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— On ne tire pas sur les témoins, surtout? fit Cabassol.

— Je ne crois pas, monsieur.

— Eh bien? demanda Cabassol au notaire.

— Accepté! s'écria M e Taparel, accepté! je choisis le côté de Saint-Mandé...

— Alors, reprit le garçon, tout est réglé. Maintenant, ces messieurs demandent que deux des témoins, un de chaque côté, soient délégués pour aller chercher chez un armurier les armes et les cartouches.

— J'y vais ! dit Gabassol en se levant, mon cher monsieur Taparel, vous pouvez vous en rapporter à moi, je prendrai ce qu'il y aura de mieux.

M e Taparel et le Chinois restèrent seuls.

— Si nous faisions un petit somme ? proposa M e Taparel.

— Si nous en piquions un? répondit le Chinois.

M e Taparel regarda d'un œil inquiet le naturel de l'Empire du milieu, qui riait silencieusement.

Le Chinois, étendu sur le divan, ronfla bientôt, mais le digne notaire tenta vainement de clore la paupière; les affaires d'honneur sont rares dans le notariat, profession pacifique ; c'était la première fois que la liquidation d'une

En route pour le champ de bataille.

succession le conduisait sur le terrain. Cependant il n'y avait pas à reculer l'honneur professionnel exigeait qu'il fit bonne contenance sous la carabine et le bowie-knife du Haïtien.

— Et dire, songeait tristement M 6 Taparel, que pendant que nous nous préparons, le Haïtien et moi, à nous livrer à une orgie de sang, dans les cabinets voisins on soupe joyeusement ! Il y a tout à côté une dame qui rit sans se douter de nos idées de carnage... c'est peut-être la dernière fois que j'entends des rires féminins!... ÔBadinard, tu le vois, ton notaire, ton exécuteur testamentaire pousse la fidélité au devoir professionnel jusqu'au sacrifice! je vais périr peut-être à la fleur de l'âge, victime du devoir et mar*

tyr du notariat!... Es-tu content de moi, ô Badinard, client difficile à contenter?... oh, ce Haïtien Quel tigre avec son arsenal!... Quel anihrcpp-phage!... Ah, si la chambre des notaires savait à quelles opérations de découpage je vais employer ma matinée...mais buvons pour écarter ces images...

La mission de Gabassol demanda une bonne heure ; il était bien près de trois heures du matin quand il rentra dans le cabinet, chargé d'un belliqueux bagage.

— Voilà! fit-il en faisant résonner sur le parquet la crosse d'une carabine, Voilà! voilà, et voilà!

Et il déposa sur la table un superbe revolver, un bowie-knife à la lame féroce une hachette et une lardoire que l'armurier avait décorée du nom de couteau à scalper.

Des légions de noirs Haïtiens passaient devant ses yeux troubléi.

— Vous n'avez pas prévenu la police, surtout ? demanda le notaire, qui se rattachait à un dernier espoir.

— Soyez tranquille ! je n'ai rien dit, vous ne serez pas troublé dans votre massacre du Haïtien ! Et maintenant j'ai commandé une voiture pour six heures, vous pouvez essayer de dormir jusque-là. Installons-nous le plus commodément possible et prenons des forces, nous en aurons besoin!

Bientôt le silence le plus complet régna dans le restaurant ; à côté, dans le cabinet haïtien on dormait sans doute aussi, pour se préparer à la terrible lutte du réveil. Seul M e Taparel cherchait vainement le sommeil, il avait beau essayer, pour se refroidir le sang, de se réciter toutes les formules d'actes notariés possibles, et même d'inventer des complications d'affaires entre des personnages imaginaires, rien n'y faisait; le revolver, les cartouches et les "couteaux déposés devant lui sur la table le ramenaient toujours à la désolante réalité. Lt générai naitien. Devant ses yeux troublés passaient des légions de

noirs Haïtiens brandissant des armes épouvantables rougies par le sang des notaires...

Cabassol, à six heures sonnantes, se réveilla et sonna pour avoir l'addition.

— Et ces messieurs d'à côté? demanda-l-il au garçon.

— Partis il y a une demi-heure, répondit le garçon. Vous savez qu'ils vont jusqu'à Joinville?

Dans les cabinets voisins on soape joyeusement!

— C'est vrai, allons, en route !

Le cocher parut un peu surpris à la vue de l'arsenal ambulant qui s'installait dans sa voiture.

— Ah! ah ! dit-il, on va se cogner, je connais ça ! Et ben, vous avez de la veine, bourgeois, je porte chance! il n'y a pas huit jours que j'ai chargé des messieurs pour un duel au pistolet à Meudon, et...

— Et? demanda le notaire d'une voix pleine d'émotion.

— Mon bourgeois n'a pas écoppé...

— Et mon bourgeois n'a pas écoppé ; au contraire, il a flanqué une balle dans...

— Dans... l'adversaire?

— Non, dans les quilles d'un de ses témoins.

— Vingt francs de pourboire ! s'écria le notaire, rempli d'un doux espoir. Le cocher, électrisé, lança ses chevaux à toute bride et partit en sifflant une fanfare guerrière.

— Ah ! gémit M 0 Taparel, qu'a dû penser M me Taparel en ne me voyant pas rentrer cette nuit!...

— Tranquillisez-vous, répondit Gabassol, je lui ai télégraphié ces simples mots :

« Retenu par affaire Badinard. Complications d'un caractère particulier exigent ma présence. Tout va bien. »

Taparel.

— Merci. Je vois que je puis maintenant être tout entier au général haïtien.

Félicien Cabuzac.

Un duel féroce au bois de Vincennes. — La troisième vengeance. — Le plus beau Jour de la vie de M. Félicien Cabuzac est troublé par des discussions violentes.

L'aube se levait à peine, une aube pâle et triste de mars, lorsque le cocher débarqua ses bourgeois à l'entrée du bois de Vincennes. — Le notaire paya le cocher d'avance pour le cas où les hasards du combat l'entraîneraient trop loin pour retrouver la voiture, puis il ceignit une ceinture bleue apportée par Gabassol, y passa le revolver, la hachette, le bowie-Knife et le couteau à scalper et jeta sa carabine sur l'épaule.

— Bonne chance I cria l'automédon ; faites comme l'autre de la semaine dernière !

— Quelle heure avons-nous? fit Gabassol en tirant sa montre, voyons, sept heures moins deux minutes. Allons, maître Taparel, voilà le moment, chargez la carabine et le revolver! A l'heure qu'il est, votre adversaire se prépare à se jeter sous bois pour marcher à votre rencontre... allons, voici sept heures ! en avant ! Utilisez chaque mouvement de terrain, rangez-voua derrière chaque arbre, sautez de buisson en buisson!... de l'œil et du jarret!... En avant! nous vous suivons à vingt mètres sur le côté.

M p Taparel, enfonçant son chapeau sur ses yeux d'un geste énergique, se jeta dans le fourré. — Les témoins lui laissèrent prendre une petite avance et se glissèrent à sa suite sous les arbres. — Pendant dix minutes on avança sans prononcer une parole. M e Taparel marchait avec la prudence d'un Peau-Rouge, sans faire crier une branche d'arbre, sans déranger une touffe d'herbe, se rasant derrière chaque pli de terrain, et sautant comme un cabri, quand il avait à traverser un espace découvert.

Tout à coup Cabassol et le jeune Chinois le perdirent de vue ; ils attendirent cinq ou six minutes, puis ils se risquèrent en avant.

M e Taparel était invisible. Cabassol l'appela doucement, mais rien ne répondit.

— Avançons, dit tout bas Cabassol.

Le Chinois l'arrêta brusquement et lui montra un objet étrange, à une vingtaine de mètres, au milieu d'un buisson.

— Qu'est-ce que cela?

— C'est sa tête ! murmura le Chinois d'une voix entrecoupée.

— Sapristi, c'est sa tête... ah! mais, est-ce que le Haïtien l'aurait déjà...