Выбрать главу

— A qui le dis-tu? firent en chœur les amis de Bezucheux?

— Eh bien, six semaines se sont écoulées depuis la révélation foudroyante du caissier de la Banque; et je vis depuis ce temps-là sur mes huit cents francs; je cultive la vertu ; c'est un exercice très peu récréatif de cultiver la vertu, mais c'est très sain pour les finances...

— Mon ami, nous la cultivons tous la vertu, s'écria Saint-Tropez, et nous sommes édifiés sur son caractère éminemment fastidieux ! Ainsi, moi, mes petit bons, je la cultive depuis plus longtemps qu'aucun ume testait 800francs I d e vous! Quand vous fricotiez encore, j'avais déjà un conseil judiciaire, un abominable conseil judiciaire, un gredin de conseil judiciaire qui me faisait tirer la langue d'une longueur... Quand vous rouliez sur l'or et que vous paviez de billets de banque les boudoirs des belles-petites, j'étais déjà digne de faire partie du cercle des Débinardsl... c'est moi le fondateur du Debinard's club'!

— Eh bien, ton conseil judiciaire se montre donc aujourd'hui plus récalcitrant qu'autrefois?

— Mon gredin de conseil judiciaire?... On me l'a retiré, mon ami, on m'en a privé, quand j'en avais le plus besoin... dans un moment où la fougue de mes passions tropicales m'avait jeté sans défense dans un océan de dangers!... mon gredin de conseil judiciaire m'a lâché... vlan!

— Redemande-le, si tu le regrettes!

— Trop tard, mon ami, trop tard!... Plus la peine, il n'aurait plus rien à me conserver... tout a sombré dans cet océan dont je te parlais...

— Tu ne nous as pas dit son petit nom... tous les océans ont un nom...

— J'ai dit un océan, mais il y en avait plusieurs !... Et voilà pourquoi je me remets à cultiver la vertu de plus belle; du temps de mon gredin de conseil, je ne la cultivais qu'à moitié, une demi-vertu, tandis que maintenant, c'est la vraie vertu, la grande vertu, la vertu sans éclipses et sans intermittences!... C'est horrible, mon ami!

— Je te plains! mais c'est aussi celle-là que nous cultivons tous! Et toi, mon pauvre Bisseco, es-tu vertueux comme nous?

Le club des Débinards.

— Si je suis vertueux, mon bon, si je suis vertueux! exclama Bisseco, c'est-à-dire que si la vertu était à jamais bannie du reste de la terre, c'est dans le cœur de Marius Bisseco, enfant de Marseille, qu'on la retrouverait!

— Et dans le nôtre aussi! s'écria Bezucheux, ton cœur n'en a pas le monopole!... Comme je voudrais être poète pour célébrer nos vertus en strophes académiques!...

Où sont-ils les gens vertueux? Dans la mansarde à Bezucheux 1 Dans la mansarde à Bezucheux I

0 misère ! et môme pas de piano pour mettre mes vers en musique! sentir bouillonner l'inspiration dans ma tête et pas de piano !

— Hélas! on pourrait le vendre trois ou quatre cents francs! gémit Saint-Tropez, ce serait toujours ça!

— Alors, ô Bisseco, tu es vertueux, reprit Gabassol, mais par quel hasard? Cet oncle millionnaire et célibataire, dont tu nous parlais si souvent et dont tu faisais luire l'héritage avec adresse quand il s'agissait d'amadouer un eréancier, cet oncle vénérable t'a donc déshérité?

— Du tout! D'ailleurs il le voudrait qu'il ne pourrait pas... Je réponds de lui...

— Il s'est donc marié, ton oncle célibataire et millionnaire?

— Non, il le voudrait qu'il ne le pourrait pas non plus!

— Mais alors...

— Mon oncle ne pourrait pas me déshériter... Je ne comprends pas les criailleries'de mes créanciers, quand un homme possède un oncle millionnaire qui ne peut pas le déshériter, lors même qu'il le voudrait, les créanciers de cet homme devraient être bien plus coulants... Cet homme devrait posséder un crédit immense comme la fortune de son oncle... Mais voilà qu'au contraire, mes créanciers à moi, neveu d'un oncle millionnaire, me traitent avec la dernière rigueur sous le plus futile des prétextes...

— Quel prétexte?

— Sous le futile prétexte que mon oncle n'a que six ans en ce moment et qu'il pourra se marier dans une vingtaine d'années et qu'alors...

— Ton oncle, l'oncle vénérable dont tu nous parlais toujours, n'a que six an?!

— Est-ce ma faute, à moi, s'il n'est pas plus vieux; est-ce ma faute si mon grand père m'a donné un oncle à un âge ridicule? Je le vénérais, moi, malgré ses six ans! Ce n'en est pas moins un oncle millionnaire et célibataire! Et moi, le neveu, j'en suis réduit à cultiver la vertu avec acharnement à côté de Bezucheux! Quelle situation mélancolique!

— Pauvre Bisseco! infortuné Bisseco!

— Voyons, messieurs, s'écria Bezucheux, assez de gémissements! Nous sommes tous décavés, nous sommes tous des mortels infortunés, mais ne passons pas notre vie à pleurer sur nos malheurs! De l'énergie, messieurs, de l'énergie!... D'abord, moi, comme je vous le disais, j'en ai assez, de la vertu, ça me semble fade! j'ai hâte de] changer un peu... Il nous faut sortir au plus vite de notre lamentable situation! Tenons conseil et cherchons ensemble un moyen de reconquérir notre place dans la société !

— Nous ne faisons que cela depuis je ne sais combien de semaines! répondit Lacostade, et nous ne trouvons rien ..

— El nous attrapons mal à la tète !

— Cherchons encore! Je vous amène notre ami Gabassol, dont vous connaissez tous les brillantes facultés! Faisons appel à ses lumières!... Dans son affaire de la succession Badinard, il s'est trouvé aux prises avec bien d'autres difficultés! Allons, Gabassol, tire-nous de 'peine!

— Mes enfants, je cherche de mon côté depuis quinze jours, et tout à fait inutilement!

— Cherche encore !

— Mes enfants, j'ai longuement médité depuis quinze jours et quinze nuits, et voici le fruit de mes méditations : Pour reconquérir la fortune... c'est bien ce que vous voulez, n'est-ce pas?

— Oui! oui! très rapidement!

— Pour reconquérir la fortune, il n'y a que trois voies rapides...

— Bravo! Voyez, mes petits bons, que j'avais raison de recourir à Gabassol, il a déjà trouvé trois moyens rapides!...

— Et nous qui depuis six semaines que nous cherchions n'en avons pas trouvé un seul ! Cabassol, tu c? un grand homme! Vite, dis-nous tes trois moyens...

— Il n'y a que trois voies rapides :

LES AFFAIRES, LA POLITIQUE, LE MARIAGE!

' L'oncle célibataire de

— Bravo! bravo!

— Choisissez, messieurs, la voie qui vous convient ïe mieux...

— Comment, la voie qui nous convient le mieux? s'écria Bezucheux, mais nous allons les prendre toutes les trois... Si une seule doit nous conduire rapidement à la fortune, les trois nous y conduiront plus rapidement encore!

— Parle pour toi, fit Saint-Tropez, les affaires, la politique, le mariage, tout ça en même temps, c'est beaucoup de travail... Moi, qui n'ai pas ta dévorante activité, je me contenterais d'un bon mariage... et si notre ami Cabassol pouvait me trouver une héritière...

— Moi, fit Lacostade, j'en désirerais une demi-douzaine..

— Comment, serais-tu partisan de la polygamie?...

— Ce n'est pas pour les épouser toutes... quoique, dans notre cas, la polygamie aurait du bon, en nous permettant d'épouser une demi-douzaine d'héritières!... Mais c'est défendu, et je ne demande un assortiment que pour choisir...

— Mais, reprit Cabassol, rien ne nous empêche de chercher des héritières, de nous occuper de politique et d'entrer dans les affaires en même temps!

— Il a raison I De l'énergie, messieurs, de l'énergie!