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— Qui a parlé? demanda Cabassol en se retournant.

— Moi, le citoyen Bardou, répondit l'interrupteur.

— Je demande au citoyen Bardou de formuler ses accusations, dit Cabas-sol d'une voix douce, je lui demande de répéter nettement et d'appuyer par des faits, s'il le peut, ses odieuses et ignobles accusations... pour les pulvériser ! acheva-t-il en donnant un coup de poing sur le bureau.

— A la tribune ! crièrent deux ou trois voix.

— Soit, je demande la parole, s'écria Cabassol.

— Tout à l'heure, répondit une barbe jaunâtre qui présidait assistée d'une barbe noire et d*une barbe rousse, la parole est au citoyen Pallasseau.

— Ah, malheur! dit un électeur du fond de la salle.

Mon concierge s'obstine à me présenter d'infâmes quittances.

— J'aimerais mieux la citoyenne Lecamus, dit un autre.

— Elle est inscrite la troisième, répondit le président, la citoyenne Lecamus ne parlera qu'à son tour.

Il y a donc des femmes? demanda Cabassol à ses voisins.

Parbleu, voyez à la gauche du bureau ce chapeau jaune et ce chapeau rouge; le rouge c'est la citoyenne Constance Lecamus de la société des droits de la femme et le jaune c'est la citoyenne Groulebarbe, qui a été à Nouméa... >

— Merci, répondit Cabassol.

Le citoyen Pallasseau, une barbe blanche, venait de surgir à la tribune.

— Citoyens, s'écria-t-il d'une voix qui paraissait sortir de l'estrade elle-même, nous parlerons, si vous voulez, de la question sociale !... Le moment me semble venu d'aborder enfin de front cette terrible question et d'en finir avec elle... Je déclare tout d'abord, citoyens, que je ne suis pas pour les moyens termes et pour les fades adoucissements péniblement arrachés au monstre bourgeois... Je suis pour l'extinction radicale, absolue, de ïinfûme capital el de ses satellites f... L'infâme capital et l'ignoble capitaliste, voilà le dernier obstacle qu'il faut renverser pour arriver à la civilisation parfaite et au bonheur général... Cet infâme capital qui nous divise, je veux son extinction...

— Je demande qu'on le boive! dit une voix au fond de la salle.

— La motion de l'honorable citoyen a peu de chance d'être adoptée... Je reprends... Pouvons-nous prétendre au beau titre d'hommes libres et civilisés, quand aujourd'hui encore, en plein xix e siècle, dans ce siècle qui se prétend éclairé, nous voyons encore quatre fois par an, à des époques douloureuses, l'horrible propriétaire persécuter ses frères infortunés, les citoyens locataires,et leur extirper de fortes sommes avec l'aide de ses séides, le concierge et l'huissier. Ce spectacle honteux fait saigner mon cœur de socialiste sensible ; pour en finir avec lui je demande l'extinction de la question sociale par l'extinction des propriétaires et de leurs vils séides les concierges et les huissiers ! je pense que le principe de l'extinction doit être adopté et qu'il ne reste plus qu'à trouver les moyens pratiques de l'appliquer...

— Moi, je suis concierge, interrompit un citoyen, et je ne veux pas de l'extinction...

— Citoyen, je vous plains! vous devez bien souffrir d'être forcé de persécuter vos frères...

— Je ne m'oppose pas à l'extinction des propriétaires et des huissiers mais je demande...

— Taisez-vous, vil stipendié de l'infâme capital 1 vous serez entraîné dans la tourmente... dès aujoud'hui, je vous signale à la vindicte populaire et pendant que j'y suis, je signale aussi à l'indignation des honnêtes gens mon concierge à moi, qui s'obstine à me présenter d'infâmes quittances tous les trois mois, bien que je m'efforce sans cesse de lui faire comprendre les raisons pour lesquelles la coutume du terme doit être considérée comme abusive et rétrograde! Citoyens! ce sont les moyens à employer pour arriver rapidement à cette extinction que je veux étudier aujourd'hui... On a proposé la grève des locataires... Ce moyen n'est pas pratique...

— Comment cela?

— Quand la grève serait décidée, les locataires abandonnant les maisons s'en iraient au bois de Boulogne où chacun se construirait un gourbi... pas pratique, la grève des locataires! d'abord, ce ne serait possible qu'en été, à la première pluie, il faudrait repasser sous les fourches caudines des hideux propriétaires! Nous avons mieux que cela, je vous demande une petite heuie d'attention pour vous exposer une série de mesures qui...

La citoyenne Crouieharbe, 1871-

— Pas ce soir!... pas trop à la fois! s'écrièrent quelques auditeurs récalcitrants.

— Demain, alors...

— Et il n'aura pas la pipe ! s'écria le concierge signalé à la vindicte populaire comme séide de l'infâme capital.

— Que dit-il ? demanda Cabassol à un voisin.

— Il dit qu'il n'aura pas la pipe, répondit le voisin, il a de bonnes intentions, mais il ne la mérite pas.

Cabassol ne comprit pas davantage, mais un autre orateur étant menté à la tribune, il ne demanda pas d'explication. Le nouvel orateur était un jeune, il n'avaitqu'un faible collier d'une barbe rouge à force d'être rousse; le trait Liv. 95. principal dosa physionomie était un nez d'une longueur exagérée qui semblait se balancer à chaque phrase et appuyer par une pantomime particulière Les raisonnements de son possesseur.

Celui-ci était un rageur, on le voyait à son œil mobile, à sa barbiche et à son nez; on le vit bien mieux encore au coup de poing dont il ébranla la tribune avant de commencer à parler.

— Que les citoyens aux opinions molles et inconsistantes ne m'interrom-pentjpas ! s'écria-t-il, je les avertis que je mépriserai leurs interruptions autant que je méprise leurs personnes ! qu'on ne m'interrompe pas, que les politiques en pâte de guimauve ne cherchent pas à me...

— On ne vous a pas encore interrompu ! cria une voix.

— Vous voyez bien que si! mais je ne me laisserai pas intimider parleurs hurlements, je parlerai et je les broierai tous; il faut en finir avec les tièdes, avec les ramollis, avec les corrompus, pour faire place aux purs, aux farouches aux durs-à-cuire 1 (coup de poing sur la tribune) à bas les autres et fondons le grand parti duracuirisle pour réchauffer les tièdes, secouer énergique-ment les amollis et aplatir les corrompus 1 aujourd'hui, tout ce qui n'est pas duracuiriste est réactionnaire (coup de poing sur la tribune).

— J'avertis l'orateur, dit le citoyen Paradoux, que la tribune manque un peu de solidité et je le prie...

— Alors, on n'a même plus la liberté de la tribune? dit le citoyen orateur de plus en plus rageur, vous êtes un réactionnaire, vous aussi! tous nos députés, tous nos conseillers municipaux sont entachés de réaction, ou tout au moins d'engourdissement ou de ramollissement politique ! (coup de poing.) C'est au parti pur, au parti duracuiriste de les maintenir dans la voie droite et inflexible ; il n'y a qu'un moyen pour cela, c'est de cesser de les abandonner à eux-mêmes !

— Comment?dirent quelques voix.

— Ne m'interrompez pas! je disais qu'abandonnés à eux-mêmes, nos élus flottent au gré des courants parlementaires et dérivent sans faire rien de bon... Voilà trop longtemps que cela dure, il faut en finir, il faut surveiller sérieusement nos élus, les maintenir et les diriger... Je propose pour cela dans chaque circonscription l'établissement de comités de surveillance formés de cinq citoyens nommés de trois mois en trois mois par les réunions publiques. Ces citoyens s'installeront chez le député et le surveilleront jour et nuit. Ils tiendront les électeurs au courant des moindres actes du député, de ses conversations, de ses démarches, et, quand le député sortira, il'devra toujours être accompagné d'un membre du comité au moins...