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— Tu sais que nous sommes fortement intrigués, fit Bezucheux quand M. et M me Colasse furent partis préparer les apéritifs, c'est ça ton travail? C'est ça ta position sociale? Tu es professeur de tonneau dans un pensionnat de demoiselles?

— Mais non ! répondit Pontbuzaud, je suis en effet entré dans l'université, mais pas comme professeur de^tonneau...

— Tu es pion?

— Pour demoiselles, ce ne serait déjà pas si désagréable I mais je suis mieux que ça... je suis professeur d'anglais...

— Ah!ah!

— De gymnastique...

Le pensionnat Gabriel Colasse.

— Tiens! tiens!

— Et de dessin !

— C'est tout?

— Pour le moment, oui, mais je vais faire probablement le cours de lit-téralure...

— C'est superbe! Et tu es bien payé pour tout ça t

— Je ne sais pas encore. Il y a huit jours, j'ai rencontré Colasse que je n'avais pas vu depuis le collège; il m'a parlé de son pensionnat et m'a confié qu'il cherchait un professeur d'anglais pour en remplacer un que les élèves trouvaient trop vieux... je me suis proposé...

— Tu sais donc l'anglais?

— Yes! bookmakers, stand, i love you, allright, etc., etc.. le reste, je l'apprends en même temps que mes élèves. La prononciation me gênait d'abord, mais j'ai réfléchi et j'ai trouvé une règle bien simple pour l'enseigner à ma classe.

— Pontbuzaud, tu as plus d'ingéniosité que je ne le pensais, dit Bezucheux, et pourtant je suis physionomiste! Pontbuzaud,je te fais mes excuses ! Quelle règle de prononciation as-tu inventée ?

—Mesdemoiselles, ai-je dit à mes élèves, en anglais, chaque lettre se prononce de cinq ou six manières différentes, toute la difficulté de la langue anglaise est là, c'est très long à retenir... eh bien, pro" noncez les mots autrement qu'ils ne sont écrits et vous aurez au moins une chance de tomber juste ! vous voyez comme c'est simple.

— Quel grammairien !

— Et ça réussit parfaitement. L'autre jour, un anglais qui est venu voir Colasse, a fait lire quelques élèves... il a trouvé à l'une un accent écossais, à une autre l'accentdupays de Galles, à une troisième l'accent Devonshire, etc., tous ces accents obtenus grâce à ma méthode! Ainsi j'ai réussi à enseigner des accents variés que je ne connaissais pas!... quelle belle méthode!

— Et le dessin? tu es donc artiste?...

— Oh! ça, c'est encore l'occasion! Colasse m'a demandé, le lendemain de mon entrée, si par hasard je ne connaîtrais pas le dessin... Certainement! ai-je répondu. Ça tombait bien, le maître de dessin, mon prédécesseur était chauve, il déplaisait à ces demoiselles, on m'a donné sa place...

Gabriel Colasse

— Et tu plais?

— Je m'en flatte, je ne suis pas chauve... de plus, j'ai bouleversé l'enseignement... je suis un novateur, j'ai supprimé tous les vieux modèles, les m feins, les y--ux, les bouquets de fleurs, les tètes d'étude, les Léonidas, les Bélisaire et les Vénus grecques... Au rancart les Léonidas et les Vénus grec-quesl au grenier les mo'dèJes classiques! je fais copier à mes élèves les dessins desjournauxillustrés... Je suis moderne, moi... aussije récolte dessuccès..

Le professeur de tonneau.

madame Colasse m'a encore félicité ce matin, mes élèves font des progrès marqués... les portraits d'actrices en vogue réussissent beaucoup, et aussi les types et uniformes de l'armée française... on raffole du zouave, on dessine le cuirassier avec rage, on s'arrache le hussard... Aux prix, à la place des prix de paysage et des prix de figure, je serai obligé de donner des prix d'actrices et des prix de hussard 1

— Je ne désespère pas de te voir directeur de l'école des Beaux-Arts ! Et la gymnastique?

— Oh ! ça, tu sais que c'a toujours été mon fort. Premier prix de gymnastique, tous les ans au collège ! Et j'ai toujours pratiqué !... Encore un suc-ces pour moi!. . Figure-toi, mon cher, que le professeur de gymnastique, avant mon arrivée, était un pompier !... Il manquait de chic ! moi, j'enseigne la gymnastique élégante !.'.. M m0 Gabriel Golasse me faisait encore des corn-

La leçon de gymnastique.

pliments hier, et parlait de faire creuser l'année prochaine un bassin dans le jardin...

— Pourquoi faire ?

— La natation, mon cher !.., Je nage agréablement, tu le sais, et tu as été témoin de mes succès à Trou vil le et autres endroits balnéaires... je donnerai des leçons de naiation élégante et pratique, aux grandes seulement... ce serait le complément de l'éducation particulièrement soignée que l'on reçoit à l'institution Gabriel Golasse!

— Ah ! tu enseignes la gymnastique à des demoiselles, je serais curieux de voir ça, dit Cabassol.

— Mon ami, il y a leçon de gymnastique tous les deux jours, les lundis, mercredis, etc , et c'est assez gentil... parmi mes petites élèves, il en est qui ont du galbe... mais aujourd'hui, dimanche, on ne fait rien... une sous-maîtresse a conduit les pensionnaires à la petite messe de neuf heures, l'après-midi sera consacrée au repos.

— Messieurs, interrompit M mo Colasse du haut du perron, les apéritifs n'attendent plus que vous.

— Allons, messieurs, fit Pontbuzaud, je vous montre le chemin. Pontbuzaud et ses amis montèrent le perron et pénétrèrent dans la salle à manger particulière de M me Gabriel Colasse.

— Charmant, votre ami, messieurs, ditM mc Gabrielle Colasse, et modeste! et rempli de hautes capacités ! ses élèves sont très contentes de lui... Tenez, écoutez, on se chamaille à côté dans le vestibule, je parie que c'est, comme tous les jours, les pensionnaires qui se disputent l'honneur de cirer ses bottines avec celles de M. Colasse... Gabriel, faites donc taire ces petites... elles arrachent les brosses aux filles de service pour cirer elles-mêmes I

— Quelle popularité ! fit Cabassol en remuant les absinthes.

— Messieurs, reprit M me Gabriel Colasse, j'espère que vous nous ferez l'honneur de passer la journée ici... nous organiserons des petits jeux... nous avons le tonneau, les boules, etc., M. Colasse a dans son coin particulier un tir au pistolet...

En visitant, sous la direction de Pontbuzaud, le pensionnat de M. et M me Colasse, Cabassol put voir qu'un sans-façon ultra fantaisiste formait pour ainsi dire la règle de l'établissement.

Des romans et des journaux traînaient dans les classes, des gravures de modes étaient épinglées aux murailles entre les cartes géographiques ; dans le salon, deux pensionnaires apprenaient au piano une romance du répertoire de Théo :je suis chatouilleuse / c'est pas ma faute...

Mais où ce sans-façon apparut dans toute sa beauté, ce fut dans la grande cour où les amis de Pontbuzaud, à leur retour, aperçurent sous les marronniers, à côté du jeu de tonneau repris par les quatre pensionnaires, une jeune sous-maitresse en train de se débarbouiller devant une cuvette posée sur une chaise.

A leur vue, la sous-maitresse se drapa dans sa serviette comme dans un peignoir et pria en minaudant ces messieurs de l'excuser...

— Mais, mademoiselle, nous serions désolés de vous déranger, répondit Bczucheux, faites comme si nous n'étions pas là, je vous en prie...

— Ah! mademoiselle, fit Cabassol... d'aussi charmantes épaules... nous sommes éblouis !... nous sommes aveugles ! ne vous gênez donc pasl

— Monsieur Pontbuzaud est un vilain, il l'a fait exprès, de vous ramener dans la cour... il sait que j'ai l'habitude... j'aime le grand air, moi...

— Ah! monsieur Pontbuzaud le savait! Pontbuzaud, tu es un traître, mais nous te bénissons!