Je porte des toasts remarquable.
Brave citoyenne Croulebarbe !
— Bon, tu n'es pas encore président de la République !
— Je suis sur le chemin, mon bon! Trois quartiers de Paris se disputent l'honneur de m'envoyer au conseil municipal... C'est une affaire réglée, je le serai dans trois mois, j'ai choisi mon quartier, je n'ai pour concurrent qu'un grand industriel sans passé politique... je le battrai à plates coutures, je tra-
Je préside admirablement,
vaillerai consciencieusement mon arrondissement et aux premières élections législatives je serai député... Et allez donc !... Mes enfants, je serai forcé de vous quitter de bonne heure, je préside honorairement la réunion des socialistes de Ménilmontant... La citoyenne Croulebarbe m'attend à 10 heures pour me remettre une couronne civique et me lire une pièce de vers!...
— Hourra! vive la politique! vive le futur président Tibulle Montastruc !
— Vive la littérature tempéramentiste ! crièrent les romanciers.
— Vive la poésie ! cria l'ami de Gabassol.
— Vive la peinture ! vive la chimie ! vive l'huile ! hurlèrent les dîneurs.
— Tas de blagueurs ! cria un individu en passant la tête par une porte du fond de la salle.
Les dîneurs de l'huile se jetèrent sur une corbeille de petits pains et bombardèrent l'intrus qui rentra vivement la tête.
— Qu'est-ce que cela? demanda Gabassol»
— Ça, répondit l'homme politique, c'est un monsieur du dîner du Cidre, la société des Normands et Bas-Bretons de Paris... c'est dégoûtant, le Cidre a choisi le même jour que nous et le même restaurant pour ses dîners, et ils se permettent quelquefois d'interrompre nos discours par des observations déplacées! ils nous appellent souvent blagueurs!... Ces gens du Nord ont du coco dans les veines, ils n'est pas étonnant qu'ils aient la tête plus froide que nous...
La conversation interrompue par le dîneur du Cidre reprit de plus belle; les interpellations se croisèrent, des dialogues à tue-tête s'établirent d'un bout de la table à l'autre, par-dessus et à travers la discussion générale. C.abassol, présenté par son ami le poète à l'homme politique, se monta au diapason général et se découvrit tout à coup des idées politiques, sociales et humanitaires qu'il ne se connaissait pas la veille.
— Voulez-vous être du journal? lui demanda Tibullc Montastruc à brûle-pourpoint.
— Du Bvanlebas?
— Mais non! je quitte le Branlebas et je fonde l'Éclair, grand journal politique quotidien à dix centimes.
— J'en suis ! fit Cabassol.
— Le patron politique du journal, celui qui a fait ou recueilli les fonds, c'est Ernest Savoureux, le député... il est en passe d'obtenir un portefeuille un de ces jours ; Y Éclair est fondé pour soutenir sa politique et éreinter celle des autres. Ça vous va?
— Parbleu !
— Bon ! notre ami dit que vous avez du talent, nous le verrons bien. Pour débuter, vous ferez la Chambre!...
Cabassol était satisfait. Vive Y huile! Il avait enfin une position sociale, il était journaliste. Le cœur rempli d'une douce gaieté, il se lança à corps perdu dans la conversation, raconta ses aventures dans l'affaire de la succession Badinard, et se sentant autorisé par la réunion, il ne se gêna pas pour les enjoliver d épisodes brodés avec verve.
Chaque fois que les dîneurs du Cidre entr'ouvrirent la porte pour jeter à la tête de la société le mot, « tas de blagueurs! » il riposta par des petits pains, des verres et des invectives énergiques. — A deux heures du matin, après avoir pris rendez-vous avec son nouvel ami l'homme politique, revenu de sa réunion des socialistes de Ménilmontant, il rentra chez lui, l'esprit tout entier tourné vers les revendications sociales, les droits de l'homme, ceux de la femme, et les agréments de la politique.
Tas de blagueur».
Liv. 92.
Lesrorsels du Lacostaoe.
Mon valet de chambre a fait des gracieusetés.
VI
La suprême ressource de Lacostade — Le corset est-il une cuirasse ou bien un simple objet de toilette. — Négociations délicates.
C'en était fait, depuis un mois Gabassol était journaliste. Il avait une position sérieuse, susceptible de devenir une situation considérable.
Ses infortunés amis étaient loin d'avoir la même chance: Bezucheux de la Fricottière, si brillant jadis, demeurait petit rentier et végétait tristement en haut de son perchoir, avec les deux cents francs versés mensuellement par son conseil judiciaire.
Saint-Tropez, échappé des tramways de Venise, n'était même plus petit rentier : ses actions de la société Bignol avaient été vendues au prix dérisoire de 7 fr. 25 l'une. — Ce désastre l'avait dégoûté des affaires financières et il s'accrochait désespérément à un parent député influent, pour attraper une place quelconque dans l'administration, sous-préfecture ou bureau de contributions.
Lacostade attendait aussi une occasion de mettre ses facultés au service de n'importe quoi. Le gouvernement, un jour ou l'autre, devait rougir de laisser en jachères ces puissantes facultés; en attendant les fonds continuaient à baisser avec un acharnement déplorable.
Heureusement, Lacostade possédait une suprême ressource. Comme Bezucheux, dévoré par la mélancolie, s'étonnait et s'indignait, de voir son ami supporter son fardeau de chagrins avec une stupéfiante sérénité d'âme, Lacostade lui révéla l'existence de cette ressource jusque-là bien cachée, sans vouloir s'expliquer clairement sur sa nature.
— Tu verras toi-même, je ne te dirai rien, tu verras! disait Lacosladc, tout est chei moi dans une pièce de mon petit appartement!...