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La pauvre mariée venait de se jeter au cou de sa mère pour mêler ses larmes aux siennes. Une vieille cousine était en train de s'évanouir, et deux ou trois dames sanglotaient tout haut.

Cabassol s'était levé pour prodiguer des consolations à la jeune épouse ; il faisait des signes à M e Taparel ; mais celui-ci était lancé, et il ne pouvait plus s'arrêter.

— Je n'entends pas dire que les torts soient d'un seul côté ! au contraire, la Société de statistique a établi par des chiffres incontestables dans ses Tables officielles des mauvais ménages, qu'il n'y avait que 42 pour 100 de ménages troublés par le fait des torts masculins. Il reste donc 58 pour 100 de torts féminins 1

- Oh ! firent quelques dames.

— Vous paraissez mettre mes paroles en doute? reprit M c Taparel, je n'ai qu'à détailler les torts féminins et, en réfléchissant avec bonne foi, vous verrez que le chiffre de 38 pour 100 doit être faible. Voyons ! du côté des dames, nous avons : la coquetterie, immense source de désastres conjugaux 1 — la paresse et le désordre, la ruine des maisons! le.... la... Gomment dirais-je? les goûts folâtres, enfin, qui les portent à faire des cribles des contrats rédigés avec tant de soin par les notaires

— Taisez-vous, mon

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Torts (?iA\SCUUN3 42. %

Recherches de la Société de statistique.

— Monsieur I s'écrièrent quelques dames.

— Je ne fais pas de personnalités, je parle en général Eh! mon Dieu, tout cela est connu, archiconnu, cela se voit tous les jours, à toute heure, dans tous les quartiers ; la jeune dame montre un front sévère à son époux et elle minaude avec ses amis; un jeune homme, un contrebandier conjugal, lui prend la main, elle le regarde d'un œil ému et languissant, un œil de carpe amoureuse...

Un cri de colère poussé par le marié l'interrompit, le pauvre garçon montrait du doigt un groupe répondant parfaitement à la description imagée de M e Ta-parel. — C'était Cabassol qui cherchait à consoler la mariée en lui tapant tendrement dans les mains, tandis que, toute troublée, la pauvre jeune dame le regardait avec cet œil ému et languissant si sévèrement qualifié par le notaire.

— Heureusement, continua le notaire sans faire attention au brouhaha, heureusement nos législateurs ont enfin été touchés par les nombreuses plaintes qui s'élèvent vers le temple des lois, depuis tant d'années... heureusement, dis-je, il y a le divorce... Plus de chaînes éternelles, plus de forçats rivés par un contrat de mariage indestructible! ta femme te trompe, répudie-la !

En vérité, quel joyeux repas de noce ! autour de la table du festin on pouvait compter cinq ou six dames évanouies, une vingtaine de personnes de tout âge et de tout sexe en pleurs et au moins autant en train de se disputer. De tous côtés on faisait respirer du vinaigre et l'on versait de l'eau

Recherches de la Société de statistique.

sur la tête des plus malades. — Au centre, on gesticulait beaucoup dans un groupe formé autour des époux : le marié

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criait, la mariée pleurait, et Cabassol recevait dos reproches indignés.

— Mais enfin ! s'écria le marié dans un transport de fureur en s'adres-sant aux parents de sa femme, qu'est-ce que ce cousin que vous m'amenez-là?... ce monsieur qui vient, à ma barbe, taper dans les mains de ma femme... 1.'jour de mes noces...

— Ce cousin? mais c'est le vôtre, il n'est pas de notre côté.

— 11 n'est pas de votre côté?

— Non, non, et non!

— Mais c'est un intrus, il n'est pas du mien non plus! Qui est-ce qui le connaît ici? Et l'autre, son ami, qui vient de nous faire un discours si plein d'à-propos... l'autre, qui dit que je bois, que ma femme me trompe et qui nous engage à divorcer?

— Ce n'est pas notre parent?

— Encore un intrus! Et le Chinois, ce n'est pas votre cousin non plus?

— Non.

— Ce sont des escrocs... venir manger notre repas, troubler mon ménage, et taper dans les mains de ma femme... vite, un garçon d'honneur pour aller chercher les gendarmes!...

Tout à coup, un coup de feu retentit dans le jardin, sous les fenêtres de la salle du banquet, un second coup le suivit, puis un troisième accompagné de quelques cris.

Cabassol etM e Taparel, qui se débattaient dans des explications impossibles, sursautèrent.

— Alerte! cria Cabassol.

— Haïti ! Haïti ! s'écria le Chinois

— Aux armes ! hurla M e Taparel.

Et, bousculant les gens de la noce, ils coururent aux fenêtres.

— Les voilà! les voilà ! gare les coups de carabine ! répétait M* Taparel.

Des cris aigus retentirent dans la salle, les dames coururent follement vers l'escalier.

Mais le mari, penché à l'une des fenêtres, avait découvert la cause de cette îhaude alarme. C'étaient les jeunes gens de la noce qui, pour échapper aux discours du notaire, avaient gagné le jardin et qui s'amusaient aux balan-el ai: tir au pistolet.

— Ce n'est rien, dit le marié, ce sont les petits cousins qui cassent des pipes à la cible.

côlés on faisait respirer du vinaigre.

Cabassol et le notaire s étaient aussi aperçus de leur erreur, les petits cousins n'avaient rien de com- 'f\ mun avec le redoutable Haïtien. M e Taparel, la cara j -""fél" bine sur l'épaule, le revolver à la ceinture et la 'V*^* hache dans sa poche, descendait rapidement l'escalier, suivi de Cabassol et du jeune Chinois.

D'un pas ferme M e Taparel s'en fut droit au tir et arma sa carabine. Les petits cousins s'étaient écartés, M e Taparel visa longuement une pipe et fit feu. La pipe demeura intacte.

— J'aurais dû exiger des balles explosibles ! s'écria M e Taparel.

' Et tirant son revolver, il en déchargea successivement les douze coups sur cette pipe obstinée ; au douzième coup, la balle eut un écart de quelques mètres et s'en fut casser la jambe d'un petit Amour, qui, perché sur un mur dans un coin du jardin, regardait l'assistance d'un œil malin.

— L'honneur est satisfait, dit gravement M e Taparel en remettant le revolver dans l'étui, il est bientôt quatre heures, il y a assez longtemps que nous cherchons ou attendons nos adversaires! Rentrons chez nous, messieurs, vous rédigerez à Paris le procès-verbal de la rencontre.

M 0 Taparel et ses compagnons allaient profiter de l'étonnement des gens de la noce pour quitter le restaurant, mais le maître de l'établissement ayant appris, au milieu du tumulte, que les trois intrus ne faisaient point partie de la famille, accourait vers eux.

— Messieurs, dit-il, nous avons un compte...

— Ah ! c'est vrai, j'oubliais, fit M e Taparel en se frappant le front.

— Vous n'êtes pas de la noce Cabuzac?

— Cabuzac I s'écria le notaire, le marié s'appelle Cabuzac?

— Ah ! fit à son tour Cabassol, il s'appelle Cabuzac? Félicien Cabuzac?

— Oui.

— Alors, nous le connaissons, il est dans l'album.

— Dans quel album? demanda le restaurateur.

— Ça ne vous regarderas! Tenez, voilà cent francs pour nos deux repas... plus cent francs pour du Champagne que vous offrirez à la charmante mariée, en disant à M. Félicien Cabuzac : C'est de la part de Badinard. Allez !

Cabassol, M e Taparel et le Chinois, sans plus répondre aux interpellations des gens de la noce, prirent le chemin de la porte et s'enfoncèrent dans le bois. M e Taparel, depuis la découverte du nom du marié, avait bien moins mal à la tète, et il oubliait le redoutable Haïtien.

— Ainsi, disait-il, nous n'avons pas perdu notre journée, nous avons une vengeance de plus... cela fait trois! Je me disais aussi en regardant le marié, je connais cette figure-là ; je l'avais vue dans l'album de M me Badinard.