— Gomment dites-vous? demandaCabassol.
— Je dis mariage assorti ou mariage non assorti? J'entends par mariage assorti le mariage avec une demoiselle ou veuve de 15 à 35 ans, avec avantages physiques...
— Ah! très bien!
— Le mariage non assorti, c'est le contraire... Dites votre préférence ; pour les mariages non assortis j'ai un grand choix en ce moment...
— Mariage assorti! dit Cabassol sans balancer,
— Et nous aussi! s'écria Bezucheux.
— Même monsieur de Saint-Tropez? demanda M. Boulandais la plume suspendue au-dessus de son registre.
— Certainement... balbutia Saint-Tropez.
— Très bien. Maintenant si vous voulez jeter les yeux sur mon répertoire... voyez, le catalogue de la saison présente est justement assez chargé, vous allez peut-être trouver tout de suite votre idéal...
M. Narcisse Boulandais traîna sur son bureau un énorme registre et l'ouvrit devant ses clients.
Voici, dit-il, mon catalogue de saison, lisez, méditez et choisissez; si faire se peut, je suis prêt à vous donner toutes les explications et tous les renseignements que vous pourrez désirer.
Cabassol et ses amis approchèrent leurs fauteuils et, penchés les uns sur les autres, se mirent en devoir d'étudier le répertoire de fiancées de M. Narcisse Boulandais.
— Voyons, procédons méthodiquement, dit Cabassol, je commence par le commencement :
Série G
N°418, demoisellej 19 ans. blonde | 500,000 | 2,500,000 J néant
ESPERANCES SIGNE PARTIC.
beau cavalier
— Je la retiens! s'écria Bezucheux.
— Moi aussi, s'écria Lacostade.
— Un instant, vous ne pouvez pas l'épouser tous les deux, Bezucheux l'a retenue le premier, Lacostade ne viendra qu'après si Bezucheux est refusé, je continue :
N° 419, demoiselle N° 420, veuve.
24 ans 31 ans
blonde brune
60,000 800,000
100,000 1,200,000
aspirations
poétiques
néant
propriétaire
officier super, de cavalerie, ou diplomate
— Je retiens, dit Lacostade, je suis aussi officier de cutrnss^r^ capitaine dans la territoriale...
— Je prends note, fit M. Narcisse uuulandais. Cabassol reprit sa lecture :
COULEUR
blonde
châtain clair
blonde blonde
DOT
300,000
3,000,000 3,000,000
ESPERANCES
néant
2 oncles asthmatiq
néant
MGNE PARTIC.
pianiste médaillée du Conservatoire, néant
orphelines
néant Ingénieur de l'école polytechnique, propriétaire jeune blond et beau
— Je les retiens! s'écria Bezucheux.
— Encore toi ! tu as déjà retenu la demoiselle blonde de 19 ans, qui a pour idéal un beau cavalier brun.
— Ça ne fait rien, je me teindrai au besoin; je retiens les deux orphelines.
— Tu accapares, reprit Cabassol, mais enfin, je continue...
N° 425, demoiselle 31 ans brune 1,500,000 néant
N° 426, veuve N° 427, demoiselle
27 ans 22 ans
blonde brune
300,000 4,000,000
300,000 16,000,000
plantureuse orpheline
néant négresse
5 pieds 6 pouces et des moustaches
jeune blond et poète.
— Je retiens! s'écrièrent à la fois Bisseco, Saint-Tropez et Pontbuzaud.
— Je prends note, dit M. Narcisse Boulandais.
huissier à
Paris médecin ou homme de
lettres quelconque
— L'affaire de Saint-Tropez! fit Bezucheux.
— Je prends note, dit M. Narcisse Boulandais.
Cabassol reprit sa lecture. Le catalogue de la saison comptait 227 numéros, Cabassol retint 17 personnes, demoiselles ou veuves; Bezucheux, 13 ; La coslade, 13; Bisseco, 28; Pontbuzaud, 11; et Saint-Tropez, 8. — M. Narcisse Boulandais prit note imperturbablement.
— Maintenant, messieurs, leur dit-il ensuite, je verrai ces jeunes personnes, je les interrogerai paternellement, je les étudierai... dans quelques jours je pourrai vous faire part de mes impressions, je vous dirai de quel côté vous avez le plus de chances, et à ma prochaine grande soirée vous les verrez ! — A votre prochaine grande soirée?
N» 420. N» 423 et 424.
— Oui, j'ai l'habitude de réunir mes clients et clientes tous les quinze jours à des petites sauteries intimes... dans mes salons d'exposition; vous verrez cela... on fait de la musique, on cause, on joue aux jeux innocents même... c'est charmant! Je compte sur vous...
— Croyez bien, monsieur, que nous ne manquerons pas... Nous allons attendre ce grand jour avec une impatience fébrile!
III
La soirée de la Clef des cœura. — Grande exposition de partis. — La poursuite de l'idéal. ta. Narcisse Boulandais expose ses plans de rénovation delà profession matrimoniale.
L'hôtel de la Clef des cœurs, brillamment illuminé, resplendissait comme un phare dans l'avenue de la Grande-Armée. La lumière électrique coupait les jardins de larges rayons, dans la blancheur desquels se mouvaient des ombres noires, qui, par leur empressement, faisaient penser aux phalènes nocturnes voltigeant autour des lampes. Tous clients de la Clef des cœurs, tous papillons célibataires courant se brûler les ailes au lustre de l'agence matrimoniale.
Cabassol, Bezucheux et les autres ne furent pas des moins empressés à traverser les jardins pour pénétrer dans les salons de l'agence. Serrés en un groupe compacte, ils traversèrent une grande antichambre et donnèrent leurs noms à un superbe huissier en livrée rose et or.
— N 09 317, 318, 319, 320, 321, 322! cria l'huissier après avoir consulté une longue liste de noms et de numéros.
— Tiens ! fit Bczucheux, nous ne sommes que des numéros ici.
— Certainement, dit une voix der-rière eux, jusqu'à nouvel ordre, vous ne serez connus que par des numéros. Prudence et discrétion! tel est mon principe.
Et M. Narcisse Boulandais tendit les mains à ses clients.
— Recevez nos hommages, dit Gabassol. Alors, ces dames et ces demoiselles charmantes qui remplissent vos salons, ne sont aussi que des numéros ?
— Rien que des numéros pour le moment. Mais je compte bien qu'avant peu, une, au moins, sera pour vous mieux qu'un simple chiffre.
— Aurons-nousl'honneur d'être présentés à M me Boulandais?
- Mais il n'y
Grande soirée à l'Agence matrimoniale,
a pas de M " ,c Boulandais, répondit le directeur de l'agence, je suis célibataire. — Gomment, célibataire, vous qui en avez marié tant d'autres!
— Que voulez-vous! je n'ai pas eu le temps de penser à moi...
— Vous m'étonnez prodigieusement!
— Vous savez le proverbe : Les cordonniers ne sont pas toujours les mieux chaussés/... Et puis, s'il faut tout vous dire, je vous avouerai qu'à plusieurs reprises déjà j'ai pensé au mariage pour mon propre compte... j'avais découvert quelque perle et mon cœur avait battu!... Mais chaque fois, cette perle s'est trouvée désirée par un client... et je me suis sacrifié, j'ai comprimé les battements de mon cœur et j'ai marié ma perle avec mon rival!... L'esprit de sacrifice!... le devoir professionnel!... Je suis tout simplement un martyr du levoir professionnel!...