Выбрать главу

— Où allons-nous? demanda M e Taparel à Cabassol en quittant l'ambassade.

— Nous allons chez Brébant... votre duel est difficile à organiser, nous n'avons pu rien terminer encore, et nous allons continuer la discussion en soupant légèrement.

En effet le bon Chinois, le second témoin de M e Taparel, les attendait à la porte sur le trottoir ; à quelques pas de lui, le général haïtien et ses témoins attendaient aussi.

Bientôt deux voitures se dirigèrent au galop vers le boulevard.

— Sapristi! disait M e Taparel, j'aurais pourtant bien voulu prendre quelques minutes de repos avant de croiser le fer avec ce général...

— Il est furieux, il veut se battre tout de suite, moi j'essaye de gagner du temps.

— Vous savez, mon cher ami, je ne tiendrais pas à un duel à mort, je n'ai aucune soif de sa vie; ce que je voulais, c'était détourner les soupçons de l'ambassadeur et couvrir notre retraite...

— Oui, mais vous avez été un peu vif avec le général... il veut une satisfaction ; il faudra, je le crains, une petite effusion de sang...

— De son sang, alors !

— Oui, de son sang. En attendant, vous allez souper pour prendre des forces.

— Ouf! fit le notaire, la succession Badinard m'en fait voir de cruelles !... si je n'avais pas à un haut degré le sentiment de l'honneur professionnel, je pourrais murmurer... Mais, vous voyez, je ne murmure pas!... 0 muse du notariat, que dois-tu penser de tout cela !

Tout en disant qu'il ne murmurait pas, le brave notaire ne fit que gémir pendant tout le trajet sur les désagréments de l'affaire Badinard et en particulier sur celui d'avoir à s'aligner sur le terrain, lui simple exécuteur testamentaire, lui pacifique homme d'étude, avec un sabreur exotique.

Le second témoin du notaire, le jeune Chinois, trouvant sans doute ces lamentations monotones, s'était endormi dans le fond du coupé.

Les deux voitures arrivèrent chez Brébant, sans s'être perdues, comme l'espérait secrètement M c Taparel. Le notaire et ses témoins s'enfermèrent dans un cabinet et le général haïtien avec les siens dans un autre

— Eh bien, qu'allons-nous faire? demanda M c Taparel.

— Souper d'abord, puis discuter avec nos adversaires, rédiger des procès verbaux... Il faut faire les choses régulièrement. Voyons, êtes-vous fort;'t l'épée?

— Je ne sais pas, je n'ai «jamais essayé.

— Et au pistolet?

— Carabine rayée, accepté ! écrivit Calassol.

— J'ai possédé dans ma jeunesse un pistolet à pierre, mais je n'ai jamais réussi à le faire partir, parce que le silex était égaré.

— Bon, pas de science du tout. Mais l'intuition? Vous sentez-vous l'intuition ?

— Dame, je ne sens rien pour le moment, mais cela peut se révéler sur le terrain.

— Donc vous n'avez pas de préférence pour une arme quelconque, et vous nous laissez carte blanche! Attendons les propositions de nos adversaires...

Le garçon, en apportant les écrevisses, remit à Gabassol un petit papier de la part du cabinet ennemi. Il contenait ces simples mots :

BOIS DE VINCENNES, SEPT HEURES DU MATIN.

— Accepté I écrivit Cabassol en renvoyant le papier.

— Il est une heure et demie, je pourrai dormir un peu, fit le notaire

Dix minutes après le garçon revenait avec une seconde note :

« Notre adversaire, dans sa provocation, a prononcé les mots : toutes

les armes! Cependant nous tenons à préciser. Acceptez-vous la carabine

rayée de précision?

— De précision me semble inutile, dit négligemment le notaire.

— Carabine rayée, accepté ! écrivit Cabassol.

Le temps d'avaler un léger doigt de Champagne, et le garçon revint avec une nouvelle note diplomatique, aussi laconique que les autres.

REVOLVER A DOUZE COUPS.

— Tous chargés? demanda M e Taparel.

— Je ne sais pas, répondit le garçon.

— Accepté ! écrivit héroïquement Cabassol. La quatrième note arriva au bout de cinq minutes avec ce mot.

B0WIE-KN1FE DE 44 CENTIMÈTRES.

— J'aimerais mieux la taille au-dessous, fit observer M e Taparel.

— Baste 1 fit Cabassol, ne lésinons pas; dans ces circonstances-là quelques centimètres de plus ou de moins font très peu de chose. Accepté! Et maintenant, achevons tranquillement de souper, car je suppose que c'est fini. Monsieur Taparel, un peu de cette mayonnaise?

— Allons, fit M 0 Taparel, un peu de gaieté ce soir, en attendant la séance de découpage avec ce féroce Haïtien !

Au moment où il allait vider son verre, le garçon rentra avec une nouvelle note ainsi conçue :

IIACDE DE MARINE AMÉRICAINE.

Le second témoin de M» Taparel.

— Encore ! s'écria le notaire bondissant de son siège.

— Ne vous fâchez pas, dit Cabassol en le rasseyant de force, attendez, je vais leur répondre !

Et il parafa la proposition haïtienne d'un accepté énergique suivi de ces mots :

COUTEAU A SCALPER !

— Allez! dit-il au garçon.

Le Chinois, qui n'avait pas encore prononcé une parole, frappa sur l'épaule de M e Taparel et lui dit en cherchant ses mots :

— Pardon 1 je voudrais dire une petite chose...

— Tiens ! vous parlez français ! voyons, vous voulez peut-être proposer une arme de votre pays...

— Non 1 je suis un paisible lettré, j'étudie la littérature et pas la coutellerie, je voulais dire, votre adversaire est un homme terrible, il est de Haïti, haï-t-ill hai-t-ill

— Oh! fit M e Taparel.

— Gomment! s'écria Cabassol, c'est pour apprendre ces choses-là que votre gouvernement vous envoie ici avec une petite pension ; mais vous pervertirez votre pays à votre retour 1

Arrivée de la noce Cabuzac au restaurant

Le jeune Chinois rougit et s'inclina modestement. — Carabine, revolver, bowie-knife, hache de marine et couteau à scalper... énumérait le notaire, un arsenal complet... Ah! l'affaire Badinard!... Mais, dites-moi, messieurs, vous oubliez de fixer la distance entre les combattants... Vous savez, ne lésinez pas, donnez-nous nos aises !

— Mais, comme vous n'êtes pas sûr de votre adresse, à votre place je préférerais cinq ou six pas !

— Non, non, fit le notaire, la carabine porte à mille mètres, je veux le compte...

L'arrivée 4u garçon l'interrompit.

— Bigre! murmura M 0 Taparel, notre féroce haï-t-il va proposer à bout portant !

Le garçon portait cérémonieusement un grand papier sur un plateau. Cabassol s'en saisit rapidement et le déploya.

C'était un plan du bois de Vincennes.

Aux deux extrémités du bois se voyaient une grosse croix à l'encre rouge, et, dans le bas, les Haïtiens avaient écrit :

CHOISISSEZ.

Le garçon revint avec la naine encore plus grave.

— Comprends pas? écrivit Cabassol en renvoyant la carte.

Le garçon revint bientôt avec la mine encore plus grave qu'auparavant.

— Messieurs, dit-il, je suis chargé de vous fournir les explications. Vos ennemis veulent le duel à l'américaine, la chasse à l'homme à travers le bois ! Les deux adversaires entreront dans le bois de Vincennes, l'un par Saint-Mandé et l'autre par Joinville, à sept heures moins un quart, les montres réglées l'une sur l'autre ; à sept heures, la chasse commencera, ils se chercheront et tireront à volonté. Voilà I

— C'est un peu fatigant, dit le notaire.