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On peut le dire aujourd'hui, le tramway est le véhicule de la civilisation. Les Tramways de Venise, appelés à rendre de si grands services, sont à deux fins, ils vont sur terre et sur l'eau. Dans le Grand Canal, les roues se relèvent, le cocher et le conducteur se transforment en gondoliers.

Un modèle réduit de la gondole-tramway est exposé dans la cour de notre hôfi, rue de la Victoire.

— Si tu as encore des parents capitalistes, mon ami, dit Saint-Tropez, quand Bezucheux eut achevé sa lecture, recommande leur nos actions, il n'y en aura pas pour tout le monde. Sur ce, je suis horriblement pressé, on répand de mauvais bruits à la Bourse sur notre affaire, je suis chargé par Bi-gnol de faire courir des bruits favorables... je t'écrirai après l'émission I

Et Bezucheux l'entendit qui commençait à faire courir dans les groupes les bruits favorables indiqués par Bignol : — Et les tramways de Venise? on dit que les actions font déjà 50 francs de prime... Paraît que l'émission est couverte... Rothschild veut acheter l'affaire... Tramways... actions... Banque... prime, etc.

EMISSION

Les occupation* du Sous-Conieil.

Bezucheux de la Fricottière reçut le surlendemain des nouvelles, sur du papier à l'entête de la Société des Tramways de Venise, Saint-Tropez lui écrivait ceci :

Mon bon,

Succès, mais succès ordinaire, 1200 actions souscrites, les capitaux inintelligents se sont laissés refroidir par les menées d'une cabale. Gros banquiers jaloux ont mis bâtons dans les roues de nos gondoles, mais Bignol assure que ça ne nous empêchera pas de marcher.

Bignol a confiance ; le reste des actions s'enlèvera comme des petits pâtés dans quelques jours. Dimanche, petite fête à Castel-Bignol pour célébrer succès.

Je compte trouver nomination d'administrateur sous ma serviette.

Tu vois que je suis maintenant lancé ! Et toi? et les autres? que fais-tu? que faites-vous? jusqu'à quand allez-vous laisser croupir dans l'inaction vos belles facultés? allez-vous bientôt vous relever par le travail et devenir des notabilités financières comme ton SAINT-TROPEZ?

De nouvelles inquiétudes accablaient en ce moment nos amis. Pontbu-zaud à son tour avait disparu.

Quelques jours auparavant, il avait avoué que les derniers fonds retirés à la Banque touchaient tristement à leur fin, et depuis on ne l'avait plus revu ! Sombre mystère ! dans le petit appartement de garçon, composé d'une chambre meublée, qu'il occupait depuis ses malheurs, son concierge ne l'avait pas vu revenir et ce fonctionnaire l'attendait avec anxiété une quittance à la main.

Les angoisses des amis de Pontbuzaud ne durèrent pas trop longtemps, car Bezucheux reçut à la fin de la semaine une lettre du décavé disparu

My dear,

L'exemple de Saint-Tropez m'a électrisé. Comme lui, je me suis lancé dans les affaires. L'adversité a réveillé en moi le goût du travail que je portais à l'état latent depuis ma naissance, — sans m'en douter.

Fais comme moi, mon bon ami, travaille à te créer une position sociale pendant que M. Boulandais s'occupe de satisfaire les aspirations de ton cœur.

Vigourous shake hands

Pontbuzaud,

351, rue de la Pompe, à Passy.

— Quelle position peut-il avoir trouvée? se dit Bezucheux en tournant et retournant la lettre, ce Pontbuzaud m'intrigue, il faudra que j'aille le voir à Passy.

La lettre communiquée le soir même à Cabassol, Lacostade et Bisseco, les intrigua pareillement et tous convinrent d'organiser pour le lendemain dimanche, une expédition à la recherche de Pontbuzaud.

Le lendemain les quatre amis escaladèrent à dixheures du matin le tramway de Passy et descendirent rue de la Pompe.

— Étrange! étrange! dit Bezucheux, que diable peut faire Pontbuzaud dans ce quartier de rentiers grands et petits? Aurait-il déjà fait fortune, le gaillard?

— N° 351, voilà! s'écria Cabassol en montrant une grande porte verte percée au milieu d'un immense mur surmonté d'une inscription ainsi conçue :

PENSIONNAT DE DEMOISELLES

Dirigé par Madame Gabriel COLASSE Air pur, r/rand jardin, immense potager, gymnase.

— Ce n'est pas possible, Pontbuzaud ne demeure pas là, il y a erreur d<» numéro...

— Du tout, dit Bezucheux après avoir vérifié sur la lettre, il dit bien n° 351... c'est ici, sonnons toujours!

— Attendez, fit Lacostade, pensionnat de demoiselles, vérifions notre tenue, voici un miroir de poche, soignons nos moustaches, mes enfants 1

— Y sommes-nous, dit Cabassol, T je sonne.

Une sonnette retentit dans le lointain, on entendit des voix jeunes et fraîches s'appeler derrière le mur et la porte s'ouvrit...

— Pas de concierge, reprit Gabassol, allons dans le fond...

Une dame d'une quarantaine d'années, un peu forte—ou, pour dire comme Bezucheux, — aux charmes expansifs flottant dans un peignoir bleu à larges broderies blanches, s'avançait d'un pas majestueux, un éventail à la main.

— Vous désirez, messieurs?... dit-elle d'une voix précieuse.

— Mon Dieu, madame, nous devons nous tromper... je vous prie d'avance d'en agréer nos excuses... Nous sommes bien ici au n° 351 ?... Nous croyions trouver un de nos amis et nous apercevons un pensionnat de jeunes demoiselles... Nous cherchions M. Pontbuzaud?...

— Mais c'est ici! donnez-vous donc la peine d'entrer... justement M. Pont-buzaud est là dans la cour...

Gabassol et les autres suivirent la grosse dame et débouchèrent dans une grande cour ombragée de marronniers et bordée par les bâtiments du pensionnat.

La dame avait dit vrai, Pontbuzaud était là, dans un coin de la vaste cour, en train déjouer au tonneau avec un petit homme barbu et trois demoiselles de dix-huit à vingt ans, en négligé du matin.

— Tiens! fit-il à la vue de ses amis, vous voilà? attendez une minute avant les épanohements... là... en plein dans la grenouille... Mademoiselle Jeanne, voulez-vous me marquer mille?... Eh bien, mes petits bons, comment vous portez-vous?

— C'est à toi que nous devons le demander... tu sais que ta disparition soudaine a fortement inquiété notre amitié...

— Vous êtes bien bons... je vais tout vous dire, mais d'abord permettez-moi de vous présenter à M. Gabriel Colasse, directeur de cette institution, un vieil ami de collège retrouvé il y a huit jours, et à M me Gabriel Colasse. Mon cher Colasse, je te présente mes petits bons Bezucheux de la Fricottière» Cabassol, Lacostade et Bisseco, de qui je t'ai déjà parlé...

— J'espère que ces messieurs nous feront l'honneur de déjeuner avec nous? dit M me Gabriel Colasse.

— Madame, nous vous remercions, mais...

— Oh! pas d'excuses, vous êtes nos prisonniers! M. Pontbuzaud va nous aider à vous retenir, n'est-ce pas, monsieur Pontbuzaud?

— Certainement, madame, répondit Pontbuzaud, certainement ! Us sont nos prisonniers... mademoiselle Jeanne, allez donc fermer la porte, je vous prie, nous reprendrons plus tard notre leçon de tonneau.

— Avant de déjeuner, fit M. Gabriel Colasse avec un fort accent bordelais, ces messieurs prendront bien un vermouth... y a-t-il encore du vermouth, mademoiselle Jeanne?

— Je crois qu'il n'en reste plus, répondit mademoiselle Jeanne.

— Ces messieurs prendront de l'absinthe avec de l'eau de seltz, dit Madame Gabriel Colasse.

— Je vais préparer les apéritifs, dit M. Colasse.