ! ! ! »

La fli armante ambassadrice, terrifiée par cette invasion, se jeta dans les bras de Cabassol à moitié évanouie et tout à fait échevelée.

— Oh ! ! ! rugit général haïtien en se, dressant les bras en l'air devant ce tableau douloureux pour lui.

L'ambassadrice de Zanguebar compromise par Cabassol.

— Oh ! fit Cabassol légèrement troublé.

— Oh ! fit le notaire en se frottant les mains.

— Oh! fit l'ambassadrice d'une voix à peine perceptible.

Mais le bruit des vitres cassées et les éclats de voix du général avaient appelé l'attention des invités du salon. S'arrachant aux enivrantes extases du piano, toute la société accourait croyant à un accident. M e Taparel vit le péril, il comprit que l'ambassadeur allait s'apercevoir du trouble de la pauvre ambassadrice et s'enquérir de la cause de cette émotion

M e Taparel prit un parti héroïque pour détourner le danger.

— Général ! cria-t-il d'une voix formidable, vous m'en rendrez raison ! Ces brutalités de corps de garde ne sont pas de mise dans les salons!... nous ne sommes pas chez Soulouque !... Quoi! au cours d'une paisible discussion politique, lorsque je vous fais part de mes idées sur l'avenir de la sur les choses générales sur le en particulier et vous vous emportez

— C'est vous ! rugit le général.

— C'est affreux, vousdis-je, c'est inconvenant, c'est inouï

— Pourquoi me

— Dans les annales du parlementarisme on n'a jamais vu ça! vous me direz que chez vous mais ce n'est pas une raison Enfin c'est scandaleux!....

— Messieurs, je vous prie fit l'ambassadeur

— Jamais ! s'écria le notaire Général I vous m'en rendrez raison !

— Tout de suite ! répondit le général, vos armes?...

— Toutes 1 répondit le notaire avec un geste superbe.

— J'ai servi dans l'artillerie, mais je ne veux pas profiter de mes avantages pour vous proposer l'obusier de montagne Donc 1 toutes les armes, le canon seul excepté !

— Gela m'est égal !

— C'est bien, nos témoins s'entendront pour le reste, j'ai là deux amis de

Haïti qui voudront bien m'assister dans cette circonstance.

— Je vais mettre vos témoins en rapport avec les miens. Voici M. Cabassol,

je vais chercher un second témoin.... Voyons, un de ces messieurs. ... Ah ! voici mon affaire.

Et M e Taparel se dirigea vers le seul invité de l'ambassade qui ne fût ni blanc ni nègre. C'était un brave Chinois, à la figure honnête et douce, qui n'avait pas dit un mot pendant le repas, et que le bruit de l'altercation avait réveillé dans le fauteuil où il sommeillait bercé par la musique

— Permettez, fit l'ambassadeur, laissez-moi vous présenter ! M. Tchou-

li-tching, jeune savant de Pékin, venu pour étudier les arts et les sciences de la belle Europe; M e Taparel, une sommité du monde des affaires!

M c Taparel et M. Tchou-li-tching s'inclinèrent.

M e Taparel mit rapidement le jeune Chinois au courant du service qu'il réclamait de lui, puis il l'aboucha avec Cabassol.

Qu'allez-vous faire? dit tout bas Cabassol au belliqueux notaire, un

duel, un vrai duel?

— Il le faut bien, pour détourner autant que possible l'attention de l'ambassadeur, voyez de quel œil il regarde l'ambassadrice, comme il l'interroge sur les causes de son trouble... Voyez, voyez, il a des soupçons, elle est compromise aux yeux de toute la colonie zanguebarienne... Allons, allons, il nous faut maintenant terminer cette désagréable affaire avec le général haïtien en douceur, vous savez, en douceur 1

— Un instant... Voyons, la trouvez-vous suffisamment compromise?

— Oui, Badinard est vengé!

— Très bien! alors je vais arranger l'affaire... Pendant que vous allez prendre congé de l'ambassadeur, je vais m'entendre avec les témoins de votre adversaire.

Maître Taparel, laissant les témoins discuter les conditions de la rencontre, s'en fut présenter ses excuses à l'ambassadeur pour le regrettable incident qui terminait si mal une aussi délicieuse soirée.

L'ambassadrice était encore toute troublée de l'aventure et dissimulait ses inquiétudes sous un jeu fébrile de l'éventail. L'ambassadeur semblait inquiet et la regardait les sourcils froncés.

— Jouons serré ! se dit le notaire.

— Monsieur, un mot, s'il vous plaît! dit l'ambassadeur en l'interrompant dès ses premières paroles... moi, pas content, moi furieux!...

— Aïe! se dit le notaire, serait-ce un second duel?

— Moi furieux! vous pas gentil! Comment au moment où Zanguebar compte su" vous, pour l'emprunt, vous allez vous battre en duel, vous couper en morceaux... C'est mal, bien mal! vous, existence précieuse!

— Monsieur l'ambassadeur, croyez je suis profondément touché, je suis ému, vous le voyez, mais l'honneur l'ordonne, il me faut aller su»- le terrain... mais ne craignez rien pour l'emprunt, avec la simple énumération des garanties, il se fera tout seul.

Gabassol pendant ce temps glissait quelques paroles gracieuses à l'ambassadrice et se disposait à la retraite. Nos deux amis se dirigeaient vers la porte, lorsque un mot de la séduisante Zanguebarienne les rappela.

— Zembo! mon ami, à quoi pensez-vous?...

0 muso du notariat, que dois-tu penser de tout cela

— Pardon, madame, fit Gabassol. mais nous le sommes déjà crocodile d'or, première classe !

— Oui, mais zevaliers seulement, ce n'est pas assez, ze vous fais officiers I zangez les décorations...

— Madame, nous sommes confus! *

Et la toute gracieuse ambassadrice se mit en devoir d'orner de ses mains

Manches — elles étaient admirablement gantées — la boutonnière de nos amis-, avec des crocodiles d'or plus grands et plus ornementés que ceux de simples chevaliers.

Naturellement, nos amis ne voulurent pas s'éloigner avant d'avoir acquitté les droits de la chancellerie, afférents à leurs promotions successives dans l'ordre du Crocodile d'or ; cela ne monta pour les deux décorations qu'à 175 fr., que M e Taparel remit au secrétaire de l'ambassade en échange des deux brevets. Les insignes, étant en doublé, coûtèrent 35 fr., cela faisait 210 fr., plus cent sous de gratification au concierge. C'était pour rien.