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Le triste Bezucheux avait quitté les quartiers aristocratiques pour porter ses pénates sur les hauteurs de Montmartre, dans une haute maison de cinq ou six étages, à la façade de plâtre noircie et écorchée par endroits.

C'était tout en haut de cette haute maison qu'était situé l'appartement de Bezucheux, tout en haut sous le toit de zinc. On y arrivait par un escalier aux murs jadis peints à fresque, ornés à chaque palier d'un trompe-l'œil un peu dégradé, représentant tantôt la place Saint-Marc de Venise avec son campanile et ses gondoliers, tantôt le dôme de Saint-Pierre de Rome et tantôt un paysage groenlendais garni d'aiguilles de glaces et peuplé de phoques noir.

Sur le palier de Bezucheux, le Mont-Blanc dressait sa haute cime au milieu d'un encadrement de sapins, de touristes et d'ours. - Bezucheux le fit en passant admirer à Cabassol.

— Tu vois, mon ami, quel logis poétique j'habite maintenant. — Maltraité par ta fortune, j'ai dû abandonner les quartiers gommeux, mais j'ai eu la chance de découvrir un perchoir où le pittoresque, prodigué par un propriétaire en délire, masque un tant soit peu le défaut d'élégance.

— En effet, ton perchoir est assez pittoresque.

— Tu n'as pas tout vu, mon ami, je possède une terrasse embellie par un panorama delà baie de Naples qui fait presque illusion. — Gomme je suis un peu myope, j'ai le droit, quand je suis sur ma terrasse, de me croire dans une villa du Pausilippe... C'est charmant, tu vas voir.

Avant d'entrer dans le logis de Bezucheux, il fallait passer parla terrasse. Bezucheux fit admirer à son ami la baie de Naples peinte sur ce mur avec un outremer farouche.

Bezucheux cultive la vertu dans une mansarde.

— Et tu vois, mon ami, je domine Paris, théâtre de mes exploits passés ; vois tout là-bas les collines du sud, les coteaux de Meudon, l'aqueduc de Marly... Et plus près sur la droite, les hautes cheminées d'usine de la plaine... ça fait très bien dans mon panorama, ça le complète... quand ça fume, j'ai le droit de me figurer que c'est le Vésuve.

— C'est délicieux 1

— Et puis, c'est la campagne, vois de ce côté ces arbres et ces moulins... j'ai le droit de dire que je suis à la campagne aux personnes qui s'étonnent de ne plus me rencontrer au bois ou dans les salons... je sauve les apparences!... Entre maintenant dans l'appartement.

Et Bezucheux tourna le bouton et s'effaça pour laisser entrer son ami.

Dans une petite pièce encombrée par les débris de l'opulence passée de Bezucheux, quatre hommes dormaient, deux allongés sur un large divan et deux enfoncés dans des fauteuils, la tête basse et les pieds sur la tablette do la cheminée.

Au milieu de la pièce, sur une petite table couverte d'un tapis rouge, des cartes, des boutons de toutes les formes et des débris de cigarettes éparpillés autour d'un flacon de punch au rhum, témoignaient des efforts faits par les infortunés pour étourdir leurs chagrins d'amour et d'huissiers.

— Les égoïstes, dit Bezucheux. ils m'ont vidé mon flacon de punch au rhum!... ils ne nousontrien laissé!... Tu vois, on a taillé le petit bac du désespoir avec des boutons... n'est-ce pas que ça fend le cœur?

— Gela me navre véritablement! Réveillons-les...

— Nous ne dormons pas, dit un des dormeurs en ouvrant les yeux, nous méditons 1

— Bonjour, mon pauvre Lacostade ; bonjour, Bisseco ; bonjour, mes petits bons! dit Cabassol en frappant sur l'épaule de ses amis, eh bienl est-ce ainsi que vous recevez un vieil ami?

— Bonjour, vieux compagnon des jours de gloire, bonjour! répondit Lacostade, excuse notre apparente froideur, ce n'est pas l'indifférence qui nous donne à tous cette mine morose et cet abord farouche, c'est le chagrin... Bezucheux t'a raconté nos chagrins?

— Qui n'a pas les siens? répondit Cabassol, vous ne savez donc pas que je m'abreuve depuis quelque temps à une coupe d'amertumes; vous ne savez donc pas que, moi aussi, je succombe sous le poids de malheurs accumulés par une injuste providence !...

— Alors, c'était vrai! ce que l'on disait... tu es...

— Rincé ! comme vous, mes bons amis, rincé, lessivé, séché! ! !

— Alors, mon bon, s'écria Bisseco, tu as tous les titres nécessaires pour te faire recevoir, à l'unanimité des boules blanches, à notre cercle...

— Quel cercle?

— Le cercle dont Bezucheux est le président et dont tu vois ici le local, le cercle des Débinards! Allons, tu es accepté; tu peux le mettre sur tes cartes de visite... Tailles-tu un bac? si tu n'as pas de boutons, tu feras des billets... Jeté préviens que j'ai la veine, j'ai ratissé tous les boutons de mes amis... Saint-Tropez en est réduit à jouer sur parole !

— Je ne taille pas de bac, répondit Cabassol, causons plutôt et cherchons un moyen de sortir de l'amer décavage dont nous nous plaignons. Je sais que vous êtes ruinés, dites-moi comment cela vous est arrivé?

— La vie! la grande vie! fit Lacostade, voilà tout ce que je peux te dire, moi je n'y comprends rien... Certes, il ne m'avait pas échappé que depuis un certain temps mes finances souffraient... mais je faisais des billets, je renouvelais... je ne demandais qu'à renouveler... ça ne me gênait pas!... tout à

coup, pour ae malheureux billets oubliés, — on ne peut pas penser à, tout, — on est venu saisir un beau matin que j'étais tranquillement chez moi...

— C'est honteux!

— C'est honteux ! on est venu saisir, et devant une dame que la discrétion me défend de nommer, car il y avait une dame!... Comprends-tu cela? on a osé saisir devant une dame !... ça m'a fait beaucoup de tort dans l'esprit de cette dame, que j'aimais beaucoup,' et par la faute d'un huissier mal élevé j'ai connu les chagrins d'amour... hélas! elle m'accable maintenant de ses dédains... J'ai eu beau lui dire qu'une saisie ne signifiait rien, que tout le monde avait été plus ou moins saisi, cet huissier, instrumentant sans gêne, m'a fait un tort immense dans l'esprit de cette dame.

— Je comprends cela!

— J'ai eu beau protester et faire remarquer àl'huissierceque sacon-duite avait de peu chevaleresque, il a continué à saisir... et la dame que la discrétion me défend de nommer, se forgeant de vaines alarmes, craignait d'être comprise dans la saisie... tu vois d'ici la situation... Enfin l'huissier jura ses grands dieux que la dame ne serait même pas mentionnée dans son procès-verbal, et elle laissa continuer la saisie... Depuis je n'ai plus revu la dame que la discrétion me défend de nommer. Voilà tous mes malheurs !

— Tout cela n'est rien à côté de ce qui m'arrive ! s'écria Pontbuzaud. Figure-toi, mon cher ami, que l'autre jour, comme j'allais plein de tranquillité, retirer quelques fonds à la Banque, j'ai appris que je m'étais trompé dans mes calculs...

— Comment cela?

— C'est bien simple! tu vas voir... tu sais que j'ai toujours brillé par l'ordre et la régularité... je tenais mes livres comme un caissier de maison de commerce!... par malheur, je me suis trompé de quelques zéros dans mes

On a osé saisir devant une damel

additions..: — tout le monde peut se tromper, il n'y a pas de caissiers infaillibles... — une erreur de quelques zéros à peine...

— Diable!

— Oui, mon pauTfe ami, j'allais donc à la Banque pour retirer une partie des 80,000 francs que je croyais y avoir, lorsque les caissiers de là-bas, qui avaient bien fait leurs additions, m'ont appris qu'il me restait juste 800 francs !... Tu conçois mon étonnement?

— Fiehlre!

— Huit cents francs pour tout pécule, à moi, Pontbuzaud, gentleman habitué à toutes les élégances, homme à bonnes fortunes... et tu sais si ça coûte cher, par le temps qui court, les bonnes fortunes!...