Выбрать главу

Un bruit de trompette l'interrompit. Le tramway de Vincennes au Louvre passait.

— Au tramway ! cria le notaire.

Et les trois compagnons se mirent au pas de course en faisant des signes au conducteur. Le tramway s'arrêta. Sans remarquer une agitation extraordinaire qui se manifestait sur l'impériale, les trois amis escaladèrent la plateforme.

— Complet à l'intérieur, dit le conducteur en sonnant ses voyageurs.

Le restaurateur.

— En haut ! exclama le notaire.

La trompette retentit, le tramway se remit en marche. M« Taparel, suivi de ses compagnons, prit la rampe pour gagner l'impériale où l'agitation semblait redoubler.

Parvenu en haut de l'étroit escalier, Me Taparel s'arrêta pétrifié. Trois têtes noires venaient de se montrer à l'extrémité de la banquette, et ces têtes étaient celles de ses adversaires, du général haïtien et de ses deux témoins.

Sur le tramway.

— Qu'est-ce qu'il y a? demanda Cabassol.

— Lus Haïtiens 1 répondit M e Taparel.

— Allons, allons, montez-vous ! s'écria d'en bas le conducteur.

— Laissez-moi passer, je vais aller parlementer, reprit Cabassol.

Et dépassant Me Taparel, il s'avança vers les Haïtiens qui semblaient bouleversés.

— L'honneur est satisfait, dit-il.

— L'honneur est satisfait, répéta M c Taparel en faisant jouer la batterie de son revolver vide.

Le général haïtien fît un geste ae satisfaction. Il tira son revolver de sa poche et montra qu'il était déchargé.

— L'honneur est satisfait, dit-il gravement.

Les deux partis pacifiés prirent place sur la même banquette.

— Ouf! fit M° Taparel, quelle journée!

— Quelle battue dans le boisl fit le général. J'y ai perdu ma carabine

— Gomment cela?

— J'ai attrapé un procès-verbal, j'ai eu beau dire qu'il s'agissait d'un duel, la gendarmerie a confisqué mon arme. Mais je rapporte ceci...

Le général, entr'ouvrant son pardessus, tira un lapin de sa poche.

— A trois cents mètres ! s'écria-t-il, je l'ai tiré à trois cents mètres, hein ! si vous aviez été à sa place...

M c Taparel, toujours suivi de Gabassol et du Chinois, rentra chez lui à six heures du soir.

M rae Taparel se jeta dans ses bras en pleurant, elle ne comptait plus le revoir, car des bruits de duel commençaient à courir Paris.

M e Taparel avait obtenu du général haïtien qu'il lui fît cadeau du lapin, il le remit à M me Taparel et lui dit :

— La balle qui a tué ce lapin m'était destinée. Je veux le faire empailler pouren faire l'ornement de mon salon. Et maintenant queBadinardest vengé do l'infâme Cabuzac, nous allons nous occuper de madame la vicomtesse de Champbadour!

L'iDforiuné lapin.

Première entrevue avec M" de Champbadour.

I.iv. 12.

kcgmt

Cabassol demande douze sonneu à un jeune poète de ses amis.

VI

Idées de Cabassol sur l'équitation. — Les douze sonnets dédiés à M" Champbadour. — Intimités sur l'Arc de Triomphe.

Éléonore de M e Taparel depuis huit jours ne quittait pas la chambre. A peine était-il descendu une fois dans son cabinet, pour rayer de la liste des vengeances à exercer les noms de l'ambassadeur de Zanguebar et de Félicien Gabuzac.

L'estimable notaire était un peu souffrant, une semaine d'émotions aussi intenses, couronnée par cet affreux duel à l'américaine avec le redoutable Haïtien qui abattait des lapins à trois cents mètres, l'avait fatigué outre mesure, et il avait besoin d'un certain laps de repos.

Cabassol était jeune, lui; au lieu des trois jours de migraine violente dont M e Taparel avait souffert, il en avait été quitte pour une demi-journée de lassitude. Tous les jours il était venu prendre des nouvelles de M e Tapa- La vicomtesse de champbadoi

rel ; il avait poussé L'héroïsme jusqu'à proposer de tenir compagnie au malade, pour lui lire les cent cinquante volumes du Recueil des lois et arrêts ou la col lection du Journal du notariat. Mais, tout en lui sachant gré de sa bonne intention M e Taparel avait énergiquement refusé et l'avait engagé à ne pas perdre un instant 8e vue sa noble mission.

Gabassol n'avait pas besoin d'être encouragé. Électrisé par ses trois succès en moins de huit jours, il s'était mis de lui-même à la besogne et avait dirigé toutes ses batteries contre le vicomte Exupère de Ghampbadour. Par les soins de Miradoux il avait été parfaitement renseigné sur les habitudes du vicomte et sur celles de M me de Ghampbadour; il connaissait le petit nom de cette dame et — ici Miradoux ne saurait être trop admiré — jusqu'à l'existence d'un signe particulier de M rae Éléonore de Ghampbadour, un petit fripon de grain de beauté, situé un peu au-dessous de l'épaule gauche.

Son premier soin avait été de demander à un jeune poète de ses amis douze sonnets variés sur Éléonore. 11 avait eu douze chefs-d'œuvre, douze ravissants petits poèmes dont les strophes tendres ou vibrantes, émues ou colorées, mais toujours fines et délicates, devaient toucher le cœur de n'importe quelle femme."Ces sonnets étaient intitulés : le pied d'Éléonore, 'œil d'Éléonorc, la chevelure d'Éléonore, etc., etc.

Le premier sonnet fut envoyé par la poste et ne coûta que trois sous d'affranchissement; le second revint à meilleur marché, car Gabassol le déposa lui-même dans le manchon de M me la vicomtesse en profitant d'un mment où cette cl ame l'avait posé sur une chaise pour examiner des curiosités chez un marchand. Le troisième arriva jusqu'aux mains d'Éléonore dans une boite de parfumerie. Un bouquet acheté par M me de Ghampbadour

L'esiimable notaire était un peu souffrant.

à une petite bouquetière contenait le quatrième sonnet. Le lendemain Éléo-nore ayant renvoyé son coupé dut prendre un fiacre, et reçut du cocher le cinquième sonnet à la place du numéro de la voiture.

M mc de Ghampbadour avait lu le premier sonnet sans émotion, elle avait

Pendant que la vicomtesse examinait les curiosité! chez un marchand.;

rougi en recevant le second, le troisième l'avait troublée, le quatrième l'avait fait rêver malgré elle au poète amoureux et obstiné... Quelle délicatesse de sentiments, quel charme, quelle douceur exquise dans ces vers mystérieux ! Ah ! M. le vicomte Exupère de Ghampbadour était bien loin de posséder les qualités d'âme qui se révélaient dans chacune des strophes de ces sonnets. M. de Ghampbadour avait été charmant pendant les quinze jours de la lune de miel, puis, ne daignant plus se mettre en frais d'amabilité pour sa femme, il avait adopté un petit train-train conjugal bien vulgaire, et bien commun. Il vérifiait les comptes de la maison, il tenait à avoir bonne table et cave suffisante, il allait au cercle, et jamais, au grand jamais, il n'avait songé à aligner deux rimes en l'honneur d'Éléonore;

Pour faire parvenir à M" 10 de Champbadour le sixième sonnet, Gabassol corrompit Bob, le petit groom de la vicomtesse. — Restaient six sonnets, de plus en plus galants et enflammés. —Gabassol loua en face de l'hôtel Champbadour un petit logement, donnant juste sur les fenêtres d'Eléonore. Le soir, le vicomte Exupère étant au cercle, Gabassol mit un petit caillou dans le septième sonnet et le lança dans les carreaux. — Il cassa une vitre et une glace, mais il eut la joie d'entrevoir Eléonore en train de savourer cette poésie qui tombait du ciel. Un matin, la fenêtre étant entr'ouverte, Gabassol, à l'aide d'une sarbacane, envoya le huitième sonnet à son adresse.