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Enfin Bezucheux revint.

— C'est fait ! cria-t-il en ouvrant la porte, tu vas pouvoir aller chez ton usurier proposer tes corsets... Mais, auparavant, apportons les caisses dans tun antichambre pour que l'homme, si tu le ramènes, ne puisse apercevoir les pièces que ton tapissier néglige de meubler. Tu comprends que s'il pouvait se douter de la profondeur de ta... gêne, il t'offrirait un prix dérisoire de ton fonds de magasin.

— Bezucheux, tu penses à tout!... quel ambassadeur tu ferais! Lorsque, sur la recommandation de Bezucheux, les caisses furent amenées dans l'antichambre, Lacostade partit à son tour pour entamer la grande négociation. L'usurier refusa d'abord, se plaignit beaucoup de la dureté des temps et se déclara tout à fait dégoûté des affaires par la noire ingratitude des gens qu'il avait la manie d'obliger. Puis, sur les instances de Lacostade, il consentit à voir son solde de corsets et proposa un rendez-vous à une quinzaine de jours de là.

— Soyez gentil, cher monsieur Quillebart, dit Lacostade, et venez voi r mes corsets tout de suite... Vous allez comprendre pourquoi je suis pressé d'en finir... ce n'est pas que j'aie besoin d'argent, c'est que je vais me marier, et vous comprenez que je ne puis garder chez moi des objets aussi compromettants...

— Allons! je suis faible... pour vous rendre service, je vais vous accompagner...

Bisseco s'était permis d'emprunter le modèle d'un peintre de ses amis.

Lacostade fit, en frémissant, la dépense d'un fiacre pour amener le digne M. Quillebart à son domicile, où Bezucheux les attendait, caché dans la dernière pièce.

Lacostade s'arrêta sur le palier et sonna. Personne, naturellement, ne vint ouvrir. Lacostade, sans sourciller, sonna plusieurs lois avec violence.

— Allons bon, mon valet de chambre est encore sorti... je serai obligé ue le flanquer à la porte. Heureusement, j'ai mon passe-partout. Entrez donc, cher monsieur Quillebart... je vous prie d'excuser le désordre de mon appar-Liv. 93.

tcment, c'est un petit logement de garçon, un simple pied-à-terre que j'ai conservé à Paris... je suis devenu très casanier, j'habite, maintenant tout le long de l'année ma villa de Saint-Germain...

Le digne M. Quillebart était déjà devant les caisses.

— Voici ces fameux corsets, reprit Lacostade, il en manque quelques-uns, une trentaine que j'ai offert à des amies...

— A une trentaine d'amies! fit M. Quillebart en frappant sur le ventre de Lacostade.

— Vous l'avez dit, répondit Lacostade en se permettant de pourfendre d'un geste l'abdomen du digne M. Quillebart.

— Aïe ! aïe! fit M. Quillebart en examinant un paquet de corsets, un peu bien fanés, vos corsets, et bien démodés...

— Démodés? s'écria Lacostade. Est-ce qu'il y a une mode pour les corsets? Il n'y a pas de mode pour les corsets !... Qu'est-ce qu'un corset?

— Dame... un objet de toilette...

— Non! ce n'est pas un objet de toilette, ce n'est pas une parure! Distinguons ! ce n'est même pas un vêtement, les dames ne sortent pas en corset, elles ne mettent pas un corset pour se garantir contre les intempéries des saisons... Le corset n'est ni un vêtement indispensable ni une vaine parure, le corset, cher monsieur Quillebart, est quelque chose de mieux que cela, le corset est une cuirasse ! Or, il n'y a pas de mode pour les cuirasses..

— Faible cuirasse...

— Vous êtes cruel, cher monsieur Quillebart, pour le sexe auquel nous devons nos épouses!

— Je le répèle, vos corsets ne sont plus de mode, et ils sont horriblement fanés !

— Fanés! il y a à peine sept ans et demi que vous me les avez cédés!

— Ah ça, croyez-vous donc qu'ils étaient tout neufs alors? Je les avais depuis cinq ou six ans, c'est un fonds de magasin qui m'était resté d'un débiteur insolvable... Certains de ces corsets sont à la dernière mode de 1850...

— Ah, vous savez, les modes vont et viennent... cette mode de 1850, c'est peut-être la mode de demain! Enfin, combien me donnez-vous de mon fonds de magasin?

— Combien en voulez-vous?

— Il y a 783 corsets; je les mets, l'un dans l'autre, à 10 francs!... Parce que c'est vous !

— Allons donc.

— Voyons, à huit francs ! c'est une véritable occasion ! je vais me marier, et vous comprenez, je ne veux pas que ma femme trouve ces 783 corsets... elle pourrait faire des suppositions...

— je vous prends le tout pour deux faille cinq cents... toujours ma vieille manie d'obliger qui me revient...

— Allons! je vous les donne...

— Sauf escompte de trois pour cent!

— Vous m'écorchez!

— Et trois pour cent de commission... J'aurais pu vous chercher un acheteur au lieu d'acheter moi-même, il est juste que je ne perde pas ma commission !

Qu'on embrasse Cabassol, je l'ordonne I

VII

Cabassol journaliste. — Souper trlomphatlf. — Une réunion chee le citoyen Paradons*.— Le parti Duracuiriste. — Les droits de la femme. — Où Cabassol reçoit une pipe d'bon-

Le jour trois fois heureux où Lacostade reçut le prix de ses corsets, moins l'escompte et la commission, des invitations furent lancées pour un souper au perchoir de Bezucheux. Souper triomphatif! avait écrit Bezucheux, en ajoutant.

«Chez tous les peuples policés, les dames étant essentiellement le charme et l'ornement des réunions, chaque invité a le droit d'amener une ou deux personnes du sexe aimable. Des cataractes de Champagne authentique couleront toute la soirée.»

Bezucheux, aidé par une jeune personne répondant au doux nom d'Irma, lit à ses invités les honneurs de ses salons avec sa grâce accoutumée. Lacostade, Saint-Tropez et Bisseco, suspendant pour quelques jours la culture peu réjouissante de la vertu, arrivèrent accompagnés chacun d'une jeune personne du sexe chanté par Bezucheux. Lacostade avait retrouvé une ancienne passion de sa jeunesse, pour le moment étudiante au quartier latin ; Bisseco s'était permis d'emprunter à un peintre de ses connaissances une blonde à la. fois modèle et douce amie de ce peintre, et Saint-Tropez, redevenu pour un instant le brillant Saint-Tropez, avait amené une danseuse duChâtelet, qu'il Ji^ll 1 ''" avait séduite on ne sait comment.

— Seuls, Pontbuzaud et Gabassol arrivèrent sans

l'accompagnement de froufrous et d'éclats do rire qui avait signalé l'entrée de leurs amis. — Que signifient ces figures mélancoliques et ces nez douloureusement renfrognés? demanda sévèrement Bezucheux à ses deux invités. Est-ce qu'on vient dans le monde avec des nez pareils? Le code du cérémonial l'interdit expressément...

— J'ai pour excuse de nouveaux revers de fortune, répondit Gabassol.

— Et moi une nouvelle catastrophe financière! dit amèrement Pontbuzaud.

— Encore 1 s'écria Bezucheux.

— Quelques rayons de soleil égayaient de nouveau le jardin de mon existence, reprit Ca-bassol, mais de sombres nuages ont tout à coup voilé l'astre...

— Taposilionsooiale?...demandaBezucheux.

— Ecroulée !

— Et la tienne, ô Pontbuzaud?

Une danseuse du Châtelet.

T ancienne passion de sa jeunesse.

— Effondrée!

— Tu n'es plu-

professeur de dessin, d'anglais et de gymnastique au pen-'imanal de M me Gabriel Golasse?

Des cataractes de Champagne- couleront toute la soirée.