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— Monsieur Bisseco, ne mettez pas obstacle aux consolations que l'on va me prodiguer... ces dames ont l'autorisation de monsieur de Ja Fricottière, cela doit suffire! si vous interrompez encore, je raconte à ma charmante voisine que vous avez chargé une agence matrimoniale de vous dénicher une héritière et elle vous arrache les yeux !

— Buvons! s'écria Bezucheux, buvons pour noyer les chagrins de l'infortuné Gabassol.

Gabassol, nous croyons l'avoir montré, avait toujours brillé par une énergia peu commune; à huit heures et demie, après avoir admirablement et rapidement dîné, après avoir contribué à mettre à sec une notable quantité de bou-teilles aux blasons aristocratiques, il se leva de table et déclara que l'heure était venue de redevenir austère.

tes nobles barbes de la réunion Paradoux.

Bisseco et Saint-Tropez appuyèrent Cabassol et déclarèrent qu'en effet l'heure de l'austérité avait sonné. — La perle de corps du ballet du Châtelet et la madone enlevée à la peinture se disputaient la gloire de consoler Gabassol et menaçaient d'abandonner pour lui le sentier du devoir: il était temps d'intervenir.

— Allons, noble ami ! s'écria Bezucheux, vas où le devoir t'appelle, sois austère et éloquent...

— Et reviens vite après ton discours! dit la danseuse en tendait la joue à Gabassol.

Cabassol se frappa le front.

— C'est vrai! s'écria-t-il, je vais être austère pendant deux heures, mais rien ne m'empêche de revenir après...

— Non ! non! ne reviens pas! s'empressa de dire Bisseco, tu seras fatigué..'

— Tu as d'autres discours à préparer pour demain et après demain, dit Saint-Tropez, il ne faut pas te surmener, mon ami!

— Je reviendrai! s 1 écria Cabassol en se précipitant dans l'escaëlcr.

Le citoyen Paradoux demeurait à une demi-lieuc de Montmartre aux con-

— Je demande qu'on le boive, l'infâme capital.

fins de la Chapelle; Cabassol eut le temps pendant le trajet en omnibus, de calmer les soubresauts de son âme troublée et de revêtir ses traits du caractère d'austérité formellement exigé par son patron politique.

Quand il parut à la porte du citoyen Paradoux. Bezu-cheux lui-même eut hésité à le reconnaître.

Deux citoyens barbus gardaient la porte de Paradoux.' Cabassol tira de sa poche une lettre d'invitation et la leur tendit.

— Le secrétaire du citoyen Savoureux! dit l'un.

— Passez vite, citoyen ! dit l'autre, on vous attendait. Sous un grand hangar, au fond du jardin du citoyen

Paradoux, cinquante personnes environ s'entassaient pêle-mêle devant une tribune formée d'un vieux comptoir hissé sur une grossière estrade. Si l'assemblée était peu nombreuse, elle avait l'avantage d'être très choisie. A part quelques simples électeurs du quartier venus en voisins, les assistants étaient tous membres de comités et de sous-comités électoraux, de comités de vigilance, de comités de surveillance et autres...

Un parterre de vieilles barbes de toutes les couleurs embellissait le pied de la tribune; ces végétations ornaient des têtes que le fouriérisme, le communisme, et toutes les variétés de socialisme avaient dénudées au sommet et ridées à la façon des pommes de reinette sur les côtés. Pourquoi le socialisme fait-il pousser la barbe et tomber les cheveux? qui peut le dire! Loi mystérieuse de la nature dont la science n'a pu encore découvrir les causes secrètes!

Parmi tous ces hommes barbus, Cabassol découvrit du premier coup la barbe du citoyen Paradoux pour avoir eu déjà l'honneur de l'entrevoir dans les bureaux de l'Éclair; c'est que la barbe du citoyen Paradoux était une barbe remarquable, une barbe de penseur et de lutteur qui montrait par ses fières allures qu'elle avait dû lutter contre la coalition des partis réacs de 48 et contrôla tyrannie césarienne sans s'incliner jamais! Gloire aux barbes et aux caractères fortement trempés!

Le ciioyen Paradoux était un ancien pharmacien de la banlieue qui avait abandonné les préparations du- codex pour se vouer tout entier à la politique militante ; sa barbe était célèbre dans tout le quartier de la Chapelle, sa fer-

Le citoyen Paradoux.

wieté de principes était célèbre, son chapeau était célèbre ! Ce chapeau haut de forme, évasé par en haut comme un tromblon, possédait de larges ailes relevées suivant une mode grotesque datant d'un nombre respectable d'années. Le citoyen Paradoux, le jour où il était devenu socialiste, avait adopté ce couvre chef et depuis, avec la même fermeté de principes pour la chapellerie que pour la politique , il l'avait coi serve.

La grève des locataires.

Sa barbe et son chapeau lui avaient valu d'abord une certaine célébrité dans son arrondissement, puis tous deux conjointement avaient fait nommer leur heureux possesseur délégué de toutes sortes de comités, et enfin conseillo municipal du quartier. Et il fallait voir comme, dans les réunions, le chapeau du citoyen Paradoux planait majestueusement en dessus de l'humanité et comment à la tribune du conseil municipal, dans les clubs ou devant la nappe les banquets socialistes et patriotiques, la barbe prononçait d'éloquents dis-couts scandés avec un accent méridional à faire trembler la Cannebière elle-, mémo ! Ce n'est pas que le citoyen Paradoux fût originaire de Marseille ou même du Midi, non, il était Parisien, mais il avait compris de bonne heure quelle valeur la prononciation méridionale ajoute à l'éloquence politique et il s'était donné beaucoup de mal el il avait pris des professeurs, pour acquérir l'accent et les vibrations tonitruantes des hommes politiques du Midi.

C'est si creux l'éloquence politique sans accent! ce qui est trop bête pour être dit, on le chante, chacun sait ça; tel discours qui paraîtrait assommant avec l'accent des gens du centre ou du nord, prend de l'ampleur et devient presque intéressant, prononcé par une bouche provençale, gasconne ou bordelaise.

De là le succès des méridionaux dans la politique. Ce sont des virtuoses. C'est toujours la musique qui triomphe !

Des savants prétendent qu'avant notre grande révolution, on n'avait pas d'accent dans le midi ; l'accent marseillais est une conquête de 89, il a été inventé par Mirabeau pour répondre à M. de Dreux-Brezé ; à l'exemple du Maître, les méridionaux ont adopté ces vibrations accentuées, afin de pouvoir se vouer à l'éloquence politique.

Nous n'avons pas fait de recherches spéciales sur ce point, mais nous sommes intimement convaincu que si Robespierre avait possédé l'accent du midi, il eût gagné la partie au neuf Thermidor et n'eût pas été guillotiné. Tallien etBarras qui eurent tant de part à sa chute, étaient méridionaux. Enfin Bonaparte venait du midi et toutes ses harangues, depuis du haut de ces Pyramides, ont un fort accent marseillais.

Mais revenons au citoyen Paradoux. Dès qu'il aperçut Cabassol, il se lança au devant de lui pour lui frayer un passage et l'amena jusqu'à la tribune.

— Citoyen, s'écria-t-il, nous vous attendions avec une vive impatience...

— Je vous prie de m'excuser, citoyen, répondit Cabassol avec un grand sérieux, j'étais enfoncé chez le citoyen Savoureux dans une grande discussion sur l'économie sociale et j'avais oublié l'heure.

— Le citoyen Savoureux ne viendra pas?

— Non, le citoyen Savoureux est en ce moment absorbé par ses travaux législatifs... il prépare toute une série d'interpellations sur les sujets à l'ordre du jour... vous connaissez l'austérité de sa vie... le jour et la nuit sont voués à l'élude...

— Ce n'est pas vrai! cria un citoyen au bout de la salle.