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— Mais tu n'es pas Marseillais, toi! fit Bisseco.

— Qu'est-ce que ça fait, je suis du Midi aussi, c'est la même chose! je vais retrouver là un vieux camarade du quartier latin qui me présentera...

— Qu'est-ce qu'il fait ton ami? homme politique ou financier?

— Il est poète!

— Aïe!

— N'importe, je compte beaucoup sur Y Huile pour m'ouvrir une carrière... n'importe laquelle! Voilà ce que je voulais vous dire, et maintenant je me sauve ! j'ai à peine le temps d'arriver!...

Logé dans la tourelle.

Le restaurant qui avait l'honneur de cuisiner une fois par mois pour les dîneurs de l'Huile était en grande rumeur lorsque Gabassol y arriva. Un tel bruit sortait des fenêtres ouvertes du premier étage que, dès le bout de la rue, les passants inquiets levaient la tête. — C'est une noce, disaient les gens sans expérience, ou une réunion publique 1 Sur le trottoir, devant le restaurant, quelques badauds écoutaient vibrer les rrrr, rouler les syllabes à grand fracas et ronfler les terminaisons; Cabassol s'arrêta une minute pour écouter; c'était beau et c'était musical, les mots les plus pacifiques et les plus simples, des mots vulgaires etgnan gnan quand ils sont prononcés à la normande ouà la picarde, flambaient dans ces bouches méridionales et éclataient en con-sonnances héroïques. On prenait le madère. Cabassol annoncé par son ami, fut admirablement reçu.

— Messieurs, cria le poète, écoutez-tousl je vous présente mon ami, le célèbre Cabassol, que vous connaissez pour ce fameux procès Badinard... Mon ami est un gaillard, il fait honneur au Midi... je propose de le recevoir immédiatement et sans le moindre stage membre de l'auguste société de l'Huile!

— Adopté !

— Très bien! Cabassol, tu es des nôtres ! Allons, à la soupe, messieurs!

— Mon ami, dit Cabassol au poète, pendant l'éclaircie produite dans les conversations par le potage, tu m'as bien présenté à l'auguste assemblée, mais tu as négligé de me présenter un tant soit peu ces messieurs... Dis-moi au moins leurs noms...

— C'est vrai, j'avais oublié... je vais réparer, mon bon, je vais réparer 1 Voyons, calle-toi bien sur ta chaise si tu es sujet aux émotions... tu as en ce moment l'honneur d'être assis entre deux muses, c'est-à-dire entre une muse et une demi-muse...

Comment on reçoit les huissiers à Castel-Bignol

— Bah!

— Entre la poésie aux ailes d'or et la prose aux... non, pas d'ailes; la prose n'a pas d'ailes, elle a des pattes, c'est une muse qui est dans l'infanterie 1 Les poètes, ce sont les escadrons volants et tourbillonnants de la cavalerie légère; les prosateurs sont les fantassins de la littérature! Veux-tu que je te lise quelque chose que j'ai fait là-dessus ! ce n'est pas bien long, 150 vers...

— Mais non, je te demandais...

— Ah! c'est vrai. Je te disais donc que tu avais l'honneur d'être assis entre la poésie et la prose. La poésie, c'est moi; la prose, c'est Cavagnous, le romancier Cavagnous, un animal qui a du talent!... un talent inférieur, naturellement, puisque c'est un prosateur, mais enfin un talent!

— Attends donc, il me semble que

Le chimiste Estrambillas méditant l'invention des saucisses de siège.

j'ai lu quelque chose de lui... une nouvelle!... mais je ne suis pas sûr...

— Ça t'avait-il embêté ?

— Oui...

— Alors, c'était de lui... c'est son genre. La vie est embêtante, la littérature doit être embêtante, c'est son principe... veux-tu que je lui fasse exposer ses principes!

— Non.

— Tu as raison ! reste idéaliste comme moi! je vais te lire un sonnet que j'ai précisément sur moi!...

— Plus tard, mon ami ! tu oublies de continuer les présentations...

— C'est juste ! à côté de Cavagnous, tu vois cette sale tête? Oui, eh bien, c'est mon ami Coriolan Bellouquès, l'illustre compositeur! oh! ces canailles de musiciens! Lui, c'est mon ami, je lui pardonne, mais les autres, quels misérables! tu n'es pas musicien, j'espère?

Luliy.

— Dieu m'en garde!

— Hein ! sont-ils assez encombrants ! On leur bâtit des opéras qui coûtent soixante-quinze millions et ils ne sont pas encore contents, ils faut qu'ils nous prennent nos théâtres, ils faut qu'ils volent la littérature ! Crois-tu qu'il ne serait pas infiniment plus beau et plus profitable de consacrer à la poésie un monument qui est comme un poème de marbre, un monument qui a un si bel escalier, avec des colonnes majestueuses comme des alexandrins?... je demande qu'on l'enlève aux musiciens et qu'on nous le donne, on n'y jouerait que des pièces envers... j'en ai une toute prête, moi, cinq actes en vers! il faut que je te lise un fragment du troisième acte qui soulèvera la salle...

— Non, je la verrai jouer ta pièce... j'aime mieux ça... ne la déflore pas!

— Elle attend son tour aux Français... c'est long, il y a quelques vieux reçus avant moi... je ne peux pas pourtant les tuer, n'est-ce pas? On nous ficherait l'Opéra, que ça m'éviterait d'avoir de mauvaises pensées sur la vie de mes confrères! Mais les musiciens le tiennent et ce qu'ils tiennent ils ne le lâchent plus!...

Vois-tu, mon ami, le grand siècle n'a été le grand siècle que parce qu'il n'y avait pas de musiciens; s'il y en avait eu, Corneille, Racine, Molière eussent été étouffés ! Mais il n'y avait qu'un musicien, Lully, et il était cuisinier!... On les maintenait à leur rang dans ce temps-là; aujourd'hui, c'est fini, ils tiennent tout! Ce doit être la faute à89! Et les chanteurs, donc! quand un monsieur ou une dame se trouvent posséder un gosier dont la structure leur permet de pousser fort et longtemps des piaillements mélodiques, il leur semble que le gouvernement doit se jeter à leurs pieds et les supplier de fouiller dans le budget... Et je ne te parle pas des pianistes... il n'y a plus que de ça! j« ne me marie pas pour ne pas introduire de piano dans mon domicile ! — Je t'approuve!

Le troubadourisme.

— Ça ira mal, mon bon, ces insatiables musiciens finiront par tout absorber... tout, tout, tout, les théâtres, l'argent, les places... il suffira d'avoir

Le perruquisme.

Le folichonnisme.

composé une valse pour être décoré et l'on prendra les sous-préfets au Conservatoire dans la classe de piano! Je te le dis, nous serons gouvernés un jour par les musiciens 1...

— Ah non ! il y a les avocats, d'abord!

— Est-ce que ce n'est pas déjà une espèce de musiciens?... Laisse-moi exécrer les musiciens en masse!... Je n'excuse qu'une espèce de musique, je n'admets qu'une sorte d'instrument: la clarinette, avec accompagnement de caniche ! Pour les autres, si j'avais le pouvoir une seule minute, je saisbien ce que je ferais!...

— Que ferais-tu?

— Je prendrais une bonne mesure de salut public. . Je déporterais tout

Le romantisme.

ça en Océanie... dans une île quelconque, mais malsaine! Hélas, j'ai peur de ne voir jamais cela... les musiciens continueront à tout envahir, à tout absorber... attends, je vais faire parler Bellouquès, tu vas voir comme ils sont absorbants!

Le poète se pencha vers le compositeur et lui cria :

— Dites donc, Bellouquès, et votre opéra? ça marche-t-il?

— Mon cher, répondit le compositeur interpellé, c'est ce que j'étais en train de raconter à nos amis...Mon opéra est achevé, dernièrement au ministère des beaux arts, j'en ai joué quelques morceaux, et le ministre m'a dit, en confidence, que dans la prochaine fournée de croix... Vous comprenez?